Saint-Denis (93) – « Nous organisons une marche pour mon fils. Il a été percuté par la police. » Le passant prend le tract ,surpris, sans réussir à maintenir le regard de Valérie. La mère plante ses grands yeux dans ceux de chaque personne qu’elle arrête. « C’est pour rendre hommage à mon fils. » Ce mardi matin, c’est jour de marché dans le centre-ville de Saint-Denis (93). La famille de Valérie et leurs soutiens ont décidé de tracter pour encourager les dionysiens à venir marcher avec eux, samedi 5 novembre, pour réclamer des réponses sur la mort de Yanis.
La famille de Valérie tracte pour encourager les habitants de Saint-Denis à venir marcher avec eux, samedi 5 novembre, pour réclamer des réponses sur la mort de Yanis. / Crédits : Nnoman Cadoret
Sur le marché, ils sont nombreux à connaître l’histoire du jeune homme de 20 ans, percuté en scooter sur l’A1, à deux pas du quartier de la Plaine. « Je suis désolée que vous ayez à vivre tout ça. J’essaierais d’être là samedi », promet une jeune fille. La famille accuse la police d’avoir abusivement poursuivi Yanis, jusqu’à le faire tomber de son véhicule. « Ce qu’on réclame, ce sont les vidéos de surveillance », explique Nassim, le grand frère du disparu, à un badaud circonspect. Et d’insister :
« On a besoin de comprendre ce qui s’est passé. »
À Saint-Denis, ils sont nombreux à connaître l’histoire du jeune homme de 20 ans, percuté en scooter sur l’A1, à deux pas du quartier de la Plaine. / Crédits : Nnoman Cadoret
Les faits
Le 14 avril 2021, le ramadan vient tout juste de commencer. Après avoir coupé le jeûne, Yanis décide d’aller faire un tour avec son scooter T-Max. Un ami également en deux-roues le rejoint. Ils se plantent devant le Subway, au coin de la rue. Yanis est à deux pas de chez lui, dans le quartier de la Plaine. D’autres copains en voiture arrivent. Ils discutent là, jusqu’à ce qu’une voiture banalisée de la Bac leur demande de se disperser.
Selon l’ami en scooter – propos rapportés par la famille – la police aurait pris en chasse les deux-roues. Le jeune homme prend l’avenue du Président-Wilson avec Yanis derrière lui. Il tourne dans une rue perpendiculaire, mais Yanis n’est plus là. D’après une poignée de témoins – qui ont répondu à un appel à témoins de la famille sur Snapchat – Yanis aurait continué sur l’avenue jusqu’à Porte de Paris. Il aurait pris un pont, pour descendre sur l’A1. Aucun témoin connu n’a vu la suite de la scène. C’est là que les versions divergent. Selon la police, relayée le lendemain matin du drame par le site Actu17, Yanis aurait refusé un contrôle et se serait enfui par l’autoroute :
« Plus loin, le fuyard [Yanis] a soudainement fait demi-tour et s’est engagé à contresens sur l’autoroute. Les forces de l’ordre ont alors arrêté de le suivre pour éviter un grave accident, indique une source policière. Environ 600 mètres plus loin, l’homme à TMax a violemment percuté une voiture de type Ford Mondéo qui arrivait face à lui. »
Selon la famille et les amis de Yanis, la Ford Mondéo appartenait aux agents de la Bac qui ont dispersé le petit groupe devant le Subway. Ils ajoutent que Yanis n’était pas en contresens et que la course-poursuite était illégale. Deux mois plus tard, en juin 2021, une note de la commissaire de la circonscription dans le Val-d’Oise rappelle que cette pratique a été interdite (sauf si la course-poursuite est motivée par un crime de sang).
La famille organise une marche pour Yanis ce samedi 5 novembre à Saint-Denis. / Crédits : Nnoman Cadoret
« Nous organisons une marche pour mon fils. Il a été percuté par la police », lance Valérie aux passants. / Crédits : Nnoman Cadoret
« J’ai l’impression qu’ils s’acharnent »
« On a retrouvé le scooter coupé en deux. Le choc a dû être… » La voix du plus grand frère, Smail, vacille. En bas de chez eux, dans la cour de leur résidence de La Plaine, il poursuit :
« J’ai regardé des vidéos sur YouTube, des dizaines. Et un scooter qui prend une voiture de face, ça ne finit pas coupé en deux. Ça n’est possible que s’il est poussé de côté. »
Il continue ses explications, accroché à chaque détail. Sans les vidéos de surveillances qui parsèment le parcours de Yanis, la famille reste dans le flou. Leur avocat, maître Bouzrou, a demandé à les visionner, sans succès à ce jour.
Valérie et ses enfants dans les rues de Saint-Denis. / Crédits : Nnoman Cadoret
« Je l’ai appris par Nassim », rembobine Valérie. Le soir du drame, les amis appellent des dizaines de fois sur le portable de Yanis. Jusqu’à ce qu’un homme réponde au téléphone :
« Les jeunes me l’ont passé. Il m’a dit : “c’est la police, on a eu un accident avec votre fils”. »
Yanis a été déposé sous X à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. « Son poumon droit est endommagé, plusieurs côtes sont cassées, une fesse est arrachée, son fémur est déboité, un de ses pieds est arraché », énumère sa mère en serrant les dents, les larmes aux yeux. Il est couvert d’ecchymoses et d’hématomes. « Le pire, c’était son visage. Sa mâchoire… elle était brisée en quatre. » Après 49 jours de coma, le jeune homme succombe à ses blessures.
Valérie et sa fille. / Crédits : Nnoman Cadoret
La famille accuse la police d'avoir abusivement poursuivi Yanis en voiture. / Crédits : Nnoman Cadoret
La famille organise une veillée funéraire sur trois jours, comme le veut la tradition musulmane. Le deuxième jour, la police intervient. L’épisode a été documenté par Médiapart qui explique :
« Plusieurs habitants de ce quartier de Saint-Denis, dont des enfants, ont été la cible de tirs de grenades lacrymogènes et de LBD par des policiers. Une femme enceinte a dû être hospitalisée. »
Le parquet de Bobigny a ouvert une enquête et une plainte collective a été déposée par une vingtaine d’habitants.
Comme la soeur de Yanis, toute la famille réclame les vidéos surveillance. /
Le troisième jour de la veillée, tôt le matin, la police intervient violemment au domicile de Valérie. Tous les membres de la famille sont plaqués au sol. La brigade recherche Nassim, le frère de Yanis de trois ans son aîné, pour appel à la rébellion, outrages et violences à l’encontre de deux policiers la veille. Nassim commente :
« Je venais de sortir de prison, une peine de huit mois. Je ne pouvais pas me permettre d’avoir des problèmes. Quand ça a commencé à gazer à la veillée, je n’ai pas cherché à comprendre ce qu’il se passait ! J’ai filé chez de la famille à Paris. Je n’étais même pas là pour les faits qu’on me reproche… »
Nassim a depuis été relaxé par le tribunal de Bobigny.
Une marche contre « la répression policière »
« Ce jour-là, un agent m’a dit : “on a eu un fils, on aura le deuxième”. » Aujourd’hui, Valérie a peur pour ses six autres enfants. « Des policiers s’acharnent sur notre famille », s’indigne la mère. Elle raconte se faire klaxonner par des patrouilles. Plusieurs fois, des agents véhiculés auraient ralenti pour se mettre à sa hauteur alors qu’elle marchait, « pour que nos regards se croisent, et ils me font des sourires ». « J’étais là une fois, j’ai vu », assure Smail, avant d’ajouter :
« Ce sont des cow-boys, il ne faut plus se taire. Il ne faut plus les laisser faire. »
Lui et Nassim ont tout de même préféré ne pas apparaître sur les photos. « Pour ne pas être emmerdé. Tous les gamins du coin ont une anecdote avec la police », complète Émilie, la belle-fille de Valérie. « Tu le vois lui là-bas. » Elle pointe un garçon à peine majeur du doigt. « Il s’est fait éclater en GAV. » Émilie a participé à des mouvements étudiants quand elle était au lycée, puis à la fac. La mort de Yanis et « la répression incessante ici », dit-elle, l’ont poussé à reprendre son costume de militante. Elle décharge la famille des préparatifs de la manif, quand elle le peut. Elle raconte, partout où on lui donne un micro, l’histoire de Yanis, 20 ans, percuté en scooter à Saint-Denis dans des circonstances troubles. « Comme Ibo à Villiers-le-bel, Maïcol à Nice ou Sabri à Argenteuil ! » Elle s’est rapprochée du réseau de familles endeuillées qui luttent contre les violences policières. Émilie tente maintenant d’ancrer leur combat à Saint-Denis. Les groupes féministes intersectionnels, à l’origine de La Marche féministe antiraciste du 15 octobre, ainsi que l’Action Antifasciste, ont déjà relayé l’annonce de leur marche du 5 novembre. « Je suis leur conscience politique », sourit la jeune femme.
Smail et Nassim ne préfèrent pas être sur les photos pour ne pas avoir de problèmes avec la police. / Crédits : Nnoman Cadoret
Nassim a du mal à trouver les mots pour parler de son petit frère. / Crédits : Nnoman Cadoret
Nassim tourne en rond depuis le début de l’entretien. Il a du mal à trouver les mots pour parler de son petit frère. « On était très proches. » Yanis aimait la moto depuis petit. Il faisait des bisous sur le front de sa mère. Il cherchait un travail – venait de postuler à Adecco, pour être préparateur de commandes – pour acheter une maison. Sa famille le raconte pieux, donnant beaucoup de conseils à ses frères. « C’était le pilier de la famille. Il arrivait à nous faire parler. Dans la famille, on ne parle pas beaucoup. Mais lui… Yanis apportait un équilibre. » Après une pause, il regarde vers le ciel, reprend une respiration et termine :
« Il avait 20 ans. Il ne s’est pas marié, il n’a pas eu de gosse. Il a à peine été jusqu’à Marseille. Il n’a rien vu. Il n’a rien fait. Et il est parti. »
Le 5 novembre, la famille de Yanis et leurs soutiens marcheront de Porte de Paris à l’hôtel de ville de Saint-Denis, pour réclamer les vidéos de surveillance et avoir des réponses sur la mort de Yanis. Ils ont mis en ligne une pétition ainsi qu’une cagnotte pour financer l’événement.
« Tous les gamins du coin ont une anecdote avec la police », raconte Émilie, la belle-fille de Valérie. / Crédits : Nnoman Cadoret
StreetPress a contacté le service de communication de la police nationale, pour comprendre si l’IGPN détenait les vidéos : « Tant que l’enquête n’est pas terminée, nous n’avons pas plus d’éléments sur ces vidéos. Nous n’avons pas de commentaires à apporter ». Ni la préfecture de Paris, ni la ville de Saint-Denis n’ont pour le moment donné de réponses à nos questions.
« Mon fils Yanis est mort après avoir été poursuivi par la police » / Crédits : Nnoman Cadoret
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