Tribunal de Paris – « Est-ce que vous avez vu qu’ils étaient policiers ? » Tous les débats auraient dû tourner autour de cette question dans cette salle de la cour d’appel de Paris, ce mardi 11 octobre. Nordine A., 37 ans, comparaissait pour refus d’obtempérer et violences avec arme par destination, en l’occurrence sa voiture, sur les policiers de la Bac. Dès sa première intervention à la barre, le prévenu annonce :
« Je ne suis pas l’agresseur, je suis la victime ! »
Il n’a de cesse de le répéter depuis le 16 août 2021, jour où la police a tiré huit balles dans sa voiture à Stains (93). Nordine a été touché sept fois. La dernière balle a transpercé le corps de sa copine, Merryl B., enceinte à l’époque. Le couple garde des séquelles physiques importantes de cette interpellation. C’est pourtant Nordine qui a été entretemps condamné à deux ans de prison ferme le 18 février 2022.
À LIRE AUSSI : Coups de feu à Stains : une reconstitution 3D remet en cause la version de la police
Devant la cour d’appel, Nordine essaie de répondre du mieux qu’il le peut aux magistrats qui retracent le cours de cette soirée. Il raconte rentrer de Paris, où il a dîné avec Merryl. En voiture à Stains, au feu rouge, la voiture banalisée de la Bac se serait placée à son niveau. Un homme lui aurait demandé de baisser sa fenêtre et lui aurait dit : « T’as une gueule de bien défoncé », avant de lui dire de se stationner sur le côté. Ce que Nordine aurait fait. Pour la suite, Nordine a des trous de mémoire, « à cause du traumatisme », explique-t-il. « On s’est jeté sur ma voiture, je ne sais pas qui, où, pourquoi. Mais j’ai pris peur. À aucun moment je n’ai su qu’ils étaient policiers. » Nordine démarre avant que deux des agents n’ouvrent le feu.
Versions divergentes
« Vous aviez un taux d’alcoolémie à 1,37, trois heures après l’accident », précise la présidente. Un second magistrat embraye : « Quel est l’intérêt pour un citoyen lambda de dire : “T’as une gueule de bien défoncé” ». Puis : « On vous demande de vous garer sur le côté et vous y allez ? Ça laisse à penser que vous saviez pertinemment que c’était la police. » « Ma réaction, c’est la peur », tranche Nordine, acculé par le flot de questions.
Les trois policiers, assis sur le banc des victimes, sont présents. Ils passent un à un à la barre. « Le refus d’obtempérer a commencé lorsqu’il a refusé de se garer. J’ai dû bloquer le véhicule avec la voiture », démarre le premier, qui a par la suite utilisé son arme. Il raconte passer sur le capot de la voiture de Nordine et tenter d’entrer de force dans le véhicule par la vitre conducteur. Un autre brise la vitre arrière au même moment. « Est-ce que ça vous semble une intervention de police raisonnée ? », demande maître Metzker, l’avocat du prévenu. « Nous ne sommes plus sur une intervention, nous sommes sur un refus d’obtempérer. Il faut s’adapter ». À l’avocat des agents d’interroger :
« – Est-ce que vous avez dit : “T’as une gueule de défoncé” ?
- Je n’ai jamais vu quelqu’un commencer un contrôle comme ça. Évidemment, ça partirait très mal… »
« J’ai dit : “T’es défoncé ?”. Il m’a dit : “Oui, qu’est-ce que ça peut te faire ?”. Je lui ai donc demandé de se garer sur le côté », complète un second policier. Malgré la voiture banalisée, les habits de civil et le manque de brassard, les trois policiers assurent avoir décliné leur identité. « À de multiples reprises », insiste l’un.
Le 4 octobre dernier, StreetPress et le Bondy Blog relayaient une reconstitution vidéo des experts indépendants d’Index, qui va à l’encontre du récit des forces de l’ordre. Cette expertise n’a pas été utilisée pendant l’audience.
Et les coups de feu ?
« Votre compagne a fait une déposition qui n’était pas en votre faveur », explique la présidente. Appelée à la barre pour témoigner, Merryl B. raconte les mêmes faits et la même soirée que Nordine. « Je ne comprends pas ce que Nordine fait ici. » Mais dans une déposition datant d’août 2021 – reprise de nombreuses fois durant l’audience – Merryl explique que son compagnon est un homme violent dont elle a peur, qu’elle s’est disputée avec lui ce soir-là et qu’il était bien visible qu’il s’agissait d’un contrôle de police. Une version que la femme n’a pas signée et qu’elle dément avec force à ce jour. « Je ne me souviens plus de cette déposition. On m’a interrogé alors que j’étais entre deux opérations, en salle de réveil. Je ne souscris pas à ces mots. » Merryl B., 39 ans, a reçu une balle dans l’omoplate gauche. Sa rate est explosée, le lobe du poumon perforé et plusieurs de ses côtes sont fracturées. Elle a passé 30 jours à l’hôpital, où elle a enchaîné plusieurs opérations.
« On leur a tiré dessus, tous les trois. Nordine, Merryl et leur enfant », répète maître Metzker, qui tend l’audience à de multiples reprises. Il parle successivement des coups de feu, de racisme, d’attentat, avant de tenter de faire le procès des policiers et défendre « le droit à la vie ». « Cela suffit ! », s’énerve la présidente du tribunal sur l’avocat :
« Nous jugeons aujourd’hui un refus d’obtempérer. Il y a une instruction en cours pour la seconde procédure ! »
Deux des trois agents ont effectivement été mis en examen pour violences volontaires avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique. Aucune audience n’a pour le moment été fixée. « Vos questions doivent être utiles à votre client », soupire la présidente.
Après 7h d’audience, l’avocat des policiers, maître Lienard, dépeint Nordine comme « un homme qui a été condamné 22 fois, qui sait très bien ce qu’est un contrôle de police et que ça dérange parce qu’il est alcoolisé ». Il a demandé à réitérer la peine de la première instance, deux ans de prison ferme. L’avocate générale, elle, requiert quatre ans d’emprisonnement et mandat de dépôt immédiat. Maître Metzker termine : « On attend de la justice d’être du côté des victimes ». La décision est mise en délibéré au 29 novembre 2022.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER