Forbach (57) – Au soir du second tour des élections municipales Alexandre Cassaro et son équipe exultent. Le conseiller municipal LR soutenu par LaRem et même par le maire socialiste sortant, vient de gagner la troisième ville de Moselle. Interrogé le lendemain par le Républicain Lorrain, il annonce qu’il se consacre à temps plein à sa nouvelle fonction et promet que ses élus seront « exemplaires ». Il assure par exemple « qu’aucun membre de nos familles ne sera embauché à la mairie ». Dans la même interview il annonce choisir comme cheffe de cabinet Laila Bartali, qui serait sa compagne. Mais à l’époque le couple cache cette relation. Et pour cause, les Roméo et Juliette de Moselle seraient dans l’illégalité. La loi de 2017 sur la moralisation de la vie publique (loi Fillon) interdit aux maires (comme aux parlementaires) d’employer comme collaborateur une personne de son « premier cercle familial », notamment son conjoint, partenaire pacsé ou concubin. Cassaro s’expose à une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende.
Fin décembre 2020, Alexandre Cassaro aurait convoqué la directrice générale des services (DGS) Sophie Rennert dans son bureau. Selon cette dernière, il aurait alors, en présence de Laïla Bartali, officialisé sa liaison. Pour la DGS, cette idylle peut poser problème :
« Sur le coup, j’étais surprise, je ne m’y attendais pas. Mais j’ai surtout pensé aux répercussions que cela aurait pu avoir sur la mairie. J’ai surtout appris, bien après, que leur liaison avait démarré avant la campagne. »
Elle aurait alerté le maire – qu’elle a soutenu pendant la campagne – sur les risques juridiques et psychosociaux que la situation peut entraîner pour le personnel. Elle lui aurait aussi indiqué que la situation pose des problèmes juridiques.
Alexandre Cassaro et Laïla Bartali, sa compagne. / Crédits : Facebook – DR
Pour sortir de l’ornière, le maire va déplacer Laïla Bartali et la nommer, à compter du 26 janvier 2021, directrice de la stratégie et de la communication. Un poste payé, selon des documents que StreetPress s’est procuré, 5.650 euros. Elle empoche donc au passage une augmentation de près de 300 euros. Ce changement de poste, par le seul fait du prince, était-il bien légal ? Pas certain. Comme précisé dans le contrat de travail de Laïla Bartali, daté du 26 janvier 2021 que StreetPress s’est procuré, un contractuel ne peut être embauché que si aucun fonctionnaire n’a pu être recruté. StreetPress a tenté de retrouver une potentielle offre publique. Sans succès. La non-publication de l’offre n’est pas quelque chose d’illégal. Le maire doit cependant pouvoir se justifier auprès du contrôleur de la légalité en cas de contrôle. Ce dernier n’aurait, à ce jour, pas été saisi du dossier. À noter qu’en avril 2021, Alexandre Cassaro se déclare célibataire auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Soit quatre mois après avoir avoué à Sophie Rennert sa liaison avec Laïla Bartali. Cette dernière n’est pas la seule à bénéficier de sa proximité avec le nouveau maire.
Un appel d’offres truqué
« Mesdames et Messieurs les conseillers, la délibération est adoptée ! » Dans la grande salle des séances de la mairie de Forbach, le 4 décembre 2020, les conseillers municipaux viennent de voter la révision du plan local d’urbanisme (PLU). Dans la foulée, la mairie déclare vouloir « faire appel à des prestataires extérieurs pour l’accompagner dans la démarche d’élaboration de son PLU. » À ce titre, trois lots sont proposés. La société SCP Communication, dirigée par Stéphane Wahnich, va en rafler deux. L’un porte sur une « étude d’opinion et d’analyse sociologique », l’autre sur une « concertation communication ». Le montant des trois lots réunis dépasserait les 90.000 euros, sans que l’on ne connaisse la valeur de chacun.
Une belle opération pour SCP. Mais pas vraiment une surprise, car selon nos informations, les dés auraient été pipés. Dans un mail daté du 20 octobre 2020 envoyé à ses collaborateurs, le maire écrit « [transmettre] la note de Monsieur Stéphane Wahnich suite à notre visioconférence du 16 octobre dernier. » Dans cette note, le président de la future société attributaire des deux lots explique comment saucissonner le marché, de sorte que le plus de lots puissent lui être attribués.
C’est lui qui a proposé l’idée que les trois lots cités plus haut soient proposés sur le marché public. Il donne de nombreux conseils pour mettre en place la concertation avec les citoyens autour du PLU ainsi que la communication qui va avec. Et cela ? Bien avant que la révision du plan local d’urbanisme soit adoptée par le Conseil municipal.
L’immission du chef d’entreprise ne s’arrête pas là. Selon une source à la mairie, Stéphane Wahnich a pu amender le lot sur la concertation et communication (qu’il va remporter) avant qu’il ne soit publié sur la plateforme des marchés publics. Une information confirmée par les métadonnées du document que StreetPress a pu consulter.
En clair, un chef d’entreprise donne des conseils à un maire sur la manière de passer un marché public dans la branche dans laquelle lui-même travaille. Il contribue ensuite à la rédaction de son cahier des charges. Le marché est passé, il candidate et est choisi. La boucle est bouclée.
Depuis l’arrivée d’Alexandre Cassaro à la mairie de Forbach, les affaires de SCP Communication prospèrent. L’entreprise est devenue l’un des principaux prestataires de services de la municipalité en matière de com’. Quelques exemples : 3.000 euros pour fêter Noël en temps de Covid. 3.000 euros pour concevoir la nouvelle maquette du magazine municipal. StreetPress a pu consulter 13 factures, pour un montant total de 41.400 euros, adressées à la commune entre juillet 2020 et juin 2021.
Mise sur la touche
« Ces pratiques me posaient problème », soupire Sophie Rennert. À plusieurs reprises, elle aurait indiqué au maire son désaccord et l’aurait alerté sur les risques juridiques encourus. Mais Alexandre Cassaro n’en a cure. Et plutôt que de tenir compte des alertes, il va écarter la gêneuse. En avril 2021, alors qu’elle rentre de congés, la DGS reçoit un mail du maire lui demandant des comptes sur des travaux dans son bureau qu’elle aurait organisé sans sa permission. « Ces travaux s’inscrivaient dans une rénovation et réorganisation globale des bureaux pour un montant avoisinant les 100.000 euros. Alexandre Cassaro avait validé le devis en réunion technique. Je n’ai pas compris pourquoi il s’est mis à me chercher des noises. Il m’a agressé verbalement et ça m’a mis un choc émotionnel », commente Sophie Rennert.
Dans un mail daté du 19 avril 2021, le maire s’interroge sur le montant des travaux : 5.900 euros au lieu des 1.000 consentis par l’édile. Pour Sophie Rennert, cette affaire n’est qu’un prétexte pour la mettre sur la touche. À partir du 26 avril, elle craque et enchaîne plusieurs arrêts maladie successifs. Une semaine après son premier arrêt de travail, le maire, Alexandre Cassaro décrète que tous les agents absents pour plus de cinq jours se voient interdits d’accès au serveur et à leur messagerie professionnelle.
Pendant son arrêt Sophie Rennert fait même l’objet d’une procédure de mise à pied avant que celle-ci ne soit totalement abandonnée, par retrait de l’acte en question par le maire de Forbach. La DGS va finalement négocier un départ sans indemnité.
« Il fallait que je sorte de là, je n’en pouvais plus. »
Elle reste marquée par cette épreuve.
Anticor fait des petits
Alexandre Cassaro n’est pas le seul élu de Forbach qui prend des libertés avec le droit. Christelle Loria-Manck est dixième adjointe au maire de la commune et conseillère départementale du canton. En parallèle de ses mandats, elle était jusqu’à l’été 2020, agent public au Service Départemental d’Incendie et de Secours du 57. Selon l’association de défense des contribuables forbachois elle a empoché une prime lors de la rupture de son contrat mais avec une condition : ne pas travailler de nouveau dans la fonction publique et dans un établissement public pendant 5 ans sous peine de devoir restituer l’argent. Soit 9.945,97 euros.
Le hic ? Elle se fait réembaucher peu après par le Syndicat intercommunal des déchets ménagers de la Moselle Est et de l’Alsace Bossue (Sydeme), le 13 juillet 2020. Avec un contrat de droit privé certes, mais sans incidence sur le remboursement de la prime. L’association des contribuables forbachois (ADCF) a adressé un courrier à Christelle Loria-Manck qui est restée sans réponse. StreetPress a sollicité le Sydeme avec un peu plus de succès :
« Cette condition n’interdisait pas à Christelle Loria-Manck de travailler dans une structure publique. La loi dit que : si, dans les cinq ans après avoir perçu l’indemnité, elle retravaille dans une structure publique, elle doit rembourser le SDIS dans un délai de trois ans. »
Le maire et ses adjoints. / Crédits : Facebook – DR
Elle doit donc rembourser les 9.945,97 euros au SDIS 57. L’a-t-elle fait ? Difficile à dire. Le Sydeme affirme ne pas avoir la réponse à cette question mais il indique que Christelle Loria-Manck a démissionné de son poste de responsable des ressources humaines le 30 avril 2022. Le SDIS 57 n’a quant à lui, ni infirmé ni confirmé le fait que Christelle Loria-Manck ait remboursé ou pas la prime mais insiste sur le fait que le délai qu’elle a pour le faire n’est pas encore écoulé, il le sera en 2023.
Contactés par StreetPress, le maire Alexandre Cassaro, sa compagne, la directrice de la stratégie et de la communication Laïla Bartali, le président de SCP Communication Stéphane Wahnich, l’adjointe salariée du Sydeme Christelle Loria-Manck n’ont pas répondu à nos différentes questions.
(1) Le DGS dirige l’ensemble des services de la municipalité et veille à l’application des décisions prises par le Conseil municipal.
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