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    06/09/2022

    Tentative de suicide, problèmes de santé et enfermement

    Le malheur des exilés enfermés au centre de rétention de Vincennes

    Par Christophe-Cécil Garnier , Pauline Gauer

    Début août, StreetPress a visité le centre de rétention administrative de Vincennes, où sont enfermés plus de 200 sans-papiers. Ils dénoncent des conditions déplorables et racontent leurs incompréhensions et les tentatives de suicide.

    Harzi attend derrière les grilles de la cour du centre de rétention administrative 2B de Vincennes (Cra). Cet Algérien, père de deux enfants, est plombier en France depuis sept ans. Il est « plutôt du genre à réparer les choses qu’à les casser ». Il enchaîne les boulots sur les chantiers à Perpignan (66) puis à Paris. Il y a deux mois et demi, il est embarqué au Cra après un contrôle de police sur son lieu de travail. Ses papiers ne seraient pas en règle. Depuis 75 jours, il est enfermé là. « On est traité comme des animaux, il y a des gens vraiment sévères avec nous », glisse-t-il derrière ses barreaux, sans pouvoir en dire plus.

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    Depuis 1995, jusqu’à 210 retenus s’amassent dans deux bâtiments et quatre ailes du Cra de Vincennes. / Crédits : Pauline Gauer


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    StreetPress a pu visiter le Cra 2A à Vincennes avec le député LFI Louis Boyard. / Crédits : Pauline Gauer

    Deux heures auparavant, il a vu le député France Insoumise Louis Boyard et ses assistants entrer avec StreetPress dans l’aile voisine : le Cra 2A. Depuis 2015, les parlementaires ont le droit de visiter à l’improviste des lieux de privation de liberté avec des journalistes. Il y a deux jours, le député est parti à Fresnes avec Libération. Aujourd’hui, il a choisi un des plus grands centres de rétention de France, aux portes de Paris. Depuis 1995, jusqu’à 210 retenus s’amassent dans deux bâtiments et quatre ailes. « On vient là parce qu’on va faire un travail législatif sur les sujets des prisons et de la rétention, on veut voir comment ça se passe », détaille le benjamin de l’Assemblée nationale. Les témoignages n’ont pas manqué : dès l’entrée dans le lieu de vie de cette cinquantaine de retenus, plus de la moitié se sont massés autour du groupe pour confier leur mal-être. Chacun fait la queue avec son histoire, ses documents ou ses marques sur le corps.

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    Tahir, retenu au Cra depuis des semaines, raconte que sa vie a basculé en 2018, quand un policier du tribunal judiciaire de Paris lui a cassé quatre dents en cellule. / Crédits : Pauline Gauer

    Des conditions dures

    Tahir a des scarifications profondes tout le long de ses deux bras. Fin juin, il a avalé deux coupe-ongles avant d’avaler une lame de rasoir mi-juillet pour se suicider. Les objets sont toujours dans son ventre, comme le montrent les radios médicales qu’il tend. Le lendemain du passage du député Louis Boyard et de StreetPress, Tahir aurait refait une tentative de suicide. Ce Marocain de 29 ans estime que sa vie a basculé en 2018, quand un policier du tribunal judiciaire de Paris lui a cassé quatre dents en cellule. « Je ne peux plus bien parler depuis », estime-t-il.

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    Fin juin, Tahir a avalé des coupe-ongles – puis une lame de rasoir quelques semaines plus tard – pour se suicider. Les objets sont toujours dans son ventre. / Crédits : Pauline Gauer


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    Les retenus montrent leurs scarifications. Sur la photo de droite, celles de Tahir. / Crédits : Pauline Gauer

    L’affaire a été filmée et révélée par le site Là-bas si j’y suis​​, provoquant une enquête. Tahir a porté plainte contre le policier, a été entendu par l’IGPN mais, quatre ans après, « il n’y a rien eu » (1).

    Ici aussi, Tahir dénonce des coups de poing et de tête de plusieurs policiers. En février 2020, StreetPress évoquait déjà des violences contre les retenus au sein du Cra de Vincennes. L’Observatoire citoyen du Cra de Vincennes notait à l’époque de « nombreuses humiliations de la part des forces de police, pouvant dégénérer rapidement en véritables violences physiques et psychologiques ». « Je n’ai pas connaissance de ces critiques », évacue Jean-Michel Clamens, le commandant de police du Cra. Son adjointe embraye :

    « Il y a des règles, elles doivent être respectées. Si on donne des consignes qui ne sont pas suivies et qu’on dit : “Non, vous ne faites pas ça”, est-ce que ce sont des brimades ? »

    Dans le Cra, ils sont nombreux comme Tarek à critiquer des conditions de vie « déplorables ». Il a la vingtaine et est en rétention depuis fin mai, alors qu’il a fait ses études dans un lycée français. Il a peur d’être expulsé et de ne pas voir sa fille qui va bientôt naître. Il dénonce aussi les « policiers qui enlèvent vite la nourriture au bout de trois minutes » et le contenu des « gamelles » qui sont « mauvaises » :

    « Il n’y a rien dedans. Du coup, il y a des vols et des bagarres. »

    Le jeune pointe aussi les couvertures qui n’auraient pas été changées depuis deux mois ou encore la promiscuité. Dans le Cra, les retenus vivent à deux dans une chambre minuscule sans intimité et certaines situations médicales sont déplorables. Tarek a par exemple des hémorroïdes depuis quelques jours, un juge lui aurait reconnu un « état de vulnérabilité ».

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    Les retenus dorment à trois dans des chambres minuscules. / Crédits : Pauline Gauer


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    Pour se cacher de la lumière, les retenus utilisent des feuilles de papier toilette et de journaux. / Crédits : Pauline Gauer

    « On est privé de liberté sans savoir pourquoi »

    « La réalité, c’est qu’on nous traite comme de la merde. On n’est pas des chiens, il y a des gens vraiment angoissés », lance par exemple Arouna Nimagua, un quadragénaire retenu depuis deux semaines. Le Malien au t-shirt noir et au jogging gris est arrivé à l’âge de six mois en France : « J’étais dans les bras de ma mère. » C’était il y a 43 ans. Il n’est jamais retourné au Mali depuis, toute sa famille est ici et une grande partie a la nationalité française. Après un délit, Arouna a été incarcéré à la prison de la Santé. Quelques mois avant la fin de sa peine, il a eu un aménagement et a vécu en semi-liberté. Lors de son dernier jour, les surveillants lui ont enfilé des menottes et l’ont embarqué au Cra de Vincennes. Ses papiers ne seraient plus à jour sans qu’il ne comprenne vraiment :

    « C’est un endroit que je ne connais pas, c’est la première fois que je suis ici. On est privé de liberté sans savoir pourquoi. Pour moi, je suis séquestré. Je préfère la prison. Mettez-moi trois ans en prison mais ne me laissez pas trois mois ici. »

    À côté d’Arouna, Tchouta écoute. Ce Camerounais de 29 ans était aussi en fin de peine avec une promesse d’embauche et un hébergement. Il s’attendait à sortir libre mais il ne savait pas qu’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) lui a été collée durant son séjour en taule. Il n’a pas pu la contester et est désormais condamné à retourner dans un pays qu’il n’a pas revu depuis douze ans et la mort de sa mère.

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    Les retenus dénoncent la nourriture qu'on leur sert, qui serait « mauvaise ». « Il n’y a rien dedans. Du coup, il y a des vols et des bagarres. » / Crédits : Pauline Gauer


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    Les caméras de surveillance enregistrent les coins et recoins du Cra. / Crédits : Pauline Gauer

    L’incompréhension continue pour Brahima, au Cra depuis trois semaines, ou Keita Fakanba. Ce trentenaire a été placé à Vincennes il y a deux mois et demi, bien après les « 30 jours de rétention en moyenne » annoncés par Jean-Michel Clamens, le commandant du Cra. Cela fait 21 ans qu’il est dans l’Hexagone et ses deux enfants sont Français. Tout comme Brahima Bouare. Cet Ivoirien en France depuis six ans a deux filles qui viennent le voir « presque tous les jours », avec leur mère. Il montre son livret de famille et l’acte de naissance de ses mômes, marqué par ce que lui aurait soutenu le préfet : ses enfants ne seraient pas les siens. S’il n’a pas la nationalité française, contrairement à ses bambines, Brahima a obtenu sa carte de séjour en 2020 et possède un certificat de travail d’agent d’entretien. Sur son lit, il a éparpillé toutes ses fiches de paie qu’il montre à qui le souhaite. Les yeux tombants et tristes, il raconte comment il s’est fait enfermer à Vincennes mi-juillet, après un contrôle à gare du Nord :

    « Un policier m’a tapé dans le dos, un autre m’a fait un croche-patte. »

    Après trois semaines dans le Cra, il se dit prêt à repartir pour son pays mais à la condition que sa famille l’accompagne. « La France ne veut pas », lâche-t-il. Alors il reste là.

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    Brahima Bouare est au Cra depuis trois semaines. Il est prêt à partir du pays, à condition qu'il s'en aille avec ses deux filles. « La France ne veut pas. » / Crédits : Pauline Gauer


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    S’il n’a pas la nationalité française, contrairement à ses enfants, Brahima a obtenu sa carte de séjour en 2020. / Crédits : Pauline Gauer

    Des Algériens condamnés à rester

    De nombreux retenus sont prisonniers dans les Cra pendant de longues semaines avant de finir par ressortir. En 2021, sur les 2.454 personnes qui sont passées par Vincennes, moins de la moitié ont fini par être expulsées (48%). La situation est encore plus kafkaïenne pour les retenus algériens. Début 2022, StreetPress a révélé que ces derniers ne peuvent être renvoyés dans leur pays, puisque l’Algérie refuse chaque retour. Cela donne des situations comme celle d’Abdelkrim, qui totalise cinq mois dans ce Cra sur l’année. Il finira par sortir avant d’être peut-être à nouveau retenu, pour rien. Pour éviter ça, celui qui est désormais « traumatisé » a pris sa décision :

    « C’est trop pour moi, je veux quitter la France. »

    Mourad en fait aussi partie. Le quadra ne parle pas bien français et essaie de se faire comprendre, il montre des marques sur son dos. À ses côtés, un homme aux petites lunettes et à la djellaba violette s’approche avec un sourire de façade. « Help me », lâche-t-il simplement.

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    Mourad à travers le hublot de la porte de la salle de vie. / Crédits : Pauline Gauer


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    Mourad montre des marques sur son dos. / Crédits : Pauline Gauer

    (1) Mise à jour le 8 septembre : StreetPress a appris que le policier a été suspendu immédiatement après la publication de la vidéo et qu’il est passé devant un conseil de discipline. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris.

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