Philippe Nassif, s’est éteint le 18 mars. C’est une immense tristesse pour moi que d’apprendre sa mort. Ce génie du journalisme et du monde des idées est de ceux qui m’ont le plus inspiré. Dans ma vie, et dans le projet de StreetPress. Apprendre sa disparition a été un terrible choc.
Nassif était de temps en temps dans StreetPress mais surtout présent partout entre les lignes : Dans notre manière d’écrire, dans notre propension à parler des marges et de la périphérie, dans notre optimisme infatigable alors qu’il nous arrive d’être le journal des pires violences policières, de la montée de l’extrême droite ou des injustices sociales.
Nassif avait poussé ses idées fortes dans son livre La Lutte Initiale, quitter l’empire du nihilisme (Denoël, 2011). On l’avait interviewé sur StreetPress, déjà, avec une série de photos qui le montrait, son bouquin orange entre les mains. Le bouquin orange est toujours à StreetPress et comme on a calé la boîte à sucres dessus, le livre passe dans les mains de presque toute l’équipe chaque jour. Quand j’avais raconté ça à Philippe l’an dernier, ça l’avait bien fait marrer.
L’interview est toujours dispo sur StreetPress. On n’a pas lâché la voie que nous avait montré Philippe : être un média de la périphérie, sans s’interdire d’interagir avec le centre ou le mainstream, dès que cela s’avère nécessaire.
Sans Nassif, pas de StreetPress. Il était un de mes maîtres à penser, à écrire. Et dieu sait que c’est important de bien titrer, de trouver l’accroche de l’article ou l’intertitre qui fera que l’on gardera le lecteur avec nous jusqu’à la fin du texte. Pendant presque deux décennies, j’ai lu du Nassif presque chaque semaine. Ses bouquins d’abord. En 2005, il publie Pop Philosophie, un essai puissant dans lequel il dialogue avec Mehdi Belhadj Kacem, un des philosophes les plus pointus du début des années 2000. Il y a dans ce bouquin tout ce dont on pouvait causer avec Philippe à l’époque : Badiou, Sloterdijk, mais aussi Fight club, les jeux vidéo…
Je lisais aussi du Nassif dans Technikart, où il avait créé les magnifiques pages « Idées ». Il y publiait des papiers société et des grands entretiens, notamment avec les plus grands philosophes vivants, qui avaient beaucoup de gueule – et de classe, avant de poursuivre sa route chez Philosophie magazine. Philippe, c’était aussi les magazines mainstream qu’il réécrivait, tant l’homme avait érigé le rewriting en art. Les rédactions de magazines de mode prestigieux l’appelaient pour reprendre toute la titraille de leurs numéros que je lisais, juste pour repérer ses punchlines !
Surtout, Philippe m’a transmis ce virus terrible du journalisme dur, du journalisme des nuits blanches. Écrire est un jeu, mais écrire est dur. Chaque article est comme une bataille où l’on doit livrer le meilleur de soi-même, être fidèle au réel, toucher juste, sans être injuste. Un impératif de responsabilité, que je me suis efforcé de transmettre à mon tour à celles et ceux qui ont rejoint la barque de StreetPress.
Mais Nassif a aussi sauvé StreetPress, littéralement. Je ne l’ai jamais raconté jusqu’à aujourd’hui, mais notre rédaction lui doit aussi beaucoup sur ce plan. Quand, à l’automne 2018, j’affronte plusieurs tempêtes (la dure vie d’un média indépendant), j’appelle Philippe. Il propose de m’aider. Je le retrouve à de nombreuses reprises dans son QG du 9e arrondissement. On travaille des heures durant sur StreetPress, nos galères, ce que l’on doit faire, à quoi le média doit servir. Il m’aide à prendre du recul, à trancher. La suite nous aura donné raison : La rédaction imagine le concept des supporters de StreetPress, qui sont aujourd’hui plusieurs milliers à soutenir leur média chaque année.
Pardon d’écrire presque autant sur StreetPress que sur Philippe. Je voulais surtout rendre hommage à tout ce qu’il a pu nous apporter, dire ce qu’on lui doit. L’immense tristesse qui nous envahit et l’immense merci qu’on voudrait lui dire aujourd’hui.
L’histoire de Philippe est bien racontée dans ces deux textes d’hommage : Adieu Philippe, de Jacques Braunstein, Décès de Philippe Nassif, penseur à l’inlassable curiosité, de Philosophie Magazine.
Au revoir, l’ami.
Jo Weisz
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