Peut-on traiter un ministre mis en cause dans plusieurs affaires à caractère sexuel de « violeur » ? Voilà une question qui n’est pas si vite répondue. Les faits remontent au 26 juillet 2020. Gérald Darmanin, fraîchement nommé ministre de l’Intérieur, est en déplacement à Rouen (76). Il est venu rendre hommage au Père Hamel, prêtre catholique assassiné en 2016 lors d’un attentat terroriste dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray.
Alors que le ministre s’apprête à prendre la parole ce matin-là, dans la foule, des pancartes se dressent et des slogans fusent : « Shame », « Police nationale, milice patriarcale », « Sale violeur ». 11 personnes sont alors brutalement interpellées. Quatre d’entre elles sont placées en garde à vue pendant 24 heures. Toutes ont porté plainte par la suite pour « atteinte à la liberté individuelle commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ».
Valentin, 25 ans, présent lors de la cérémonie avec sa compagne a quant à lui été jugé et condamné par le tribunal correctionnel de Rouen en décembre 2020 : 1.500 euros d’amende pour « outrage à personne dépositaire de l’autorité publique ». Il lui est reproché d’avoir crié : « Sale violeur, Darmanin violeur ». La demande de constitution de partie civile de Gérald Darmanin a en revanche été rejetée. Valentin et son avocate, maître Chloé Chalot, ont interjeté appel.
Rien de prémédité
Une nouvelle audience a donc lieu ce lundi 14 mars. Devant la Cour d’appel de Rouen, maître Chloé Chalot commence par exposer ses conclusions aux fins de nullité. La qualification « d’outrage » n’est pas correcte. Selon l’avocate, son client aurait pu être jugé pour « diffamation », dans le cadre de la loi de 1881 sur la liberté d’expression, qui est bien plus protectrice des libertés. La demande de nullité a été jointe au fond. En clair le tribunal y répondra au moment du délibéré.
Valentin, aujourd’hui âgé de 27 ans, chemise blanche et jean foncé, arbore la mine fatiguée d’un jeune papa lorsqu’il s’avance à la barre. Il a choisi de ne pas répondre aux questions de la Cour mais de lire une déclaration :
« Ce jour-là, je n’avais rien prémédité. Mais il est vrai que j’ai été assez énervé par le discours du prêtre qui s’était mis à parler de la PMA et de la GPA. […] Et quand j’ai vu Gérald Darmanin arriver à la tribune, c’est sorti tout seul. »
Le jeune homme rappelle son intérêt pour la politique, lui qui a été militant CGT, représentant syndical pour Renault dans la ville de Cléon (76) et a participé aux manifestations contre la réforme des retraites. Il admet qu’il aurait sans doute choisi d’autres termes s’il y avait réfléchi à deux fois, mais estime que « à ce moment-là, beaucoup de gens pensaient la même chose et étaient choqués par sa nomination alors qu’il était accusé de viol ».
En défense, maître Chalot rappelle la vague d’indignation qui avait fait suite à l’arrivée contestée de Gérald Darmanin place Beauvau. Ce dernier était alors mis en cause par deux femmes. La première, Sophie Patterson-Spatz, avait porté plainte en 2017 pour viol. La seconde, une habitante de Tourcoing, pour abus de faiblesse. L’ancien maire de cette ville du Nord lui aurait demandé des faveurs sexuelles en lui faisant miroiter la promesse d’un logement. À Toulouse, Paris ou encore Dijon, plusieurs milliers de manifestants avaient pris la rue en juillet 2020 pour protester contre sa nomination, et de nombreux articles de presse se faisaient l’écho de la situation.
« L’expression d’un positionnement politique »
« Les propos tenus par mon client, certes brusques et hostiles, sont l’expression synthétique d’un positionnement politique. Une manière de faire valoir sa contestation et de prendre part au débat public », argue l’avocate qui demande la relaxe.
Mais peut-on s’indigner qu’un homme politique mis en cause dans des affaires pénales en cours soit nommé ministre de l’Intérieur et ainsi devenir le supérieur hiérarchique des forces de l’ordre ? Maître Chalot conclut :
« Il est des questions qui valent le coup de l’impolitesse. »
Interrogée à la sortie du tribunal, l’avocate espère que « la cour d’appel fera une application stricte et juste du droit dans cette affaire où le droit a justement été détourné à des fins de neutralisation de la contestation politique ».
Depuis l’estrade, l’avocat général, Patrice Lemonnier, assène lui une réquisition aussi brève que lapidaire : « La liberté d’expression a des limites ». « Il est intolérable que Pierre, Paul ou Jacques se fassent traiter de tout et de n’importe quoi », ajoute ce dernier avant de demander au président de confirmer la condamnation pour « outrage » à 100 jours amende à 15 euros, soit 1500 euros ou 100 jours de prison. L’affaire est mise en délibéré au 28 avril prochain.
Photo d’illustration libre de droits prise par Pierrot75005 en 2021 via Wikimedia Commons.
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