Trois rappeurs ont été convoqués à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) pour leur critique radicale de la police. Dans le viseur des fonctionnaires, le morceau collectif 13’12 contre les violences policières”. 13’12 pour ACAB, All Cops Are Bastards. Le message est explicite, comme les textes. En introduction, Ramata Dieng, la sœur de Lamine Dieng tué par la police en 2007, rappelle qu’entre 1977 et 2019 la police a tué 676 personnes. « On a dépassé la polémique du bon et du mauvais flic. C’est un problème institutionnel », explique L’1consolable, un des rappeurs du collectif A.C.A.B (Association Contre les Agressions des Bleus). Grâce à la vente du CD, le collectif A.C.A.B a pu collecter presque 10.000 euros. « Une somme reversée en intégralité aux victimes et familles de victimes de violences policières », précisent les artistes.
Un morceau très politique donc qui, s’il n’a rencontré qu’un succès d’estime (128.000 vues quand même), n’a pas plu aux forces de l’ordre. Mais alors pas du tout. Deux rappeurs du collectif, sont convoqués par la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) et entendus pour injure publique envers une administration publique et envers une personne dépositaire de l’autorité publique. Les autres membres du collectif (qui compte une trentaine de personnes) ont quant à eux, quasiment tous reçu un mail provenant d’un policier du même service qui cherchait à les identifier. Le parquet de Paris, contacté par StreetPress, n’a pas indiqué les suites qu’il entendait donner à cette affaire.
Convocation à la BRDP
Mardi 1er juin 2021, il est 10h. La rappeuse Billie Brelok, de son nom de scène, est la première à être convoquée par la BRDP pour injure publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique. Cette autorité n’est autre que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. L’extrait concerné est :
« Eh Darmanin, check bien ton reflet dans les flaques de pisse de ta vie de chien à puces. T’es qu’un frotteur de bus. Un pointeur de plus. Ce monde t’a échoué par le trou de balle. »
Une punchline de la rappeuse Billie Brelok qui fait écho aux accusations de viol, de harcèlement sexuel et d’abus de confiance dont a fait l’objet le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Ils tentent de la cuisiner pendant près d’une heure. Interrogée par un policier de la BRDP, la jeune femme de 36 ans raconte. « Il voulait savoir qui était à l’initiative du morceau. Je n’ai pas répondu. » Elle continue : « Il m’a demandé si j’avais un parolier, je lui ai dit non. »
Elle s’étonne :
« Je ne m’attendais pas à être convoquée par la police. Le clip n’a même pas fait des millions de vues. On n’est pas des rappeurs très connus. Il y a des sons beaucoup plus sucrés que le nôtre. Je ne comprends pas, c’est fou. »
Sensible aux violences faites aux femmes, Billie Brelok explique le message qu’elle a voulu faire passer aux victimes à travers ce clip. Émue, elle dit : « Je voulais simplement leur dire, on vous croit, on vous croit. »
Toujours le même jour à 15h. C’est au tour de L’1consolable de répondre aux questions des enquêteurs. Le quadragénaire est poursuivi pour injure publique envers une administration publique. Il doit cette invitation à la phrase :
« Tous les flics sont des raclures. »
À son arrivée, il est accueilli par un jeune policier habillé plutôt décontracté. « Il avait un t-shirt avec un renard et des petites baskets », raconte le rappeur :
« Il m’a demandé comment avait été financé le clip, quel a été le brief donné aux artistes pour l’écriture… »
Un troisième rappeur a été convoqué par la BRDP le 8 juin 2021. Il n’a pas souhaité témoigner par crainte des représailles. Les autres artistes qui ont participé au morceau ont quasiment tous reçu des mails provenant d’un enquêteur de la BRDP qui cherche à les identifier. Pour les joindre, le fonctionnaire serait passé par le formulaire de contact de la plate-forme de musique Bandcamp, un site destiné aux artistes indépendants.
En attendant la décision du parquet, les rappeurs ont rédigé un communiqué dénonçant une atteinte « inacceptable » à leur liberté d’expression et promettent de ne jamais se taire malgré les pressions. Selon leur avocat, maître Raphaël Kempf, les artistes risquent une condamnation et 12.000 euros d’amende :
« C’est une atteinte à la liberté d’expression de mes clients. C’est une procédure bâillon. Les artistes ne se sentiront plus libres de parler par peur que la police leur tombe dessus. L’objectif est de censurer leurs voix. »
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