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    13/12/2021

    « Je vous ai toujours dit que je ne voulais pas de noirs. »

    Discriminations : la branche française de China Eastern Airlines aurait refusé d’embaucher des hôtesses noires

    Par Fanta Kébé

    À l’occasion d’une cession de recrutement au sein de l’école Tunon, un responsable de China Eastern Airlines aurait indiqué qu’il ne voulait pas embaucher d’hôtesses de l’air noire. Une discrimination acceptée à l’époque par la direction de l’école.

    Paris 11 – Assise en tailleur dans un gros pouf poire marron, Sofia (1), 26 ans, sourit nerveusement en tripotant ses longues tresses. Elle se remémore sa formation d’assistant tourisme et aérien à l’école internationale Tunon, située dans le 8ème arrondissement de la capitale. « Pas très glorieuse », dit-elle. Sofia se souvient de l’ordre qui aurait été donné par l’ancienne directrice de l’établissement lors des choix de postes :

    « Postulez ailleurs, le client ne veut pas de noirs. »

    Spécialisé dans les métiers aériens, du tourisme et de l’événementiel, l’établissement privé qui compte 14 antennes est l’une des plus grosses structures françaises de formation des hôtesses de l’air. Pour favoriser l’embauche de ses élèves, l’école entretient des liens étroits avec les compagnies aériennes. La jeune femme d’un mètre quatre-vingt au teint ébène explique que le client en question n’était autre que le directeur général France de la compagnie aérienne China Eastern Airlines basée en Chine, entreprise partenaire de l’école depuis 2015…

    Question sur les origines

    En 2018, les élèves de la promotion d’assistant tourisme et aérien ont reçu la visite de Mr W.S, directeur général France et numéro trois de la compagnie aérienne China Eastern Airlines. Depuis peu, l’entreprise chinoise est le deuxième actionnaire d’Air France.

    Comme chaque année, le cadre a fait le déplacement pour recruter les futures hôtesses de l’air et stewards français. La directrice de l’école à l’époque, lui a mis une salle de classe à disposition pour recevoir les candidats. Denise (1), 27 ans, se souvient de son entretien avec W.S. :

    « Je n’ai pas parlé de mes motivations parce qu’il était obnubilé par mes origines. Il a dit qu’il ne parlerait pas du poste d’hôtesse tant que je ne lui disais pas d’où je venais. C’était la condition. »

    Contrairement à ses camarades, la franco-turque est très blanche de peau. « Sans exagérer, je suis restée au moins une demi-heure en entretien. Je ne fais pas arabe quand on me voit. C’est pour ça qu’il m’a gardé tout ce temps. Mes copines, elles, elles n’ont même pas fait un quart d’heure », explique la jeune femme.

    Zineb (1), une de ses amies de promo confirme et raconte son expérience :

    « Je suis restée cinq minutes à tout casser. C’était fissa. Je suis marocaine et noire. Dès que je suis rentrée dans la salle, il m’a demandé si j’étais Africaine. J’ai dit que j’étais Française. Il était vénère, il m’a foutu à la porte. Je n’ai rien compris. »

    Choquée par le comportement de ce cadre de la compagnie chinoise, Zineb dit être sortie de son entretien en pleurs. « C’était violent », lance-t-elle. Sofia, elle, n’a finalement pas postulé suite à l’ordre de la directrice.

    Certains élèves choisissent pourtant l’école Tunon pour pouvoir être recrutés à la China Eastern Airlines, la plus grande compagnie aérienne chinoise. C’était le cas de Sofia (1) : « En sortie d’école, on a de grandes chances de décrocher un poste dans une grande compagnie aérienne. » La China Eastern Airlines assure à ses nouveaux personnels navigants un poste en tant qu’hôtesse de l’air et un logement tous frais payé.

    Complicité de discrimination

    Après avoir reçu plusieurs élèves, le représentant de la compagnie et la directrice de l’école s’octroient une pause café. Dans les couloirs de l’établissement, Thibault (1), un ancien élève, dit avoir entendu le cadre de l’entreprise chinoise réprimander la directrice en ces termes :

    « Je vous ai toujours dit que je ne voulais pas de noirs. »

    Le jeune garçon poursuit : « C’est un truc de fou de dire ça. Sur le moment, je n’ai pas compris pourquoi il disait ça. Mais on dirait qu’ils avaient conclu un marché. »

    La directrice et le représentant de la Compagnie aérienne chinoise auraient mis en place un système visant à exclure les candidats noirs et assimilés de l’équation.

    Pendant ce temps, Zineb, encore sous le choc de son entretien, se confie à son amie Marguerite (1). La femme au chignon soigné est révoltée. Elle en informe immédiatement la directrice. Elle se rend dans son bureau. Mais cette dernière l’aurait envoyé balader en haussant le ton.

    « Je lui ai dit de ne pas postuler à la China. Elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. »

    Quelques heures plus tard, la directrice se serait tout de même excusée de son comportement auprès de Marguerite. Mais n’aurait pas dénoncé les méthodes illégales de recrutement du DG de la compagnie chinoise.

    Du côté des jeunes femmes, aucune n’a déposé plainte par peur d’être boycottées par les compagnies aériennes. Aujourd’hui, elles travaillent toutes en tant qu’hôtesse de l’air ou réceptionniste dans l’hôtellerie de luxe. « On n’a pas envie d’être sur leur liste noire », conclut Denise.

    Négrophobie et humiliations

    Warda (1), ancienne élève aujourd’hui hôtesse de l’air dans une compagnie aérienne européenne, dit avoir été témoin de propos racistes tenus par la directrice. Toujours en 2018, à l’occasion d’une présentation en classe des différents partenaires aériens de l’école Tunon, la directrice aurait selon la jeune femme, énuméré les « profils » d’hôtesses les plus recherchés par les compagnies aériennes. « Parmi ces profils, aucun ne ressemblait à une personne noire alors je lui ai demandé pourquoi », dit l’ex-élève. C’est à ce moment-là que la directrice aurait tenu le discours suivant :

    « Les noirs ne peuvent pas coller aux critères de beauté européen parce qu’ils sont trop foncés. »

    Warda, remontée, continue son récit :

    « Sofia avait une coupe afro. La directrice lui a demandé de se lisser les cheveux parce que – soi-disant – ce n’était pas présentable. Le lendemain, elle est venue les cheveux lissés. Et là, elle lui a dit que les gens comme elle mettait trop de crèmes sur leurs cheveux et que ça puait. »

    « Elle les attaquait dès qu’elle le pouvait », déclare Laure (1), une ex-camarade, en parlant du groupe de Warda. « Un jour, on était plusieurs élèves à manger dans une salle de classe parce qu’il n’y avait plus de place. J’étais avec mon groupe d’amis et Warda avec le sien. Ça parlait fort, on rigolait et tout ça. La directrice est rentrée furieuse dans la salle et a crié sur le groupe de Warda en leur disant qu’elles n’étaient pas à la cité ici et que leur nourriture sentait mauvais », raconte Antoine (1), un autre élève. Le groupe d’amies de la jeune femme était composé uniquement de personnes noires et arabes.

    (1) Les prénoms ont été changés.

    Contacté par StreetPress, un représentant de la compagnie China Eastern Airlines a réfuté en bloc les accusations de racisme. Il a cependant refusé de répondre plus en détail à nos questions car selon lui, c’est contraire à la politique de l’entreprise chinoise. Il a ajouté qu’il se réservait le droit de répondre par voie juridique en cas de besoin.

    Contactée, l’école Tunon n’a pas répondu à nos questions. Nous avons tenté de contacter l’ancienne directrice de l’établissement, sans succès.

    Image de Une : photo d’illustration « China Eastern Airlines Boeing 737-800 » par lasta29 le 18 avril 2015, via WikimediaCommuns.).jpg Certains droits réservés.

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