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    05/11/2021

    « Un bicot comme ça, ça ne nage pas » : quatre mois de prison avec sursis requis contre le policier

    « Bicot, ce n’était pas une insulte, c’est un mot familier », justifie le policier

    Par Zaid Zouihri

    Ce jeudi 4 novembre, sept policiers comparaissaient pour insulte raciste et violences, au moment de l’interpellation de Samir E., tout juste sorti de la Seine. Une vidéo amateur de la scène, révélée par Taha Bouhafs avait fait scandale.

    « On veut que mon client obtienne justice, que la violence policière à caractère raciste soit reconnue et que le fonctionnement de cette violence dans la police soit évoqué », lâche Arié Alimi, avocat de la partie civile, avant de rentrer dans la salle d’audience. Ce jeudi 4 novembre, dans le palais de Justice de Bobigny, il défend Samir E. Un Egyptien de 29 ans qui, pour fuir la police a sauté dans la Seine. Sur le quai, il est menotté et transporté vers un fourgon. Sur le trajet, il est insulté de « bicot ». Arrivé dans le camion de la police, il dit avoir été passé à tabac. Si l’affaire est jugée aujourd’hui, plus d’un an après les faits, c’est grâce à une vidéo amateur, filmée par deux frères habitants près de la scène de violence. Ces derniers ont été cités comme témoins à l’audience. Elle a ensuite été diffusée par le journaliste Taha Bouhafs (Le Média).

    À 10h, la sonnerie retentit dans la petite salle du palais de Justice de Bobigny. Sur la gauche, Samir E. est assis près de son interprète. Il parle un français approximatif. Derrière lui son avocat maître Arié Alimi ainsi que la Licra, SOS Racisme, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, ainsi que la Ligue des droits de l’Homme. Tous se sont portés parties civiles. Sur la droite, sept fonctionnaires de police présents lors de la nuit des faits. Ils sont mis en cause pour violence en réunion. Principal prévenu, Pierre C, auteur du : « Un bicot ça nage pas » est en plus poursuivi pour « injure à caractère raciale sur la voie publique ».

    « Le bouffon est sorti de l’eau »

    Après avoir entendu le rappel des faits ainsi que les versions de chacun des prévenus et de la victime, c’est l’heure de la séance vidéo. À l’aide d’un rétroprojecteur et d’un ordinateur daté, le tribunal projette, sur un vieil écran en toile, un enregistrement des échanges radio de l’équipe de policiers présente la nuit des faits. « Là écoutez, on entend : “Le bouffon est sorti de l’eau” » appuie Arié Alimi en se levant de sa chaise. Il saisit le rapport de l’IGPN dans son élan où est retranscrit le passage, mais de manière édulcorée : « Il est écrit dans le rapport : “il est sorti de l’eau” ». Il dira par la suite à la barre : « Il y a eu beaucoup de mensonges par l’IGPN ».

    Ensuite, la vidéo des événements est diffusée, sous les yeux de Taha Bouhafs, le journaliste ayant révélé l’affaire. Silence dans la salle. Lorsque la porte du coffre se ferme sur Samir, on entend les cris de la victime accompagnés de bruits sourds et de rires des policiers. Dans la salle, le jeune égyptien cache son visage durant l’intégralité de la vidéo. Un peu plus tôt, il dira à la barre être encore « traumatisé » par l’événement et avoir des insomnies. Un état confirmé par un psychiatre chargé de faire son bilan psychologique dans le cadre de l’enquête.

    « Bicot, ce n’est pas une insulte »

    Dans la vidéo publiée sur les réseaux sociaux le lendemain des faits, il y a aussi l’insulte lâchée clairement et qui a résonné plusieurs fois lors du procès. « Un bicot, ça nage pas ». Questionné sur la gravité de ses propos, le fonctionnaire de police Pierre C, répond à la barre « Pour moi bicot, ce n’était pas une insulte, c’est un mot familier » et conclut :

    « Je l’ai fait pour amuser la galerie »

    Entre consternation et rire, l’audience ne sait comment réagir. Plus tard dans le procès, le commissaire divisionnaire Vincent L. est appelé à la barre en qualité de témoin. Il est cité à comparaître à la demande de Maître Alimi. Sur le rapport de l’IGPN, Vincent condamne les propos avant de dire : « C’est dû à un relâchement post-intervention ». Sur le rapport il dira que l’insulte est « maladroite ».

    Présent, le président de SOS Racisme revient, lors de son plaidoyer, à l’injure :

    « L’utilisation de bicot renvoie à l’époque de l’Algérie coloniale et de l’Organisation de l’armée secrète. Il n’y a jamais eu de doute sur son caractère injurieux. »

    Il évoquera également la tragédie du 17 octobre 1961 où des centaines d’Algériens ont été jeté dans la Seine « parce que bicots », sur les ordres du préfet Maurice Papon. Le procureur de la République, dans son réquisitoire qualifie les propos de Pierre C. « d’indignes de la part d’une personne représentant l’État ».

    Sur le chef « violence en réunion », les policiers sont unanimes : il ne s’est rien passé. À la barre, Samir E assure pourtant à son interprète qui traduit ses mots en arabe :

    « Ils m’ont tapé avec des coups de poing et des coups de pied. »

    Au même moment, un des prévenus assis face à lui dodeline de la tête. Il dit également que la prévenue Célestine lui a donné des coups de botte sur la tête « en me disant de dire désolé ». « Le calvaire continu », ajoute-t-il, dans le commissariat d’Asnières sur Seine où il a été placé en garde à vue pour vol (des faits pour lesquels il a été disculpé).

    Si les vidéos ne montrent pas ce qui se passe à l’intérieur du fourgon, on entend des « coups creux » et des cris mêlés aux rires des quatre policiers présents à l’arrière. Les fonctionnaires disent qu’ils riaient de leurs collègues sales après avoir repêché Samir E. « On se détend » lâche Pierre pour expliquer le rire. Un autre enregistrement audio est apporté par la partie civile. « Mec, tu l’as éclaté au sol », peut-on entendre. L’avocat de Samir insiste sur cette phrase. La défense s’offusque. « Mme la présidente, il –maître Alimi – vous dit ce que vous êtes censé entendre, il a dit éclaboussé ». S’ensuit cinq minutes de débat houleux.

    Remise en cause de l’enquête de l’IGPN

    Vers 21h, Maître Alimi se lève. « Il y a deux victimes, mon client et la justice ». Il remet en cause la qualité de l’enquête de l’IGPN : un prévenu nommé Alexandre n’a pas été auditionné par la police des polices, alors qu’il était dans le fourgon avec Samir E. « Pourquoi à l’IGPN on n’a pas confronté les fonctionnaires de police avec Samir, pourquoi il n’y a pas eu d’enquête de voisinage, pourquoi Samir n’a pas eu d’interprète lors de son audition. L’IGPN n’a pas voulu enquêter. » Le débat est lancé.

    Le procureur requiert contre Pierre C. quatre mois avec sursis et 1.000 euros d’amendes pour les insultes. Contre les six autres fonctionnaires de police poursuivis pour des violences sur citation directe de la partie civile, le ministère public n’a pas requis de condamnation, faute de preuve formelle. « Personne n’a vu ce qui s’est passé », a-t-il relevé.

    À LIRE AUSSI : Samir, traité de « bicot » par des policiers, aujourd’hui menacé d’expulsion

    Image de Une : photo d’illustration : « Entrée du Tribunal de Grande Instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis), France » par Clicsouris via Wikimedia Commons. Certains droits réservés._

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