« J’aurais dû fermer ma gueule. Mais sur le moment, je n’ai pas eu la patience qu’il fallait et je le paie aujourd’hui. » Posé sur le rebord d’un muret à Saint-Denis, Wissem, agent de sécurité de métier, revient sur son interpellation et les violences qu’il a subies le 27 août dernier par des policiers du commissariat du 19ème arrondissement. Les coups des forces de l’ordre lui ont causé un traumatisme crânien, fracturé le plancher orbital et le nez, selon un examen médical que StreetPress a consulté.
Il est entre 21h30 et 22h quand il dépose ses trois enfants chez son ex-compagne, boulevard MacDonald. Côté passager, il y a Céline, sa petite amie, qui tient son chaton dans les bras. « On s’est à peine engagé sur la route qu’une voiture siglée [de la police] arrive à toute vitesse en sens interdit et nous coupe le chemin », rembobine cette vingtenaire aux cheveux tirés en arrière, qui n’a pas eu le temps de mettre sa ceinture.
Wissem pile. « Je m’arrête vraiment à deux centimètres », se souvient-il. Le couple apprendra plus tard que les policiers ont confondu leur 306 bleu clair avec une 306 grise conduite « par quelqu’un de type africain », détaille Wissem. « Au départ, je n’ai rien fait, je n’ai commis aucune infraction », dit-il, l’air blasé. Céline voit les policiers « sortir comme des fous ». Face à cet arrêt brutal, Wissem réagit immédiatement :
« Je sors la tête et je demande ce qu’il se passe. Je ne pensais même pas que c’était pour nous. Et ils me disent : “Tu fermes ta gueule, c’est la police”. »
Des provocations d’un policier
Il n’en faut pas plus pour que le conducteur s’énerve. Wissem répond : « Mais je m’en bats les couilles, on ne vient pas de cette manière-là ! J’ai failli vous rentrer dedans ! » L’homme concède « ne pas avoir sa langue dans sa poche ». En face, les bleus enchérissent : « Ferme ta gueule, descend du véhicule et coupe le contact. » Wissem sort et met directement les mains sur le capot. Un des policiers commence à lui faire une palpation et lui sert violemment les testicules (c’est une agression sexuelle, punie par la loi). « J’ai enlevé sa main et j’ai crié : “Doucement”. Il a recommencé et me les a écrasées encore plus fort », raconte le trentenaire à la doudoune sombre. Dans la voiture, Céline entend son compagnon crier. Wissem demande que le fonctionnaire en question ne le touche plus :
« Il m’a répondu : “Tu vas faire quoi avec ton 1m32 ?”. J’ai pété un plomb, la douleur est montée à ma tête et je lui ai dit : “Je fais 1m32 mais je peux te la mettre dans le cul si t’es pas content”. »
Le policier arrête de le palper et commence à fouiller sa sacoche. Wissem lui lance : « Tu ne fouilles pas ma sacoche, je te l’ouvre et je te montre ce qu’il y a dedans ». Il sait que seul un officier de police judiciaire est habilité à le faire sur la voie publique. L’agent le provoque. « Mets-moi un coup », l’entend-on dire sur une vidéo filmée par Céline, qui a déclenché sa caméra lors de la palpation.
« On va te monter en l’air, tu vas fermer ta gueule »
Wissem dégoupille : « Tu crois que tu me fais peur avec ta gueule ? Vieux keuf de merde. » Les policiers décident de l’embarquer pour outrage. Sur la vidéo de Céline, que StreetPress a consultée, les quatre agents se jettent sur lui, prennent ses bras, tentent de le menotter et de le mettre à terre. Devant la scène qui dégénère, Céline leur crie que son compagnon a des problèmes cardiaques. Wissem a le syndrome de Brugada, une maladie génétique rare qui entraîne un risque accru d’arythmie et d’arrêt du cœur. « Toute émotion forte part en tachycardie », complète Céline. Son compagnon tente de rester debout. « J’ai entendu tellement d’histoires où les policiers vous mettent par terre et vous écrasent. J’étais en mode survie », se justifie-t-il. Autour, des policiers sont arrivés en renfort car un attroupement de jeunes s’est formé, d’après une témoin de la scène contactée par StreetPress. Les agents mettent leurs lampes torches au niveau des téléphones des spectateurs pour les empêcher de filmer, explique cette observatrice.
Wissem finit par lâcher prise après un étranglement d’un policier. À terre, un des agents met ses deux genoux sur lui – sur le cou et le bas du dos – et un autre lui frappe les mains avec des menottes. « On s’en occupe correctement », explique un des fonctionnaires à Céline. Pourtant, après une insulte de Wissem, un des bleus lui promet :
« On va te monter en l’air, tu vas fermer ta gueule ! »
Trauma crânien, nez fracturé, visage boursouflé
Dans le Berlingo en route vers le commissariat du 19ème arrondissement, Wissem raconte s’être fait frapper à de nombreuses reprises. À sa droite, un agent lui met « une dizaine de coups dans le ventre, les testicules et le visage ». À gauche, un autre lui aurait tiré les menottes et les bras vers le haut et lui aurait craché au visage. Quant au fonctionnaire devant, côté passager, il lui « tire les cheveux et [lui] met des gifles ». « Il n’y a que celui qui conduisait qui ne m’a rien fait. » En parallèle, ils continuent de le provoquer, explique-t-il. « Ils m’ont dit : “Ta femme, on va la baiser”, “Tes enfants, ça va être des merdes comme toi et on va s’en occuper comme toi.” »
Arrivé au commissariat du 19ème, le groupe apprend qu’il n’y a plus de place et reprend la route vers le poste de police du 10ème. Une fois dans les locaux des forces de l’ordre, Wissem se prend un dernier et violent coup de poing dans l’œil droit par un des policiers de la bande.
À l'hôpital Lariboisière, la nuit des faits, les médecins décèlent chez Wissem un traumatisme crânien, une fracture du plancher et de la paroi interne de l'orbite droit et une fracture des os propres du nez. / Crédits : DR
Deux jours plus tard, quand Céline revoit Wissem après sa garde à vue, elle est sous le choc. « Il a une minerve, l’oeil droit super gonflé et le nez de traviole », se souvient-elle. « Mon oeil avait triplé de volume, c’était très douloureux », précise le trentenaire. Après avoir fait un malaise dans le commissariat, il est emmené à l’hôpital Lariboisière de Paris. Là-bas, les médecins décèlent un traumatisme crânien, une fracture du plancher et de la paroi interne de l’orbite droit et une fracture des os propres du nez, selon un certificat médical que s’est procuré StreetPress. Un second examen lui donne « au moins dix jours d’ITT, sous réserve de complications ultérieures ».
Dans la vidéo consultée par StreetPress, on ne voit aucune trace sur le visage de Wissem lors de son interpellation. Nous avons aussi pu voir des photos de son visage tuméfié à la sortie du commissariat. C’est donc bien dans les mains de la police que l’homme s’est fait violenter.
Un certificat médical fait quelques jours après les violences lui a donné « au moins dix jours d'ITT ». / Crédits : DR
Une plainte auprès de l’IGPN
Wissem est convoqué en janvier devant la justice pour outrage et rébellion. Des faits qu’il reconnaît :
« Oui, je les ai insultés, parce qu’ils m’ont manqué de respect, même si je devais la fermer. Et je me suis rebellé car j’avais peur qu’ils m’écrasent avec mes problèmes cardiaques. »
Par contre, les fonctionnaires ont aussi porté plainte contre lui pour violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique. « Ils ont dit que je leur avais mis des coups de coude. Dans la voiture, j’étais menotté, comment je pouvais les frapper », questionne le trentenaire.
De son côté, l’agent de sécurité a porté plainte auprès de l’IGPN pour violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique et injures, mais aussi pour des menaces. « Quand je suis sorti de l’hôpital et que j’ai été ramené en garde à vue au commissariat du 19ème arrondissement, l’OPJ m’a intimidé », explique-t-il. L’officier lui aurait sommé de ne pas publier la vidéo filmée par Céline :
« Sinon, il m’a dit qu’il allait “s’occuper de moi personnellement”. »
Contactée pour savoir si les policiers ont reçu des jours d’ITT pour ces violences, la préfecture de police n’a pas répondu sur ce point. Elle a, par contre, confirmé à StreetPress qu’une enquête a été ouverte auprès de l’IGPN, sous l’autorité du procureur de la République.
Wissem a porté plainte auprès de l'IGPN pour violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique et injures, mais aussi pour des menaces. / Crédits : DR
Des enquêtes visent déjà ce commissariat
StreetPress a déjà publié deux enquêtes en novembre 2020 et en avril 2021 sur des violences contre des gardés à vue du commissariat du 19ème arrondissement de Paris. La première présentait des scènes d’une extrême brutalité, que des témoins et victimes qualifiaient de « torture ». Notre deuxième article, en partenariat avec Le Media, racontait l’histoire de Tommi, qui a subi des violences et un viol dans les locaux du commissariat. C’est aussi là que le journaliste Valentin Gendrot s’était infiltré. Dans son livre, Flic, il révélait plusieurs cas de violences policières et de faux témoignages contre des victimes. Suite à ces articles, des enquêtes ont également été ouvertes par le parquet de Paris.
À LIRE AUSSI : Des gardés à vue dénoncent « des actes de torture » au commissariat du 19ème arrondissement
Wissem, lui, attend désormais son procès avec appréhension. S’il confie avoir été connu des services de police, sa dernière garde à vue remontait à « plus de dix ans » :
« J’ai trois enfants, je me bats dans la vie. Je ne suis pas en marge, je ne fais pas n’importe quoi. Et là, ça me remet dedans, c’est ça qui m’énerve. »
La photo d’illustration de cet article a été prise par Nnoman Cadoret, dans le cadre de la première enquête sur les violences au sein du commissariat du 19ème arrondissement de Paris, en novembre 2020.
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