Ce mardi 12 octobre, au matin, Moussa (1) et ses 14 camarades doivent quitter leur logement d’urgence à Bordeaux. Ils avaient investi un hôtel social par l’intermédiaire du 115, à la suite de leur expulsion d’un squat dans lequel il vivait de juin 2020 au 23 septembre 2021. « Les personnes de l’hôtel sont arrivées pour nous dire de quitter nos chambres dans trente minutes », se rappelle le jeune homme de 16 ans, originaire de Côte d’Ivoire.
À la recherche de solutions, et aidé du collectif Kabako – un organisme bordelais qui vient en aide aux mineurs étrangers – c’est lundi soir, soit la veille de l’expulsion, que la préfecture de Gironde appelle le collectif pour annoncer leur proposition. Celle-ci prolonge leur hébergement et leur évite la rue, s’ils s’engagent à retourner dans leur pays d’origine. « Par téléphone, la directrice du cabinet de la sous-préfecture nous a dit : “On leur propose d’être hébergés dans un foyer s’ils acceptent l’aide au retour et qu’ils signent le papier” », explique Claire, militante auprès du collectif Kabako. Un ultimatum qui ne passe pas pour cette dernière :
« C’est du gros foutage de gueule. La préfecture sait très bien qu’ils ne vont jamais accepter, ne serait-ce que l’idée d’un retour au pays. »
Une situation très précaire
La militante a demandé à son interlocutrice de « caractériser cette proposition par mail, elle a répondu en disant qu’il s’agirait d’un rendez-vous mardi à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, (Ofii) sur la base du volontariat. Il n’y a pas eu de prises de rendez-vous individuel ni de convocation nominative. » Aucun des jeunes migrants ne s’est présenté à l’Ofii mardi. Moussa, lui, n’a pas reçu de convocation et n’a pas été informé. Il est catégorique :
« On n’ira pas au rendez-vous car on ne va pas accepter de signer un papier pour retourner au pays. »
En attendant, « aucune solution d’hébergement n’a été proposée par la préfecture et par le département », explique Maria de la Cimade à Bordeaux. Cette association de solidarité et de défense de droits pour les personnes étrangères a publié le 13 octobre un communiqué de presse avec Médecins du Monde pour dénoncer la situation.
« On a passé la journée dans la rue, avant que le collectif Kabako ne nous propose des logements pour quelques jours », détaille Moussa. Grâce aux bénévoles, les 15 jeunes ont réussi à trouver refuge dans des hébergements solidaires. « On a lancé un appel le jour-même pour essayer d’avoir de quoi les accueillir pour le soir. Une dizaine de personnes nous ont proposé des hébergements solidaires de deux jours ou d’une semaine, c’est très précaire », raconte Claire.
« Demain je vais devoir quitter l’endroit où je dors car la dame ne pouvait nous héberger que trois jours. Pour l’instant nous n’avons pas d’autres solutions », s’inquiète Moussa.
Des procédures en cours pour être protégés
Avec cet ultimatum laissant le choix entre la rue et le charter, la préfecture de Gironde « ne tient pas compte de la présomption de minorité » des 15 mineurs isolés de Bordeaux. Une problématique que rencontrent tous les migrants mineurs en France. Lors de leur arrivée sur le territoire, des services sociaux évaluent leur âge. Si la minorité leur est refusée, les mineurs isolés ne bénéficient alors pas des droits de protection que la France accorde aux mineurs. Seule solution pour toutes ces personnes : demander un recours et passer devant un juge pour enfants afin de prouver leur minorité.
« La période de recours dure entre trois à six mois, dans ce laps de temps, il n’y a aucune prise en charge – scolarité, hébergement, nourriture – prévue par la loi pour les mineurs », rappelle Maria de la Cimade. Moussa est dans l’attente de son audience pour prouver qu’il a bien 16 ans, après que les services sociaux lui ont refusé sa minorité. Comme lui, les 14 autres mineurs exilés sont en procédure de recours. Et pour Claire du collectif Kabako, le fait que la préfecture fasse une proposition de retour au pays à des mineurs potentiels alors que des procédures sont en cours, « c’est inédit ». Maria abonde avec rage :
« C’est une proposition scandaleuse ! L’aide au retour est une aide qui est proposée uniquement aux adultes. Conditionner un hébergement avec l’acceptation d’une aide de retour volontaire sans tenir compte de la date d’audience pour le recours de ces jeunes, on n’avait jamais vu ça ».
La Cimade a d’ores et déjà saisi le secrétariat d’État chargé de l’enfance. L’association a invité le cabinet à se rapprocher de la préfecture et du département « pour savoir si tout a bien été fait dans les règles, ce dont on doute fortement. Il examine la situation », explique Maria. L’association a également saisi le Défenseur des droits pour qu’il puisse demander des explications sur les éléments de procédure. Contactée par StreetPress, l’autorité administrative indépendante nous a déclarés qu’une instruction est en cours et qu’elle ne peut pas, à l’heure actuelle, donner plus d’informations. Quant à la préfecture de Gironde, elle n’a pas répondu aux questions de StreetPress et s’est contentée de détailler le dispositif d’aide au retour, arguant que la démarche est « basée sur le volontariat ». Pour l’heure, elle n’est pas revenue sur sa proposition : le charter ou la rue.
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(1) Le prénom a été modifié.
Photo d’illustration prise lors d’un reportage de Loana Berbedj en novembre 2020 à Paris, pour StreetPress.
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