Les étudiants circulent en nombre sur les allées ensoleillées du campus Jussieu, ce vendredi 8 octobre. Avec son balai abîmé, Tharaka (1), 41 ans, passe auprès d’eux pour ramasser les mégots de cigarettes, papiers d’emballage et autres détritus qui traînent par terre. « Cette année il y a beaucoup d’étudiants, donc beaucoup plus de poubelles. » Depuis 12 ans, l’agent d’entretien est chargé de nettoyer le parvis du campus. Il exécute sa tâche du lundi au vendredi, 7h par jour. Il trimballe son balai, sa pelle et la grande poubelle qu’il surplombe à peine à la recherche des déchets. Il vide aussi les poubelles extérieures de toute la fac avec ses mains, usées par le travail. « Avant j’avais une machine que je conduisais pour nettoyer les parvis et ramasser les ordures. Maintenant on me donne uniquement un balai et je dois tout faire à la main. Physiquement c’est dur, j’ai de plus en plus mal au dos » raconte-t-il avec un regard éreinté.
Tharaka fait partie des 130 agents d’entretien qui se sont mobilisés contre Arc En Ciel, l’entreprise sous-traitante qui gère le nettoyage du campus depuis février 2021. Tous ont lutté contre notamment les heures supplémentaires non payées, la surcharge de travail et les pressions incessantes. Au terme d’une grève de huit jours, les agents d’entretien ont réussi à contraindre l’entreprise à accepter leurs revendications.
« Avec l’arrivée du manageur d’Arc En Ciel, la bombe a éclaté »
Arrivé en France seul en 2004, Tharaka a dû attendre plusieurs années avant d’obtenir la carte de séjour, préalable pour pouvoir être salarié. Il commence ensuite son emploi à Jussieu et investit un appartement à Blanc-Mesnil, « à une heure de transport depuis le travail ». Un rythme de vie qu’il se contente de décrire comme « pas facile ». En plus du manque de moyens, l’homme originaire du Sri Lanka enchaîne les heures supplémentaires non payées pour recevoir chaque mois, un SMIC. « J’ai commencé à avoir beaucoup trop de travail. On m’a demandé de nettoyer des bureaux en plus des tâches que je devais faire, sans augmenter mes heures et pour le même salaire ». Un point de bascule qui le convainc de participer à la mobilisation. À Jussieu, la CGT a comptabilisé plus de 1000 heures non payées. Au mois d’août, l’entreprise sous-traitante aurait fait travailler 20 agents d’entretien alors qu’elle en a déclaré 30 à l’université, explique le syndicat. Ce qui a engendré une surcharge de tâches pour ces 20 personnes.
Le 14 septembre, l’ensemble des agents d’entretien dit stop. Le piquet de grève est planté. Tous expriment un vrai ras le bol. Pour la plupart c’est la première fois qu’ils se mobilisent. « Avec l’arrivée de l’ancien manageur d’Arc En Ciel, la bombe a éclaté. Il nous parlait très mal et faisait pression sur nous pour travailler plus. Certaines d’entre nous ne voulaient plus venir, elles étaient démoralisées » raconte Bintou (1) qui bosse à Jussieu depuis bientôt 10 ans, trois heures par jour. La cinquantaine, la grande femme à la tenue flashy et au fort tempérament n’est pas du genre à se laisser intimider. Mais ce n’est pas le cas pour tous. « Une de nos collègues devait faire les couloirs et les toilettes de toute une tour. Elle pleurait souvent car elle n’en pouvait plus. Je lui ai dit qu’elle devait refuser. »
La mobilisation trouve un écho au sein de la fac. Le combat des agents d’entretien est soutenu par des étudiants et professeurs. Une pétition a recueilli plus de 2.000 signatures et plus de 17.000 euros ont été récoltés dans une cagnotte mise en ligne.
Un métier difficile
Parmi les grévistes, il y avait aussi Khedidja (1). « Je n’ai pas eu de boulot en plus mais j’étais solidaire avec mes collègues. » La femme n’a pas besoin d’heure supplémentaire pour s’épuiser à la tâche. Aujourd’hui elle continue de transporter des papiers toilettes entre le local d’entretien et la tour où elle travaille dans un sac-poubelle qui traîne au sol. À la soixantaine, Khedidja, petite de taille, au regard timide et au pas ralenti, a passé plus d’un tiers de sa vie à entretenir la faculté. Elle nettoie bureaux, toilettes et couloirs d’un bâtiment. Depuis quelque temps, elle assure son job avec de plus en plus de difficultés physiques. « Je me sens fatiguée. J’ai des problèmes de tension et de diabète » raconte-t-elle d’une voix frêle.
Chaque jour, elle prend les transports en commun depuis le 19eme arrondissement pour effectuer son service de 13h à 20h, pour le salaire minimum. « Lorsqu’il y a des problèmes dans le métro, je rentre à la maison à 21h, mon médecin m’a dit que ce n’était pas bon pour ma maladie dans le cadre de ma prise de médicament. » Ce dernier l’a sommé de modifier ses horaires pour travailler plus tôt. Une demande qu’elle a faite auprès d’Arc En Ciel. Aujourd’hui elle attend la réponse et continue de prendre son mal en patience. Car pour Khedidja, ce boulot représente tout pour sa famille. « Je suis arrivée très jeune de Tunisie avec mon mari. J’ai commencé à travailler lorsque mes enfants étaient plus grands, pour leur payer les études et qu’ils puissent réussir dans la vie. C’est pour ça que je bosse dur ». Quand elle raconte que son aîné, marié et père de trois enfants, travaille dans l’informatique, son visage s’illumine derrière son masque. Maintenant elle se projette, « d’ici deux ou trois ans, je prendrais ma retraite ».
Une victoire en demi-teinte
Grâce à la mobilisation de tous, les agents d’entretien ont obtenu des garanties. L’entreprise sous-traitante doit régler l’ensemble des heures supplémentaires non payées et proposer une réorganisation du temps de travail. La société a également changé le manager du site et a promis qu’il n’y aurait aucun licenciement. Même si un protocole respectant presque toutes les revendications portées par les salariés a été signé vendredi 24 septembre, Solveig Langen de la CGT, reste sur ses gardes :
« On attend de voir à quoi va ressembler le plan de travail. Ce n’est pas acquis. On surveille aussi Arc En Ciel pour qu’ils ne mettent pas de sanctions déguisées comme de la pression informelle. »
La CGT étudie également le dossier de huit salariés qui n’ont pas vu leur contrat renouvelé en juin dernier. « Ces personnes avaient bossé pour Arc En Ciel plusieurs mois sans contrat. L’entreprise leur a fait signer en juin des CDD datant de février. Comme ils ne maîtrisent pas très bien le français ils ont signé et se sont fait avoir. On étudie le problème pour voir si on peut porter l’affaire aux prud’hommes » explique Michel Krawczyk, un des responsables du syndicat CGT. Plus d’une semaine après la signature du protocole, Tharaka attend quant à lui, toujours le chèque que l’entreprise Arc En Ciel à promis de verser à tous ceux qui font des heures sup.
(1) Les prénoms ont été modifié
La direction d’Arc En Ciel n’a pas répondu à nos sollicitations.
Image de Une : photo d’illustration “Les Grands Espaces vides” par Groume le 31 mai 2012 via Flickr. Certains droits réservés.
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