En ce moment

    06/05/2021

    « C’est dommage d’être obligée de lire en anglais pour se sentir représentée »

    Les blogueuses littéraires réclament plus de personnages et d’auteurs racisés

    Par Emilie Rappeneau

    Elles sont jeunes et racisées, et ne se reconnaissent pas dans les héroïnes que propose la littérature francophone. Sur Instagram, Youtube ou TikTok ces lectrices poussent le monde de l’édition à s’ouvrir.

    « Lorsque ma nièce subissait des discriminations, j’ai voulu développer son estime de soi », explique Awa, 30 ans, originaire de Côte d’Ivoire :

    « Mais en cherchant des héroïnes noires pour elle, j’ai cogné le mur. »

    Après une nuit entière de recherches, elle ne trouve que des références anglo-saxonnes. « On n’a pas idée des dégâts que ce manque de représentation cause chez les adultes en devenir », regrette Awa. La jeune femme, connue sous le nom de « Miss afro lectrice » recommande sur Instagram les livres qu’elle aurait aimé lire plus tôt, axés sur la diversité. Dans le sillage du mouvement Black Lives Matter de l’année dernière, plusieurs jeunes femmes racisées investissent les réseaux sociaux pour défendre une littérature française plus inclusive. Elles voudraient interpeller « le milieu de l’édition blanc, parisien et bourgeois », comme le définit Delphine Nguyen du blog DelphReads.

    Si peu de héros racisés

    « La France, faites des efforts ! », tempête Lydia de la chaîne Booktube ZuttoDoesStuff. Originaire de Martinique, elle fait partie du collectif Instagram Les Bookvengers, un groupe de blogueuses qui fait la promotion de livres « inclusifs et cools » et combat les stéréotypes racistes, encore trop présents dans la littérature jeunesse et jeune adulte française. « C’est dommage d’être obligée de lire en anglais pour se sentir représentée », soupire Lydia :

    « Enfant, je n’arrivais pas à imaginer des personnages autres que blancs. J’avais l’impression qu’on ne pouvait pas être noire et vivre des histoires. »

    Et pas seulement des romans où les personnages racisés sont victimes de violences policières et de discrimination. « Nous n’existons pas qu’à travers nos luttes », rappelle Élodie-Aude du blog La Booktillaise.

    À LIRE AUSSI : La tontine, une alternative pour les personnes racisées victimes de discriminations bancaires

    L’invisibilisation des minorités passe également par les couvertures. Trop souvent, lorsqu’un auteur racisé met en scène un personnage racisé, ce dernier n’apparaît pas sur la couverture. Et quand ils apparaissent, ils sont parfois exotisés et caricaturaux.

    Des livres « own voices »

    Les blogueuses réclament plus de bouquins « own voices », comprendre des livres avec des personnages racisés, rédigés par des auteurs faisant partie des communautés sur lesquelles ils écrivent. Les rares romans own voices publiés en France sont signés par des auteurs anglophones. Et même dans ce cas-là, « ils réussissent à foirer la traduction », soupire Hajar, plus connue sous le nom de « Bulle d’Encre » sur Instagram. Elle ne comprend pas non plus pourquoi la traduction de certains best-sellers anglo-saxons « ne vient jamais ». L’étudiante en sciences politiques prend l’exemple de We Hunt the Flame écrit par Hafsah Faizal, autrice américaine porteuse du voile intégral. Depuis sa sortie en 2019 aux États-Unis, le roman d’aventure se déroulant dans un monde arabophone fait un tabac. Il a été traduit dans de multiples langues, mais toujours pas en français.

    À LIRE AUSSI : Marie Dasylva, coach de vie en entreprise pour femmes racisées

    Autre problème décelé par les blogueuses : le manque de communication autour des livres écrits par des auteurs racisés. « Aux U.S, on sait ce qui paraît en 2023. En France, on n’est pas sûrs de ce qui sort le mois prochain », ironise Lydia. Les blogueuses interrogées regrettent également le manque de communication des maisons d’édition autour des rares livres own voices. Raison pour laquelle la blogosphère littéraire a créé son propre répertoire de sorties, sur le blog Planète Diversité. De son côté, le média en ligne La Voix des Lectrices tient les blogueuses au courant de l’actu littéraire tout en étant axé sur la diversité.

    Prendre la plume

    Aujourd’hui, les blogueuses continuent « d’attraper le col des maisons d’éditions sur les réseaux sociaux », comme l’explique Delphine avec un sourire. Une de leurs requêtes principales : l’embauche de « sensitivity readers », des lecteurs concernés chargés de relever les propos racistes, homophobes ou misogynes dans les manuscrits. Si la pratique est courante dans l’édition anglophone, ce n’est pas encore le cas en France. « On a besoin dans l’édition française de gens qui aident à trouver les mots adaptés, qui font les recherches nécessaires pour ne pas heurter la sensibilité des lecteurs », résume Awa.

    Pour ces blogueuses, la réappropriation de la littérature passe souvent par l’écriture de leurs propres récits. Elodie-Aude du blog La Booktillaise s’est auto-publiée sur Wattpad. Delphine du blog DelphReads a un manuscrit en cours sur le racisme anti-asiatique en milieu scolaire. Quant à Lydia des Bookvengers, elle concrétise un projet de série fantaisie qui se déroule à Saint-Denis et met en scène des super-héros noirs. Hajar a tout juste 19 ans, mais son premier roman paraît prochainement chez Relicha Édition. « J’ai voulu délivrer un message de diversité dans ce roman », explique la jeune femme :

    « Le personnage principal est une fille maghrébine et musulmane. »

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER