Cergy (95) – « “Si je n’étais pas en uniforme je t’aurais tué fils de pute.” Un policier est-il en droit de dire ça à un citoyen en règle ? », fait mine de s’interroger Shahin Hazamy, 25 ans. Le jeune homme en survêtement, cheveux noirs et bouclés, est en conférence de presse avec son avocat, maître Nabil Boudi, devant l’hôtel de police. Il raconte son histoire devant quelques agents en uniforme et une dizaine de photographes présents. Ce jeudi 15 avril, alors qu’il se rend dans sa famille à Cergy, il est arrêté et brutalement interpellé par une patrouille de police de la BST (Brigade Spécialisée de Terrain) :
« Ils m’ont reconnu au stop et ont fait demi-tour pour me suivre jusque chez moi. »
La vidéo de son interpellation, filmée par des voisins et partagée sur son compte Instagram, a été relayée par des centaines d’internautes. Suivi par plus de 23.000 personnes, Shahin Hazamy est connu comme « ghetto reporter », comme il aime s’appeler. Il informe sur l’actualité des quartiers de France, et s’engage contre les violences policières.
Suivi par plus de 23.000 personnes, Shahin Hazamy est connu comme « ghetto reporter ». / Crédits : Émilie Rappeneau
Ciblé parce qu’il dénonce les violences policières
« Ce sont des violences psychologiques qu’il a subies », poursuit Maître Nabil Boudi. À peine sorti de son véhicule, Shahin Hazamy est verbalisé pour non-port du masque par un policier, « qui lui-même n’en porte pas », insiste le jeune homme. La tension monte lorsque le policier lui colle une deuxième amende pour non-présentation du permis. « Vous ne m’avez pas demandé de le sortir », lui aurait répondu le reporter. Sa petite sœur l’appelle sur son téléphone, il répond, les policiers interprètent le geste comme une provocation. « Je ne me suis pas laissé faire. Je connais la loi et mes droits : les policiers doivent avoir leur numéro RIO, qu’ils ne portaient pas. La confrontation est partie de là. » Shahin est violemment embarqué pour menace, incitation à la rébellion, et actes d’intimidation. Deux charges sur trois ont été abandonnées. « Mais il y a plus grave », insiste Shahin :
« J’ai vécu ce dont beaucoup de banlieusards sont victimes : du contrôle au faciès, des agressions, des humiliations, des actes d’intimidation. »
Shahin raconte l’actualité des quartiers de France, et n'hésite pas à dénoncer les violences policières. / Crédits : Émilie Rappeneau
Le jeune homme a grandi entre la cité Paganini dans le 20e arrondissement de Paris, et le quartier de Cergy-le-Haut. « Shahin a été agressée et menacée en premier lieu parce qu’il est banlieusard. Parce qu’il est arabe. Parce qu’il est habillé en survêtement », insiste le reporter en parlant de lui à la troisième personne. Il raconte son enfance marquée par une relation tendue avec la police, mais aussi son sentiment d’appartenance, de communauté et de fierté qu’il entretient avec son quartier. Passionné de photographie, il décide de capturer le quotidien de sa cité avec un appareil offert par son cousin :
« À 11 ou 12 ans, j’ai photographié et tout filmé au quartier ! Des fois on me disait “mais gros t’abuses”. Je filmais les émeutes, on me disait “mais non ne filme pas ça”. Mais moi je kiffais ! »
Le jeune homme a passé son enfance entre la cité Paganini dans le 20e arrondissement de Paris, et le quartier de Cergy-le-Haut. / Crédits : Émilie Rappeneau
Petit à petit, son travail est suivi sur Instagram. Depuis 2017, il tente de « filmer les révoltes de l’intérieur ». Il ajoute :
« Tous mes abonnés de banlieue sont mes reporters : ils sont mes yeux et mes oreilles. »
Il assure que son statut de banlieusard lui permet de dénicher des histoires exclusives, comme celle de Déborah de Garges-lès-Gonesse. En décembre 2020, la jeune femme de 23 ans perd son bébé dix jours après une intervention policière violente. Shahin est le premier journaliste auquel elle choisit de se confier.
Premier sur l’info des quartiers, il se rend aussi dans bon nombre de manifestations et rassemblements contre le racisme ou les violences policières. En février 2020, il est présent à une contre-manifestation à Denfert-Rochereau face à des membres de Génération Identitaire. « On ne peut pas laisser des gens comme ça librement manifester en France ! », estime Shahin, qui avec son équipe chante des slogans antifascistes derrière le cordon de sécurité. « Avec les antifas, on n’a pas grandi dans le même milieu, mais on a la même vision des choses », explique le jeune homme. « Je les soutiens sans pour autant faire partie d’un groupe. »
Shahin couvre aussi des manifestations et rassemblements contre le racisme ou les violences policières. / Crédits : Émilie Rappeneau
Pour autant, Shahin ne perd pas le nord. Il sait que pour être crédible, il faut partager des faits pertinents et vérifiés. Lorsqu’il trie les nombreux mails qu’il reçoit via sa communauté Instagram, il cherche toujours une preuve concrète, que ce soit une vidéo, un PV ou une attestation médicale. Cette démarche d’authenticité est d’autant plus importante que le journaliste est épié de près :
« Sur WhatsApp, des groupes de policiers font tourner ma photo. »
Ainsi, lorsqu’il est sur le terrain, Shahin est accompagné de ses amis, au cas où il serait menacé « par des keufs ou des fachos ». « Ils essaient de fermer mon compte en le signalant en masse pour “incitation à la haine”, alors que c’est simplement du travail de journaliste ! » Malgré ses inquiétudes, il lance prochainement son propre média, ainsi qu’une cagnotte en ligne pour financer du meilleur matériel. Fini les galères de micro et les batteries qui lâchent !
Par et pour la rue
« C’est pas TF1 ici ! », s’exclame Shahin, son fidèle iPhone à la main. Vêtu d’un ensemble Ellesse bleu roi, le jeune homme met à l’aise les bénévoles qu’il interview pour un reportage sur les distributions alimentaires dans les logements du 20ème arrondissement de Paris. Devant le local de St Blaise Solidaire, lieu du tournage, pas de formalités : on plaisante, on donne des nouvelles du quartier et on raconte sa dernière garde à vue. Shahin, toujours à l’affût, repère un cas de violences policières parmi les histoires échangées. « J’écris un article dessus dans la semaine ! », promet-il.
Dans le 20e arrondissement de Paris, Shahin tourne un reportage sur les distributions alimentaires. / Crédits : Émilie Rappeneau
Une casquette de sa propre marque est vissée sur sa tête. À côté de son compte Instagram, Shahin gère une société de transports et de chauffeurs privée et familiale, avec laquelle il gagne sa vie. Il a aussi monté une association d’entraide, qui met en relation étudiants et employeurs. Reste sa marque de prêt-à-porter basée sur sa propre photographie. « Ça va parce que je ne suis pas tout seul à tout gérer », confie-t-il. « Derrière il y a ma femme, mon équipe, mes potes… »
Si l’Instagram de Shahin est saturé de Breaking News, sa marque de vêtements – Banlieue Ghetto Cité – est un moyen pour le journaliste-citoyen de mettre en avant des figures des banlieues parisiennes. Il imprime sur des casquettes et des T-shirts des portraits de personnes croisées en reportage. « Dans tous les endroits où il y a de la pauvreté, il y a une forme de solidarité magnifique qu’on ne retrouve pas dans le 16ème », explique-t-il avant de conclure :
« Il faut qu’on mette en lumière ces côtés positifs, sinon qui va le faire ? »
Shahin : « Dans tous les endroits où il y a de la pauvreté, il y a une forme de solidarité magnifique qu’on ne retrouve pas dans le 16ème » / Crédits : Émilie Rappeneau
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