5 rue Léon-Jouhaux, Paris 10ème – « Un jour, un mec est entré dans mon salon et a visité les lieux sans dire bonjour. » Djey Aw porte un sourire amusé sur son histoire, tout en étant plutôt fière d’elle :
« Puis cet homme m’a dit d’informer mon patron qu’il voulait racheter le fonds de commerce pour 50.000 euros. Il m’a pris pour la femme de ménage. Une femme noire, pour lui, ça ne pouvait être que la femme de ménage. »
Depuis six ans maintenant, la grande femme aux longues dreadlocks a ouvert son salon de coiffure à deux pas de la place de la République. Elle l’a appelé rafet n’Diort, « pensée positive » en wolof. Elle prend soin des cheveux de ses clients, mais pas que. Ce jour-là, sur la chaise de Djey, Arsène, 44 ans, mange son riz sauce oignon tout en se faisant coiffer. « Ici je me sens chez moi : je ne viens pas au salon, je viens chez une sœur », sourit-il.
« Ici je me sens chez moi : je ne viens pas au salon, je viens chez une sœur », sourit Arsène. / Crédits : Fanta Kébé
C’est l’effet escompté par la cheffe d’entreprise, qui n’a pas sa langue dans sa poche. Son salon est un espace de débats perpétuels. Elle a d’ailleurs lancé son talk YouTube, Soul Sisters, qui veut parler des vécus des femmes racisées. On l’y voit faire ce qu’elle fait de mieux : des dreadlocks, sa spécialité. Ce qui l’a rendu très populaire dans le quartier, y compris chez une clientèle de star.
Ça tourne
« Quand j’ai dit à mon père que je voulais devenir coiffeuse, il m’a dit qu’il n’avait pas fait d’enfants pour qu’ils travaillent dans les cheveux des gens ». La boss et les clientes sont prises d’un fou rire. Juchée sur son haut tabouret, elle raconte avec humour la pression de ses parents et ses études dans le médico-social. « Pourtant, j’ai toujours su, au fond de moi, que je voulais être coiffeuse. » Alors à 37 ans, elle prend son courage à deux mains et ouvre rafet n’Diort. Un pari gagnant, puisque les affaires roulent. Il y a toujours du monde dans son salon. Et même du beau monde ! « Charlotte Adigéry est venue chez moi ! » Djey n’est pas peu fière d’avoir coiffé la chanteuse electro-soul d’origine antillaise. L’artiste a même tourné son clip High Light dans son salon.
Lidiop, le chanteur de reggae du métro repéré grâce à un concours de la RATP, y a également tourné un de ses clips, Avec Elle. La chanteuse zouk Jocelyne Beroard, la première femme disque d’or aux Antilles et ancienne leader du groupe Kassav, a elle été interviewée dans le salon. Pendant que Djey raconte ses belles rencontres, son amie Axelle chante en créole Siwo, l’un des titres emblématiques du groupe :
« Siwo, siwo, an engouement pa résisté… »
Parmi ses prestigieux clients, Djey compte également l’humoriste Fadily Camara. « La première fois qu’elle est venue au salon pour ses soins, j’ignorais qui elle était ! Je ne regarde pas trop la télé… », se souvient la gérante, qui poursuit :
« Une demi-heure plus tard, ma cliente suivante arrive et me dit que c’est l’humoriste Fadily Camara. Aujourd’hui c’est ragot de meuf par ci, ragot de meuf par là ! »
L’artiste vient une à deux fois par mois se faire une beauté et les deux femmes ont noué un lien sororal. « Fadily, c’est comme ma petite sœur. » Raison pour laquelle, Djey n’a pas hésité à la convier sur son premier projet de websérie.
L'humoriste Fadily Camara vient une à deux fois par mois se faire une beauté. Elle est également impliquée dans sa websérie Soul Sisters. / Crédits : Capture d'écran de Soul Sister – YouTube
Soul Sisters
En 2017, la cheffe d’entreprise crée Soul Sisters : une websérie incarnée par des femmes noires qui abordent des sujets sociétaux comme le racisme et le sexisme. Et qui de mieux pour apparaître dans la série que ses amies et clientes ? Y compris les plus prestigieuses :
« Le jour du premier tournage, j’ai demandé à Fadily de venir au salon en urgence. Elle ignorait que c’était pour un court-métrage… À son arrivée, elle n’avait pas d’autre choix que de participer au projet de sa grande copine ! »
Elle invite aussi l’influenceuse Fatou N’Diaye, alias Black Beauty Bag, à participer au show.
Côté réalisation, c’est Hugh Lawson-Body qui s’y colle. Le même qui a produit et réalisé Barber Show, programme identique mais du point de vue masculin, tourné dans un barber shop parisien. Soul Sisters a été diffusée sur YouTube, avant d’être rachetée par la chaîne Vice TV. Dans le salon, en train de se faire coiffer, Rokaya explique qu’il y a toujours des débats dans le salon, avec où sans caméra :
« On évacue nos frustrations à travers nos débats et nos discussions. Partager nos expériences du racisme ou de la sexualisation, entre femmes noires, nous aide à mieux nous protéger. À défaut de pouvoir éradiquer définitivement les discriminations. »
Soul Sisters a été diffusée sur YouTube en 2017, avant d’être rachetée par la chaîne Vice TV. / Crédits : Capture d'écran de YouTube
Une femme engagée
« Je prône le vivre-ensemble même si je sais qu’il y aura toujours des inégalités. Comprendre le vécu de l’autre passe par le dialogue et la réflexion sur ses propres privilèges », assure Djey, qui joint le geste à la parole. En plus d’être la coiffeuse afro – avec un grand L – de République, elle coiffe gratuitement les sans-abris. D’un air solennel, elle déclare : « La dignité n’est pas à vendre. »
Spécialité dreadlocks et thé aux plantes d'hibiscus. / Crédits : Fanta Kébé
« C’est Dieu qui m’a guidé vers elle », assure Samir, 56 ans et sans abri depuis 10 ans. « Après la faim, l’hygiène est le plus grand fardeau des clochards. Djey me coupe les cheveux toutes les deux semaines. Elle traite les poux et mon cuir chevelu avec des soins. » L’homme, ému, laisse couler une larme sur son visage :
« Elle m’a donné plus que ma propre famille. »
Un autre engagement de Djey, plus personnel, est l’adoption et la parentalité. Après Soul Sisters, elle prévoit de remettre le couvert avec une nouvelle émission sur ce sujet. Un thé aux plantes d’hibiscus dans les mains, la boss raconte sa stérilité. Un coup dur pour cette femme qui désirait une famille nombreuse :
« Je ne dormais plus, j’avais perdu des kilos. C’était une période très difficile, surtout que je me suis toujours imaginée avec trois ou quatre enfants. Mais je me suis faite à l’idée grâce à l’amour de mes parents. »
Aujourd’hui, Djey songe à l’adoption. Elle en discute régulièrement au salon et sait le sujet concernant : « Beaucoup de mes clientes et amis sont stériles ou lesbiennes et souhaitent avoir des enfants. Certains ont recours à l’adoption quand d’autres espèrent encore avoir accès à la procréation médicalement assistée (PMA). »
Le tournage de cette nouvelle série débutera à la mi-mars, selon Djey. Elle voudrait mettre en scène des femmes et des hommes en difficulté dans leur fonction de parent, d’un point de vue juridique, institutionnel et culturel.
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