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    11/03/2021

    44 témoignages publiés par StreetPress mettent en cause les policiers de la ville

    Des policiers d’Argenteuil à nouveau mis en cause pour plusieurs violences

    Par Christophe-Cécil Garnier , Fanta Kébé

    Un quadra frappé en août 2019 après un accrochage routier, par des policiers déjà impliqués dans de précédentes violences. Un vingtenaire frappé en mars 2020 pour avoir dérogé au confinement. Nouvelles histoires de violences policières à Argenteuil.

    Pontoise (95) – MBB patiente dans l’un des grands fauteuils en bois marron foncé du tribunal. Ce vendredi 5 mars 2021, la salle d’audience aux murs beiges, qui peut accueillir vingt personnes, sonne creux. Dans son costume foncé, il attend calmement que son histoire soit abordée par le juge en face de lui. Les faits qu’il dénonce ont eu lieu à Argenteuil, en août 2019, où des policiers l’auraient violenté dans la rue et au commissariat. Sauf que MBB n’est pas dans la position du témoin mais de l’accusé : il est jugé pour menace de crime contre un brigadier-chef. Des propos qu’il conteste.

    C’est le 43e témoignage récolté par StreetPress, depuis une enquête en juillet 2020 qui a détaillé de multiples passages à tabac par les forces de l’ordre de la ville val-d’oisienne. À celui-ci s’ajoute un 44e, celui de Yanis. Ce dernier dénonce des faits de violence à Bezons durant le confinement de mars 2020.

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    Un accrochage routier

    Il est 14h45, MBB passe enfin. Au départ intimidé devant la cour, le gaillard de 110kg prend de l’assurance au fur et à mesure. Il rembobine son récit.

    Été 2019 : MBB est à Argenteuil, rue Paul Vaillant-Couturier. Dans cette artère principale du centre-ville, à bord de son 4×4 Volkswagen, il doit déposer sa femme pour un rendez-vous médical vers midi. L’avenue est bondée, il n’y a pas de place pour se garer. Le quadra se met en double file derrière une autre voiture, laisse sa compagne descendre et enclenche une marche arrière pour reprendre la route. Bam. Il n’a pas vu qu’une Skoda se trouvait derrière lui. Dans l’autre véhicule accroché, le conducteur « sort sa tête de sa portière et m’insulte de baltringue et de bâtard », se souvient-il. Le père de famille descend de sa voiture, prêt à demander des explications. En face, quatre hommes sortent de la Skoda. Certains mettent des brassards oranges à leur bras gauche : ce sont des policiers de la Bac d’Argenteuil.

    Très rapidement, ils se ruent sur lui et le bousculent « pour me mettre sur le trottoir », témoigne MBB. Le quadra proteste : « Je leur ai dit : “Invitez-moi à me rendre sur le trottoir mais vous n’allez pas m’y emmener de force, je n’ai commis aucun délit”. » La tentative des baqueux échoue face à cet ancien champion de boxe du 77, qui a aussi fait de la lutte africaine. « Pour me mettre au sol, c’est tout un problème », lâche-t-il de façon très naturelle. Dans la mêlée, il fait tomber les lunettes de soleil du conducteur qui l’a insulté, le brigadier-chef Eric P. Un des fonctionnaires sort alors son taser et le met en joue avant de se raviser suite à l’intervention d’une passante.

    Un attroupement se forme des deux côtés de l’avenue commerçante, une cinquantaine de personnes assistent à l’altercation. Certains badauds prennent fait et cause pour MBB, selon des vidéos que StreetPress a pu consulter. Une autre femme lui lance qu’elle est « d’accord avec [lui], vu comment ils [l’ont] attrapé là » et tance un autre fonctionnaire présent, le gardien de la paix Laurent H. Face à une situation que les baqueux jugent « tendue », ils décident d’aller faire le constat au commissariat. MBB les suit, seul dans son SUV.

    Des violences au commissariat

    Dans les locaux de la police, la tension est retombée. MBB remplit le constat. Sur le document, il voit pour la première fois le nom d’Eric P., qui l’a insulté lors de l’accrochage. Lorsqu’il repart du commissariat, il revient sur les insultes avec un policier qui l’accompagne : « Je lui dis que son collègue, Eric P., n’a pas le droit de me traiter de bâtard ou de baltringue. C’est juste un accident, on fait un constat et basta ! » En face, le policier tilte sur le nom du brigadier-chef. « Il a pété un plomb, il a commencé à crier : “Comment connaissez-vous son nom ?”. Il a ameuté tout le commissariat », se souvient MBB. Une petite dizaine de fonctionnaires se jettent sur lui pour l’emmener dans la salle du local de vérification, dont le brigadier-chef Eric P. et le gardien de la paix Laurent H. « Ils m’ont ramené de force, m’ont poussé et m’ont tellement violenté que j’ai chuté », soutient le quadra. Une fois par terre, les fonctionnaires se moquent :

    « T’as plongé comme Neymar ! »

    MBB est placé en garde à vue, sans qu’il ne comprenne pourquoi. Ce n’est que trois heures plus tard devant l’OPJ qu’il apprend qu’il aurait menacé le brigadier-chef. Selon les PV des policiers, il aurait lancé aux agents :

    « Le Eric P., il fait le costaud, le malin, mais ça serait différent si je le croise dans la rue avec ses enfants, je vais les tuer. »

    Une version niée par MBB, alors que les pandores se contredisent dans les PV sur cette prétendue menace. Qu’importe, Eric P. dépose plainte.

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    Lors de la procédure pour menaces de mort, des propos que MBB conteste, les policiers ont analysé les images de surveillance du local de vérification. Les seules images que l'ont voit sont celles de MBB, les pieds décollés du sol, qui tombe. MBB dénonce des violences qui l'ont fait chuter tandis que les policiers indiquent qu'il a sauté. / Crédits : DR

    Libéré mais pas délivré

    Au tribunal, un des assesseurs revient sur ce nom lancé à la volée par MBB. « Vous comprenez que les policiers aient eu peur d’entendre leur prénom au vu de ce qu’il se passe ? », lance-t-il, en faisant référence au double meurtre de Magnanville – quand deux policiers ont été tués par un terroriste djihadiste – en juin 2016. « Je comprends parfaitement. Mais je tiens à souligner que je n’ai menacé aucun policier. Si j’ai dit son nom, c’était uniquement pour constater les violences illégitimes que j’ai subies », lui répond MBB, de façon calme et posée. Il se dit respectueux de l’institution policière, avec qui il travaille souvent dans un Carrefour du 93 où il est responsable de la sécurité.

    Pas de quoi attendrir le procureur de la République. « Tout aurait été plus simple si vous aviez eu un comportement plus citoyen », clame-t-il dans son réquisitoire, en faisant référence aux violences. Alors qu’Eric P. avait demandé 800 euros de dommages et intérêts, le procureur demande une peine de 2.000 euros d’amende dont 1.000 avec sursis. De son côté, maître Matteo Bonaglia évoque les contradictions dans les PV des policiers ou l’absence des agents au procès. Il demande la relaxe de son client qui n’a aucun antécédent judiciaire. Une heure après le début du procès, le juge conclut l’affaire : pas de sanction. « Vous êtes relaxé mais cela ne veut pas dire que vous êtes totalement innocent dans cette affaire », lance-t-il toutefois au quadragénaire.

    Les aléas judiciaires ne sont pas finis pour MBB. Sa plainte contre X pour violences a été classée sans suite par le parquet de Pontoise. Maître Bonaglia, son avocat, va faire un recours hiérarchique devant la Cour d’appel de Paris. Des éléments pourraient relancer l’affaire.

    Des policiers déjà impliqués dans une histoire de violence

    Selon nos informations, Eric P. et Laurent H., qui ont participé aux violences contre MBB, font partie de l’équipe de la Bac qui a frappé et insulté Ali le 30 juin 2019, soit un mois et demi avant de violenter MBB.

    À LIRE AUSSI : Insultes racistes et violences gratuites, la BAC d’Argenteuil à nouveau mise en cause

    Eric P. est l’agent qui lui a donné un coup-de-poing dans les côtes après l’avoir traité de « fils de pute ». Quant à Laurent H., c’est lui qui l’a tiré de sa voiture et l’a roué de coups quand il était menotté à terre. C’est également lui qui a proféré les insultes racistes : « Les gens comme toi, on va les envoyer au bled avec ta négresse de femme ». « Il jouait beaucoup au dur », se souvient MBB quand il évoque le gardien de la paix.

    Contacté pour savoir si ces fonctionnaires de police faisaient l’objet d’autres enquêtes judiciaires, notamment dans le dossier d’Ali, la vice-procureure du parquet de Pontoise n’a pas eu de retour concernant nos demandes. Elle précise toutefois que l’enquête concernant Ali est « toujours en cours ». Alors qu’ils étaient sans nouvelles depuis plus d’un an, Ali et sa femme ont été contactés par le tribunal une journée après notre demande au parquet pour « organiser une confrontation avec [leurs] agresseurs », nous informe Ali. Également contacté, le service d’information et communication de la police nationale (Sicop) n’a pas eu de retour de la DDSP 95.

    Des violences à Bezons lors du confinement

    MBB n’est pas le seul à avoir subi des violences par la police d’Argenteuil. Yanis est le 44e témoignage récolté par StreetPress. Au téléphone, il soupire. Son histoire à lui n’est pas encore passée devant les tribunaux. Enfin si, mais elle a été repoussée au mois de septembre. Ça va faire un an qu’il a reçu des coups par des agents de la police d’Argenteuil, le 24 mars 2020. Alors que le premier confinement a débuté depuis une semaine pile, il est avec des amis rue Hoche à Bezons, à plus d’un kilomètre de son domicile. Il vient rendre un vélo qu’il utilise pour son travail. Il a fini son service, son attestation n’est plus en règle. Il va bientôt être 20h quand il voit arriver une voiture des forces de l’ordre. « Comme je les connais, j’ai couru », se rappelle-t-il. Il tente de les semer mais se fait rattraper violemment :

    « Ils m’ont balayé avec la matraque entre les jambes. Ils m’ont menotté et m’ont donné des coups de matraque dans la tête. Ensuite, ils m’ont ramené dans la voiture et ils ont continué à me taper jusqu’au commissariat. »

    Sur des photos que StreetPress a pu consulter, prises lors de la garde à vue à la demande de Yanis, le visage de celui qui vient d’avoir 20 ans est déformé. Son œil gauche est complètement gonflé : « J’ai la dent arrière de ma mâchoire gauche qui a été cassée. » Son crâne a également des plaies et il a des marques sur les genoux, « car ils m’ont traîné par terre ». Le médecin des UMJ, s’il le déclare apte à la garde à vue, requiert également deux jours d’incapacité totale de travail (ITT).

    Le bâton de ski

    Arrivé au commissariat, Yanis apprend qu’il est accusé par les policiers de violences avec arme par destination. L’OPJ lui présente l’objet du délit : un bâton de ski. « Ils m’ont dit que je le tenais et que je les avais frappés avec, des trucs que je n’ai pas fait. Le bâton, il se trouvait dans une poubelle en bas de la cité », détaille Yanis. « Pour lui, ce sont les policiers qui ont récupéré ce bâton pour justifier le fait qu’il avait reçu beaucoup de coups de matraque sur le corps et les jambes. C’est classique et difficile à démontrer car ils sont plusieurs et peuvent se mettre d’accord », complète son avocat, maître Arié Alimi.

    D’autant plus que le bâton de ski a été détruit sur demande du procureur de la République de Pontoise, ce qui arrive parfois dans les procédures de violence avec arme. Mais du côté de Yanis, on critique l’absence de relevé d’empreintes sur l’objet. Maître Alimi déplore que « dans ce genre de dossiers, toutes les investigations à charge sont faites, mais pas celles à décharge ». Contacté, le parquet de Pontoise a juste répondu que l’audience aurait lieu en septembre. Quant au SiCop, il reprend la défense des policiers dans leurs PV :

    « Il n’y a pas eu d’empreintes relevées puisque, lors de son interpellation, il avait le bâton dans les mains. À partir de là, ça ne sert à rien de relever les empreintes. Il s’est débattu et rebellé et ce avec une arme par destination. »

    Le service com’ de la police précise également que Yanis ne s’est pas présenté à la première audience du procès reporté. Les policiers en ont fait de même. À Argenteuil, le dialogue de sourds continue.

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