Grenoble (38) – Il est 17h. Raphaël, charpentier de métier, rentre tout juste du boulot. Il décide de réparer ses volets. Le gaillard de 23 ans s’installe dans le hall d’entrée de son appartement. Un plain-pied qui donne directement sur l’un des quais longeant l’Isère. On est le 24 mars 2020, au début du premier confinement. Il aperçoit au travers de sa baie vitrée, à quelques mètres de lui, des agents de la C.R.S 02 qui vérifient les autorisations de sortie. « Ils étaient en train de contrôler un livreur noir en lui demandant de descendre de son vélo et d’ouvrir son sac » raconte Raphaël :
« En même temps, des personnes non racisées passaient tranquillement. »
Cette situation le met en rogne. Raphaël décide d’ouvrir sa porte et sa gueule :
« Je leur ai demandé ce qu’ils faisaient avant de leur dire que c’était un contrôle au faciès. »
Le groupe d’agents se retourne. Deux d’entre eux se dirigent vers Raphaël. « Ils ont démarré au quart de tour » se souvient-il :
« Ils m’ont dit : “Sort de chez toi, sale tapette !” »
Une fois sur le pas de sa porte, l’agent N. lui attrape le bras pour le sortir de son domicile. « J’ai attrapé mon escalier en lui disant de me lâcher et il tirait si fort qu’il a arraché mon pull et mon collier. C’est là que c’est parti en couilles » assure-t-il. « Ils se sont encore plus énervés et ils ont commencé à me mettre des coups de poing dans la tête, dans les côtes et dans le dos contre l’escalier. » L’agent N. l’aurait ensuite attrapé par les cheveux pour le tirer vers l’extérieur :
« Il m’a arraché une dizaine de dreads, j’avais le crâne en sang. En même temps, il a tenté de me mettre un coup de tête. Je me suis protégé avec ma main droite. Il a ouvert la bouche et m’a mordu violemment le majeur en me tirant à l’extérieur. »
Une fois dehors, il est finalement interpellé avec l’aide de deux autres agents. Un récit corroboré par son colocataire Benjamin, également présent au moment des faits. « Ils sont rentrés chez nous alors que Raphaël n’était pas violent et ne représentait aucune menace » explique-t-il dans un témoignage écrit que StreetPress a pu consulter :
« L’un des policiers mordit violemment Raphaël au doigt puis l’attrapa par les cheveux pour le faire sortir ce qui entraîna l’arrachement d’une bonne partie de ses dreads. Au bout de plusieurs longues minutes, ils réussirent à le faire sortir, le plaquèrent au sol et lui passèrent les menottes. »
Les bleus embarquent ensuite Raphaël dans leur fourgon, direction le commissariat :
« Pendant le trajet, l’agent N. s’est assis juste en face de moi et il se foutait de ma gueule. À la radio, il disait : “On a attrapé Joe l’Indien, je lui ai arraché ses sales dreads”. Après, il m’a traité de “sale négro” et il m’a dit “t’as de la chance qu’il y avait mes collègues sinon je t’aurais déjà crevé”. »
Une plainte pour outrage et violence
Une fois à l’hôtel de police de Grenoble, le charpentier apprend qu’il est placé en garde à vue et qu’il va être entendu dans le cadre d’une enquête de flagrance pour « outrage et violences à personne dépositaire de l’autorité publique ». En sang, il demande à voir un médecin à plusieurs reprises. Il arrivera au bout de deux heures. « Il a désinfecté mes plaies au doigt et m’a filé des antidouleurs. » Sur le certificat médical que StreetPress a pu consulter, le toubib fait effectivement état de deux plaies au niveau de son majeur droit. Il prescrit alors trois jours d’ITT. « Il leur a dit à plusieurs reprises qu’il fallait m’emmener aux urgences » rembobine Raphaël. « Les flics lui répondaient que ce n’était pas pressé. » Il passe finalement la nuit en cellule, torse-nu, comme durant l’intégralité de sa garde à vue. Il sera conduit à l’hôpital à 8 heures le lendemain matin. Il en sortira quatre heures et huit radios plus tard avec un nouveau certificat médical que StreetPress a également pu consulter :
« Main droite : Plaie face palmaire P2 D3 1 cm et plaie superficielle face dorsale P2 D3 par morsure. Traumatisme cervical, contusion lombaire et contusion de l’avant bras droit. »
. / Crédits : StreetPress
Le médecin lui prescrit au passage un « arrêt de travail professionnel de 15 jours ». Il est ensuite reconduit à l’hôtel de police d’où il sort à 14 heures avec ses affaires.
Raphaël sur le banc des accusés
Dès le lendemain, Raphaël décide d’aller à l’hôtel de police afin de déposer une plainte contre l’agent N. « Quand je leur ai demandé, ils m’ont ri au nez » se souvient-il. « Je ne connaissais rien sur cet agent, ils m’ont dit : “Vous voulez porter plainte, mais vous ne savez pas qui c’est ?” » Le jeune homme s’acharne. « En tout, on a refusé de prendre ma plainte dans trois hôtels de police et deux gendarmeries de la région », assure-t-il.
Quelques jours plus tard, il découvre en ouvrant sa boîte aux lettres que l’agent N. a porté plainte et s’est constitué partie civile. Motifs : outrage et violences sur une personne dépositaire de l’autorité publique. Une audience est prévue le 30 septembre 2020. « Ils utilisent ce moyen de pression sur la victime de l’agression policière pour que cette personne soit discréditée et pour que sa défense ou ce qu’il dit soit remis en question », juge le charpentier. Un classique que StreetPress a déjà documenté. Le jour J, aucun des quatre agents impliqués dans l’affaire n’est présent.
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L’agent N., dans son procès-verbal que StreetPress a pu consulter, dit s’être fait attaquer par Raphaël lorsqu’il s’est trouvé à son niveau. Quant à la morsure, ça serait la faute du charpentier qui a jeté sa main entre les molaires du CRS :
« L’homme m’a porté un coup avec sa main droite au niveau de mon visage […] La main de l’individu a glissé sur mon visage et plusieurs de ses doigts ont terminé leur course au fond de ma bouche. J’ai eu le réflexe de fermer ma bouche et j’ai senti une résistance. »
Un coup que l’agent H., présent aux côtés de N. durant l’altercation, ne relate pourtant pas dans sa propre déposition. Raphaël assure de son côté être resté calme avant son agression et ne pas avoir porté de coup à l’agent N. Il reconnaît seulement avoir résisté à son interpellation la jugeant « injuste » d’autant plus qu’elle avait lieu chez lui.
Dans le procès-verbal dressé lors de sa garde à vue, il est écrit : « Un agent de police m’a attrapé le bras et m’a arraché ma veste, mon collier et m’a tiré par les cheveux. » Plus loin, qu’il « reconnaît avoir repoussé les agents de police [et] les violences sur personne dépositaire de l’autorité publique et la rébellion. » La lecture de son PV l’indigne :
« Je lui ai dit trois fois qu’ils m’avaient frappé et sorti de chez moi alors qu’ils n’avaient pas le droit. Il m’a posé des questions à la va-vite puis il m’a fait signer le PV en le cachant et en me disant que je sortirais plus vite en le signant… »
À l’audience, son avocate, Me Delphine Combes, plaide la nullité. « La procédure a révélé de nombreuses incohérences entre les différentes dépositions des policiers qui permettent selon nous de remettre en cause l’authenticité de leurs déclarations. Raphaël a expliqué de façon constante avoir été victime de violences importantes et disproportionnées exercées par les policiers au sein de son domicile. » raconte-t-elle. À l’issue du procès, il écope pourtant de quatre mois de prison avec sursis. Il est aussi condamné à verser 600 euros à l’agent N. en « réparation du préjudice moral et corporel », auxquels s’ajoutent 500 euros pour couvrir ses frais de procédure. « Le Tribunal correctionnel n’ayant pas fait droit à nos demandes en première instance, il a été décidé d’interjeter appel du jugement afin de présenter à la Cour d’Appel des éléments qui établissent que, contrairement à ce qu’ils ont indiqué, les policiers sont bien entrés dans son domicile » précise Maître Delphine Combes. La montre “connectée” de l’agent N., dont les données permettent d’attester qu’elle lui appartient, a par exemple été retrouvée sous l’escalier où le charpentier dit s’être fait agresser. Une plainte a été déposée à l’encontre de l’agent N. auprès du parquet de Grenoble par l’avocate de Raphaël.
Contactée par StreetPress, l’avocate de l’agent N. n’a pas souhaité commenter l’affaire.
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