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    10/02/2021

    « On leur apprend l’exigence du milieu de la couture française. »

    Ces jeunes exilés rêvent de haute couture

    Par Clara Monnoyeur

    Dans le sud de Paris, l’association Espero forme depuis deux mois et demi un groupe d’une dizaine de jeunes exilés à la couture. Rencontre avec ces passionnés du tissu, qui produiront bientôt pour des marques françaises.

    « Quand j’étais en Afghanistan, j’étais couturier. Je faisais surtout des costumes traditionnels », explique Ibrahim, concentré sur sa machine à coudre. L’homme de 27 ans replace ses lunettes rondes sur son nez. Il est arrivé seul en France il y a deux ans, après des jours de transport et des heures de bateau. Depuis, il est logé au centre d’hébergement de la ville d’Antony, dans la banlieue sud de Paris. Il est en attente de logement. Le jeune homme rêve de travailler à nouveau dans la couture. Grâce à l’atelier Espero, il suit depuis deux mois et demi une formation pour se perfectionner. L’association a lancé le projet « Fil d’avenir » à Antony : deux fois par semaine, une dizaine de jeunes exilés, comme Ibrahim, se forment au savoir-faire à la française. Et c’est Thierry de Rivot, couturier parisien, qui encadre.

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    En Afghanistan, Ibrahim était couturier. Grâce à l'association Espero, il perfectionne ses techniques. / Crédits : Clara Monnoyeur

    « J’ai laissé chacun faire quelque chose qu’il savait faire », explique l’intéressé, avant de filer comme une tornade. Le tuteur est fin et élégant, béret à carreau sur la tête, écharpe nouée autour du cou et chemise cintrée. Ce matin, il fait un point avec le groupe sur les dernières productions réalisées en autonomie. « Ibrahim, c’est bien le short que tu as fait, mais on verra ensemble les finitions. » Face à lui, autour de la grande table en bois qui grince sous ses grands gestes, le groupe, immobile, semble boire ses paroles. Le formateur reprend une à une les productions. « C’est toi Baghir qui a fait ce sac à main ? C’est très beau, mais il faut penser à bien nettoyer. » De son œil affûté de spécialiste, il remarque en moins d’une demi-seconde les détails et les ratés. En aparté, il confie :

    « Ils ont tous du talent. La plupart ont appris à coudre dans leur pays. C’est une remise à niveau, on leur apprend l’exigence du milieu de la couture française. »

    « Apprendre l’exigence à la française »

    « Même s’ils ont tous des connaissances en couture, certains ne faisaient que coudre des manches par exemple, toute la journée, à la chaîne », poursuit Thierry. L’objectif de cet atelier est de les former à réaliser un vêtement de A à Z. Il les entraîne donc à chaque poste. Tous apprennent à dessiner un patron, à tracer, à couper et à coudre, avant d’assembler les pièces du vêtement. Il leur apprend aussi le détail. « La France, c’est la capitale de la mode » leur lance Thierry, fièrement. Il ajoute :

    « La couture, c’est comme la cuisine : il faut les bons ingrédients et surtout respecter les règles. »

    Avec cet atelier, il leur enseigne la finesse, mais aussi à reconnaître les différentes matières et tissus.

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    Thierry de Rivot, styliste et modéliste parisien, forme les jeunes exilés deux jours par semaine. / Crédits : Clara Monnoyeur

    Apprendre la couture et le français

    « Moi ce que je préfère, c’est coudre les vêtements avec la machine. Plus tard, je voudrais être couturier ou bien… Mécanicien », raconte, pensif, Baghir. Timide, le garçon de 21 ans aux cheveux courts cherche encore ses mots. La voix de leur professeur résonne au loin : « Vous savez comment on appelle ça en français ? Une poche. Celle-là c’est une poche passepoilée, et celle-là une poche plaquée et celle-ci une poche à rabat ». Cet atelier leur permet aussi d’apprendre les termes techniques. En dehors, les jeunes suivent aussi des cours de français. Maya Persaud, fondatrice de l’association complète :

    « On essaye de soulever la barrière de l’emploi liée à la barrière de la langue. On recrute des talents et on les accompagne dans ce métier. Le but est qu’ils gagnent en autonomie. »

    À l’autre bout de la pièce, Mathiullah, Resa et Ahmad, 28, 21 et 22 ans, confectionnent ensemble une chemise. Resa dessine le patron, Mathiullah repasse le tissu, et Ahmad le découpe. En se lançant quelques vannes au passage. Mais Thierry n’est jamais très loin pour surveiller le trio : « Resa, pour la poche, on avait dit 11 cm. Fais bien attention aux mesures ! »

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    Thierry enseigne à ses futurs couturiers « la finesse » et « l'exigence du milieu de la couture française ». / Crédits : Clara Monnoyeur

    Ce passionné vient deux fois par semaine, durant cinq heures, pour les former. « J’adore être ici avec eux, c’est un challenge pour moi. C’est une aventure humaine aussi. Parfois, c’est même moi qui apprends », explique-t-il, toujours un œil sur ses apprentis couturiers. Il poursuit : « C’est aussi une manière pour eux de prendre confiance et de leur montrer qu’ils sont capables ». Cet atelier signifie l’espoir d’un premier emploi en France. Thierry commente :

    « C’est un projet très pertinent et surtout très concret, avec des perspectives de travail dans un domaine qu’ils aiment. »

    Mathiullah est arrivé en France il y a un an et demi, après un long voyage de six mois en passant par l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie… Il arrive enfin en Allemagne, d’où il rejoint la France. Resa, lui, qui ne quitte jamais son bonnet noir, fait partie de ceux qui maîtrisent le mieux la langue française. Il est arrivé en 2018. Tous deux rêvent d’être couturiers.

    Une confection « made in France » et écolo

    Les tissus avec lesquels travaillent ces jeunes exilés proviennent de dons de créateurs. Beaucoup sont offerts par la célèbre maison de couture Balmain. Les six machines à coudre disposées à l’entrée de l’atelier ont également été données. L’association voudrait devenir un prestataire pour des marques françaises et proposer des produits « made in France », fabriqués avec des tissus récupérés et recyclés. « On le voit avec le phénomène des friperies que les gens font de plus en plus attention au gaspillage aussi pour leurs vêtements. » commente Thierry.

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    Les six machines à coudre avec lesquelles les jeunes travaillent ont été offertes à l'association. / Crédits : Clara Monnoyeur

    L’association a ouvert l’atelier il y a à peine deux mois et demi. Et la promo a déjà deux commandes ! « Tous les bénéfices de la première seront reversés à l’association », précise Maya Persaud. Pour l’instant, les apprentis couturiers sont rémunérés au Smic grâce au dispositif des Premières Heures (1). Dans le futur, l’association imagine même recevoir des commandes régulières et devenir une entreprise à part entière. Thierry conclut :

    « Ce projet permet de créer des opportunités ! Les jeunes peuvent rencontrer des gens du monde de la mode. Ça leur permet de se faire connaître et ça joue aussi pour une meilleure intégration. »

    (1) Premières Heures est un dispositif de la Maire de Paris pour soutenir les structures qui proposent des activités rémunérées aux personnes éloignées de l’emploi.

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