« Je ne pensais pas qu’au pays des droits de l’Homme, on traitait les gens comme ça », sanglote Lina (1). Cela fait 90 jours que cette immigrée congolaise a été placée au Centre de Rétention (Cra) du Mesnil-Amelot, le plus grand de France. Dans la salle de visite, où StreetPress a pu la rencontrer, la jeune femme de 22 ans témoigne des conditions sanitaires déplorables, la voix tremblante. « Je me débrouille pour nettoyer mes affaires à la main avant de les remettre, encore mouillées. Il faut voir l’état des machines à laver, le linge en sort encore plus sale. » Lina porte la même tenue depuis bientôt trois mois, un gilet par-dessus un t-shirt, legging longueur genoux et une paire de sandales. Dessous, ses cuisses sont couvertes de boutons et de rougeurs. « C’est pour ce genre de choses qu’on tombe malade… » Une situation d’autant plus inquiétante pendant la crise sanitaire actuelle.
« Si l’on attrape des infections, c’est parce qu’on vit dans la merde », s’énerve Jeanne (1), cette fois par téléphone. Sur les 24 places du bâtiment 13A, exclusivement réservé aux femmes, neuf sont occupées en ce moment. Lina, Jeanne, mais également Florence, Lou et Elise (1) ont accepté de raconter leur quotidien. « La situation n’est pas si différente de la prison. C’est même pire », commente Florence, qui poursuit :
« Nous sommes sans-papiers, mais on ne mérite pas ça. »
Conditions de détention indignes
« Aux sanitaires, c’est dégueulasse : il n’y a pas de papier W.C et on n’a pas toujours l’eau chaude pour se laver », s’indigne Jeanne, très en colère. Les retenues se passent le téléphone, les unes après les autres, pour témoigner. « Il fait de plus en plus froid, mes draps sont troués, ils n’ont jamais été lavés. Leur couleur ? Un combiné de gris et de marron », détaille Lina. Ils étaient blancs avant. « Les femmes de ménage viennent le matin mais c’est toujours très sale car il y a du passage », complète Elise.
En 2019, 560 femmes ont séjourné derrière les clôtures grillagées du Mesnil-Amelot, soit 26,4% des retenus de ce Cra. Leurs problèmes y restent invisibles, malgré les alertes des associations. La Cimade dresse notamment un portrait inquiétant de la structure. Mathilde Godoy, coordinatrice de l’équipe qui intervient sur le site, assure que « les locaux sont très dégradés, parfois insalubres ». Elle fait partie des rares associatifs à pouvoir, parfois, être témoin de ces conditions de rétention. Après une visite en mai dernier, elle explique :
« Dans certains bâtiments, une douche sur quatre était en état de fonctionnement, les toilettes sont régulièrement bouchées. Des colonies de fourmis ont été recensées en zone d’accueil des familles. »
Aucune aide
La Cimade, qui accompagne les retenues dans l’exercice de leurs droits, condamne le manque de moyens humains mis à disposition :
« On assiste à des prestations au rabais. Les équipes de nettoyage sont en sous-effectif et n’ont que très peu de temps pour nettoyer chaque bâtiment. »
L’accès à des kits d’hygiène et aux soins rudimentaires serait également obstrué par ce manque de moyens, selon la Cimade. Lou et Lina illustrent le propos avec Clara (1). L’Albanaise a été retenue avec elles, avant d’être récemment libérée. Indisposée, « Clara a déchiré un morceau de sa blouse en guise de protection. La police n’a pas voulu lui fournir plus de deux serviettes hygiéniques », se rappelle Lou. Lina termine :
« Le soir même, Clara, prise de douleurs, s’est sentie très mal. Nous avons dû contacter les secours par nos propres moyens car les policiers ont refusé de la croire. Ils disaient : “On n’est pas là pour vos conneries”. »
La Congolaise enchaîne sur une histoire personnelle. Trois semaines après son arrivée au Mesnil-Amelot, elle se plaint de violents maux au ventre et aux hanches. Toute la journée, les policiers ne l’auraient pas prise au sérieux. « Quand on demande à voir un médecin, ils n’appellent même pas. Il a fallu attendre que je sois vraiment pâle et que je me mette à convulser pour qu’ils contactent les pompiers. » Elle aurait passé la nuit à l’hôpital.
Un constat tristement régulier pour la Cimade, qui interroge la bonne volonté de la police aux frontières :
« En dehors des horaires d’ouverture de l’infirmerie du centre, tout dépend du bon vouloir des policiers. Ils ne prennent pas forcément en considération la douleur des personnes. Ils ont tendance à penser qu’elles simulent. »
« Certaines ne réclament pas d’aide. Soit parce qu’elles ne savent pas comment s’y prendre. Soit parce qu’elles ne parlent pas français. Soit parce qu’elles ont peur », complète Lou, coupée par Lina : « La police nous gronde et nous menace. C’est ce qui s’est passé après qu’on a appelé pour Clara ».
Surveillées par des hommes
C’est au tour de Jeanne de prendre le téléphone. Peu après son arrivée au centre, elle raconte qu’une nuit, alors qu’elle dort, les policiers seraient entrés brusquement dans sa chambre. Ils lui annoncent une convocation devant le tribunal administratif. « J’ai été réveillée en sursaut, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Deux policiers m’ont crié dessus : “Tu te crois où ? À l’hôtel ? Habille-toi !” ». Elle s’exécute :
« J’étais nue, ils n’ont pas quitté la chambre et m’ont regardée m’habiller. J’étais gênée et humiliée. »
Ce serait aussi arrivé à Lina :
« Ils ne se sont même pas excusé d’avoir volé mon intimité. Ils ne détournaient pas le regard. »
Exclusivement surveillées par des hommes, les cinq retenues confient « ne pas se sentir en sécurité ». « Il n’y a pas de verrou sur les portes quand on se douche ou aux toilettes. N’importe qui peut entrer. On est obligé de chanter pour signaler notre présence », renchérit amèrement Florence avant de reprendre :
« On mérite un minimum de respect. Nous sommes des sans-papiers mais nous restons avant tout des femmes. »
Et le Covid ?
« C’est déplorable », conclut Lina. « Déplorable », c’est aussi l’adjectif utilisé par l’ancienne Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, pour qualifier les dispositions sanitaires. Dans un communiqué, publié après une visite au Mesnil-Amelot au mois d’avril, Adeline Hazan réclamait la fermeture temporaire du centre de rétention où « la sécurité [n’était] pas correctement assurée » et ne permettait pas le respect des gestes barrières censés lutter contre le coronavirus.
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Lorsqu’un premier cluster s’était déclaré cet été au Cra, la Cimade y avait interrompu sa présence et demandé la libération des occupants du centre :
« C’est criminel de laisser des gens se contaminer entre eux alors qu’on ne dispose pas des moyens de les tester. Aujourd’hui, le PCR est proposé car nécessaire à la préfecture pour organiser le renvoi des personnes retenues. »
(1) Les prénoms ont été changés
Contactée, l’administration du Mesnil-Amelot a renvoyé vers le Sicop, qui a renvoyé vers la préfecture de la Seine-et-Marne. Le 3 novembre, nous n’avions toujours pas de réponse à ce sujet.
Photo d’illustration de Yann Castanier, prise au Mesnil-Amelot le 13 novembre 2017
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