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    11/09/2020

    « Je voulais juste encourager d’autres femmes à parler »

    « Roméo Elvis m’a agressée sexuellement », la victime témoigne

    Par Inès Belgacem , Lola Levent

    En mai 2019, Sofia croise le rappeur Roméo Elvis dans un magasin de Bruxelles. Il s’introduit sans son consentement dans sa cabine d’essayage et la touche. La jeune femme raconte à StreetPress.

    « Je suis un peu perdue sur quoi faire ou pas », explique Sofia (1) à StreetPress. La jeune femme a publié dans la nuit du 7 au 8 septembre des screens de ses échanges avec le rappeur Roméo Elvis, sur son compte Instagram. Avant de les supprimer. Mais trop tard, des captures d’écran commencent à circuler sur différents réseaux sociaux ce mardi matin. On y lit les excuses de l’artiste, sans plus d’information :

    « Je veux encore une fois m’excuser pour ce qu’il s’est passé, c’était n’importe quoi. (…) J’étais vraiment une merde sur le coup. (…) J’ai vraiment honte. »

    Alors les interprétations se multiplient sur Twitter, notamment, où le sujet est en tendance plusieurs jours de suite. Certains internautes font des montages et font circuler de fausses informations. La copine de l’artiste et sa soeur, la chanteuse Angèle, sont cyber-harcelées. Et la situation dépasse rapidement Sofia, qui est accusée de mentir. « Ce n’est pas juste. Surtout pour sa petite amie et Angèle. Je voulais juste encourager d’autres femmes à parler. Comme pour Moha La Squale. » Un jour plus tôt, le rappeur parisien était accusé par au moins trois femmes de « violences », « agression sexuelle » et « séquestration ». Elles ont porté plainte et une enquête a été ouverte par le parquet de Paris. Sofia sait que son histoire n’est pas la même, mais le sujet la travaille : « Roméo m’avait promis que j’étais la seule. Mais si c’était faux… J’ai envie d’être honnête. Je vais tout vous raconter. »

    Fan de rap

    Sofia a 23 ans. L’étudiante bruxelloise travaille en parallèle de ses études. Sa meilleure amie, Océane (1), la décrit comme « une bonne vivante, extravertie, empathique et fêtarde aussi ». Lorsqu’elle le peut, Sofia court les concerts et les festivals. Grande consommatrice de rap français, elle écoute Lomepal, Caballero & JeanJass et aussi Roméo Elvis. Elle aime particulièrement sa musique, l’a vu plus d’une vingtaine de fois en concert – « À un moment où on devait être seulement une centaine dans la fosse », assure-t-elle – et a figuré dans deux de ses clips, Drôle de question et Nappeux. Ils se sont même échangés quelques messages sur Snapchat, en 2016. « Soleil [un titre de Roméo Elvis, datant de 2019], c’était notre chanson à mon copain et moi. »

    Alors en mai 2019, quand son boss lui donne son après-midi, elle décide de passer à la boutique Bison 4, une friperie bruxelloise tenue par des amis de Roméo Elvis, où sa marque est vendue. « J’ai toujours voulu y aller. » Elle voit des disques d’or du rappeur au mur, discute avec les deux vendeurs, qu’elle trouve « super chill, j’ai trop tripé avec eux », et entre en cabine pour essayer des fringues. Lorsqu’elle sort de la cabine, une voix derrière elle commente la tenue. « “Oh my god, c’est lui, agis normalement”. Mais j’ai sorti une phrase débile », raconte Sofia, en reconnaissant Roméo Elvis. Elle poursuit son shopping tout en discutant avec le rappeur. « Et c’est trop fun : on chante sur la musique de fond et j’essaye d’autres vêtements. C’était comme si je faisais les magasins avec un pote, il n’a pas la grosse tête. »

    « Il m’a suivie dans la cabine »

    « Quand je re-rentre dans la cabine, je sens une présence derrière moi et je sens que c’est lui. Il entre avec moi dans la cabine et il ferme le rideau. » Sofia explique à StreetPress sa surprise, et assure ne pas avoir invité l’homme à la suivre. Roméo Elvis aurait ensuite affirmé la reconnaître. « Et là, il arrive avec ses mains sur ma poitrine. Le mec est grand, il est imposant. » Sofia lui demande d’arrêter. Elle aurait alors parlé de la petite amie du rappeur, et lui aurait dit de penser à elle. « Il enlève ses mains et les met dans mon pantalon et sur mes fesses », poursuit la jeune femme. « Je lui dis : “Tu fais quoi ?” Il a un déclic. Il arrête tout et sort. Comme s’il était en transe et qu’il venait de se réveiller. »

    Après ça, les deux vendeurs qui se seraient éclipsés un temps refont surface. Sofia paie ses fringues et sort. Au moment où elle passe en caisse, Roméo Elvis lui aurait demandé de ne pas « en parler à [ses] copines ».

    « C’est une agression »

    « C’était en plein milieu d’après-midi. Sofia me téléphone et me dit que Roméo est venu dans sa cabine. Elle était chamboulée, encore dans l’adrénaline. Elle n’était pas spécialement positive mais pas spécialement négative non plus. Elle ne comprenait pas bien ce qu’il se passait », raconte Océane, sa meilleure amie, que Sofia appelle en sortant. Elles se rappellent quelques heures plus tard. « Elle était cette fois révoltée et plus consciente de ce qu’il s’était passé. Elle me dit qu’elle l’a vraiment vécu comme une agression. »

    En droit français « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » constitue une agression sexuelle.. Mais la scène se passe à Bruxelles. En Belgique, on parle d’attentat à la pudeur. Il s’agit, d’un « acte contraire aux mœurs et d’une certaine gravité commis de manière intentionnelle sur une personne ou à l’aide d’une personne déterminée sans le consentement valable de celle-ci ».

    Dans un pays comme dans l’autre, le comportement de Roméo Elvis pourrait donc tomber sous le coup de la loi. Sofia a décidé de ne pas porter plainte.

    En DM

    Un an et demi après son agression, Sofia raconte au téléphone des moments difficiles à StreetPress. Pendant le confinement notamment, lorsqu’une de ses amies lui parle de son agression. « Ça m’a fait remonter des trucs. » Elle a aussi peur de marcher dans la rue seule le soir. Dit avoir des flashs de ce moment. Alors la jeune femme envoie un message à Roméo Elvis, en mai dernier. « Je ne veux pas gâcher ta vie. Je veux juste que tu réalises que ce que tu as fait, c’est vraiment quelque chose de mal. J’espère que tu ne feras plus jamais ce genre de chose à qui que ce soit », écrit Sofia dans un long échange où elle se confie à lui, et que StreetPress a pu consulter. Le rappeur s’excuse maladroitement, sans nier son trauma. En août, elle lui écrit que « ça [la] hante toujours » et qu’elle a « besoin de [lui] parler face à face ». Ils conviennent de se voir et s’expliquent pendant presque 1h30.

    Sofia renvoie des messages ce samedi 5 septembre, notamment suite à la mise en cause publique du rappeur Moha la Squale, auxquels Roméo Elvis répond. Avant de publier ses stories sur Instagram, le lundi dans la nuit. Le rappeur n’a pas tenté de l’en empêcher. Sofia lui envoie finalement mardi matin :

    « J’ai tout effacé. Ma vie a été gâchée par plusieurs hommes, pour toujours, mais je ne veux pas faire la même avec toi. Je ne suis pas quelqu’un de méchant comme ça, comme toi. J’espère que tu auras le courage de me parler à MOI. »

    Roméo Elvis et ses équipes n’ont pas répondu à nos sollicitations. Il a toutefois publié un court message sur son Instagram mercredi 9 septembre, où il explique : « Les réseaux s’enflamment, et oui : j’ai pris conscience d’avoir utilisé mes mains de manière inappropriée sur quelqu’un, croyant répondre à une invitation qui n’en était pas une, et m’arrêtant dans les instants qui ont suivi dès que j’ai compris. Je regrette sincèrement ce geste et surtout, je réitère publiquement les excuses déjà exprimées de nombreuses fois en privé et en personne. Je suis le moins bien placé, mais je le pense ce qui est souvent vu comme un acte banal est une erreur à ne pas faire. Peu importe qui nous sommes. Je ne suis pas fier de cette situation et espère servir d’exemple à ne pas suivre. »

    (1) Les prénoms ont été modifiés.
    Photo d’illustration : Roméo Elvis en concert lors du festival des Vieilles Charrues 2018. Source : Thesupermat via Wikimedia Commons

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