En ce moment

    25/05/2020

    « La police m’a dit que ça ne servait à rien de porter plainte »

    Des utilisatrices de Curiouscat reçoivent des centaines de menaces de viol et de torture

    Par Rémi Yang

    Sur le réseau social Curiouscat, une cinquantaine de jeunes femmes reçoivent des menaces : des descriptions de viol, meurtre, ou torture répétées. Très similaires, elles pourraient émaner d’un seul homme. La police prend l’affaire à la légère.

    « Je vais te décapiter à l’aide d’un éclat de verre », « je fantasme de vous découper au scalpel et déposer vos cadavres dépecés dans des sacs-poubelles », ou encore : « Je vais te planter un couteau dans le coeur puis pendre ton corps par les pieds ». Naomy, Marie, Ophélie, Illona, Masha, Louella, et Mannykoshka (c’est un pseudo) reçoivent ce type de messages par dizaine chaque semaine sur Curiouscat. Sur ce réseau social on peut poser des questions de manière anonyme – ou pas – aux autres utilisateurs. Des menaces de viol, de meurtre, de torture, qui se ressemblent toutes, sont envoyées massivement à plus d’une cinquantaine d’utilisatrices de la plateforme, parfois mineures, depuis plus d’un an.

    Si certains de ces messages sont parfaitement identiques d’une jeune femme à l’autre, d’autres comportent des éléments plus personnels. Depuis mars, par exemple, Ophélie est la cible d’une « bonne centaine de messages », qui menacent notamment sa fille. « Je vais te vider comme un poisson, toi et ta petite », lui a-t-on écrit. Les très nombreuses similitudes laissent à penser que ce cyber-harcèlement est probablement le fait d’un seul individu ou d’un groupe plus ou moins coordonné (sur un forum ou un réseau social par exemple).

    Bien qu’aucune de ces menaces ne semble avoir été mise à exécution, elles pèsent lourdement sur les destinataires. « Au début, j’ignorais et supprimais ces messages », relate Louella. « Puis ça a commencé à être de plus en plus violent, donc de plus en plus pesant sur le moral. Au point même d’avoir parfois peur de sortir de chez moi », continue-t-elle. La jeune lycéenne de 17 ans n’est pas la seule dans ce cas là. « Je ne suis pas sortie les deux premiers jours », abonde Masha, blogueuse sexo. Pour Marie, étudiante dans le sud, le calvaire dure depuis un an et demi. « Lorsque je ne savais pas qu’il y avait d’autres filles, j’avais peur de sortir. Au bout de cinq mois, une amie m’a dit qu’elle aussi recevait les mêmes messages ». Mannykoshka, travailleuse du sexe et travailleuse sociale, se rappelle quant à elle avoir reçu le premier message le 8 mars, pour la journée internationale des droits des femmes. Ils n’ont pas cessé d’affluer depuis. « Je ne trouve pas ça rassurant du tout. J’ai eu de l’eczéma à cause du stress », confie-t-elle.

    « On ne se sent pas soutenues »

    De nombreuses victimes ont contacté CuriousCat. Des demandes, à notre connaissance, restées lettres mortes. À l’exception de la requête de Marie. La plateforme lui a envoyé en guise de réponse, un message automatique expliquant ne pas pouvoir dévoiler l’I.P, ni l’identité de la personne derrière ces messages, et lui a conseillé de porter plainte. Mais sa mère l’en a dissuadé, lui expliquant qu’il n’y a que très peu de chance que la plainte aboutisse. Ni Ophélie, Louella, Masha, ou Mannykoshka n’ont franchi le seuil d’un commissariat. « Je n’ai plus confiance en la police pour régler ça », explique la première. « On ne se sent pas soutenues », regrette Mannykoshka, qui redoute d’être raillée. « Déjà qu’il y a des problèmes dans la prise en charge des femmes victimes de violences physiques, alors le cyberharcèlement, n’en parlons pas ».

    Certains filles ont tout de même sauté le pas, mais ca n’a pas été simple. « Lorsque je suis allée porter plainte au commissariat de Narbonne, les policiers ont tenté de me dissuader d’aller jusqu’au bout », se rappelle Naomy. « Ils m’ont dit que ça ne servait à rien, que ce n’était que des réseaux sociaux, que c’est rien… Ils en parlaient comme si c’était des messages d’adolescents. Sauf que là on parle d’un mec qui dit qu’il veut séquestrer, violer, assassiner. » Il a fallu que la jeune femme lise des messages à haute voix pour que les policiers acceptent d’enregistrer sa plainte. Et encore : le PV n’a été qu’à « moitié rempli », selon elle. « J’ai appelé le 17, mais la policière n’a pas pris la chose au sérieux », regrette Illona. « Elle ne connaissait ni Curiouscat, ni même Twitter. Elle pensait que je recevais des mails et que ça devait être un ex jaloux, et m’a dit que ça n’était pas utile de porter plainte », se rappelle-t-elle.

    Un groupe pour échanger entre victimes

    Pour essayer de faire bouger les choses, Naomy a lancé sur Twitter le hashtag #ccabuse. Les victimes de ces menaces anonymes partagent sur le réseau social des captures d’écran et se serrent les coudes. Un soulagement pour ces femmes, qui ont pu se rendre compte qu’elles n’étaient pas seules. Elles ont aussi monté un groupe de discussion sur Whatsapp. « Le groupe m’a beaucoup rassuré parce que je pensais que c’était quelqu’un qui pouvait être proche de moi. Mais de voir qu’il fait des copiés-collés, ça permet de relativiser », témoigne Illona.

    Sur la trentaine de personnes réunies dans la conversation WhatsApp, seules six femmes ont porté plainte, pour l’instant sans avoir reçu de nouvelles. Le groupe n’exclut pas de faire une lettre générale au procureur, ou de mener une action collective en justice.

    Edit le 26 mai à 12H15 : Contactés par StreetPress, CuriousCat et le Service d’Information et de Communication de la Police (Sicop) nationale sont finalement revenus vers nous. Ces derniers déclarent n’avoir reçu qu’une quinzaine de signalement pour CuriousCat pour le moment, ce qui serait insuffisant pour que la sous-direction de la lutte contre la cyber-criminalité se penche sur le sujet. Le sicop encourage les victimes à porter plainte et à se tourner vers la plateforme netecoute.fr. Quand à CuriousCat, ils se déclarent dans l’incapacité de bloquer les harceleurs en raison de l’anonymat. « C’est pour ça que nous collaborons avec la police en leur fournissant toutes les données que nous possédons sur les harceleurs ».

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER