« On prend notre mal en patience », résume Franck (1), confiné avec sa femme et ses deux filles. Comme une bonne partie des Français, ce quadra prend son mal en patience. Sauf que, contrairement à ses voisins, Franck est en instance de divorce. Depuis le 13 janvier 2020 exactement. « On a mis la date officielle à ce moment-là », se souvient-il. Après seize ans de couple, l’usure a fait son oeuvre. « C’est quelque chose qui traînait depuis plusieurs mois voire quelques années. Ce qui nous retenait beaucoup, c’étaient les enfants et notre maraîchage », détaille le père de deux filles. Le couple gère une ferme et une Amap (association pour le maintien de l’agriculture paysanne) dans l’ouest de la France.
Comme leurs revenus sont maigres, la séparation entraîne forcément la vente de leur ferme. Une démarche de plus dans une longue liste : aides juridictionnelles, médiation familiale, demande de logements sociaux… Tout ça prend du temps. « On savait qu’on allait être coincés ensemble une petite période », précise-t-il. Deux mois plus tard, en mars, il s’organise déjà une visite pour leur ferme :
« Tout ça était très bien parti. Mais, évidemment, quand le confinement est arrivé, tout s’est arrêté. »
Le retour des exs
Franck n’est pas le seul à s’être retrouvé confiné avec son ex. Étienne (1) et Mathilde (1) sont séparés depuis « 2015 ou 2016 ». Au moment du confinement, leur fils de huit ans était chez lui, à Villers-Cotterêts dans l’Aisne (02). Mathilde est à Paris, dans le 19ème arrondissement. Les rumeurs de confinement total qui circulent le jour de l’annonce d’Emmanuel Macron lui font craindre une interdiction de se déplacer et de voir son enfant pendant 40 jours. « Elle s’est un peu imposée en mode : “Soit je viens, soit je viens” », se rappelle Étienne en rigolant, qui précise qu’ils ne sont « pas en froid ».
À LIRE AUSSI : Et vous le confinement avec vos parents, ça se passe comment ?
Une situation similaire à celle de Michael (1). Sauf que c’est lui qui s’est imposé chez son ex, Lucie (1). « J’ai un gamin de six ans, on est séparés avec la maman depuis trois ans et demi », commence ce journaliste trentenaire. Si les deux ont gardé de bonnes relations, Michael évitait soigneusement le nouveau mec de cette dernière, David (1). « C’était difficile pour moi de rencontrer le gars avec qui elle était partie. J’en gardais un truc tenace, un peu comme une forme de rancoeur, alors qu’il n’y est pour rien », raconte-t-il. Mais l’approche du confinement l’amène à les contacter pour « voir ce qu’on fait pour mon fils ». David et Lucie, de leurs côtés, sont à la maternité après la naissance de leur fille le 11 mars, « le jour où l’OMS a déclaré la pandémie mondiale », note Michael. Après quelques palabres, la décision est prise : Michael vient la moitié du temps chez eux « sans y dormir ». « Je fais l’école à la maison pour mon fils, ça me fait rester chez eux de 13h à minuit. Non seulement j’ai rencontré son mec mais je me suis retrouvé à vivre avec lui intimement. » La situation est devenue leur « cluster intra-familial » :
« C’est essentiellement fait autour de mon fils et ça se passe hyper bien. C’est marrant, il y a quelques jours, jamais je n’aurais pu penser rencontrer David, et jamais je n’aurais passé autant de temps avec lui et surtout sympathiser avec lui ! »
Un modus vivandi
Le confinement donne des airs de sept à la maison. Comme chez Étienne, le confiné de Villers-Cotterêts. Habituellement, ils sont quatre : sa conjointe, leur enfant de neuf mois et son demi-frère, né de l’union avec son ex, Mathilde. Se sont ajoutés cette dernière, son mec et leur bébé d’un an. « Dès le début, on a mis des règles en place sur la cuisine et la vaisselle. On faisait à manger le midi, eux le soir. On groupait les machines à laver d’enfant », précise-t-il. Les deux enfants en bas-âges sont mis dans des chambres loin l’une de l’autre, « pour ne pas qu’ils se réveillent dans la nuit. Comme le nôtre dort, on n’avait pas envie de tout péter à ce niveau ». Heureusement, la maison d’Étienne est assez grande pour partager les espaces. Et le grand jardin offre le bol d’air nécessaire.
Chez Franck, le maraîcher, le confinement n’a pas enclenché des changements immédiats. « On était plus dans l’instant présent : continuer à livrer nos clients en légumes. » Mais trois jours après, il a pris conscience « que tout allait être reporté ». Même les démarches symboliques sont bloquées. « On voulait faire une déclaration de séparation tout en vivant sous le même toit auprès de la MSA [la Caf des agriculteurs, ndlr] pour que les aides sociales s’enclenchent. Ça permettait de différencier notre compte joint et on pouvait commencer à avoir des vies différentes, même si ce n’était pas immédiat », détaille Franck. L’arrêt de ces démarches et le fait de ne plus pouvoir sortir le weekend – « notre petite bouteille d’oxygène » – les a amené à mettre en place « un modus vivandi » :
« Ce n’est pas l’enfer à la maison, mais la première semaine il a fallu qu’on s’organise. C’était un peu dur. Pour le moment, un reste à la maison pour garder les filles et leur faire cours à domicile, pendant que l’autre va travailler. On alterne. »
Face à cette situation peu évidente, l’homme de 42 ans n’a pourtant jamais pensé à quitter le domicile familial :
« On n’a pas de famille près de chez nous et on doit continuer à travailler avec l’entreprise. On ne peut pas s’arrêter complètement. Par contre, si ça dure vraiment, j’envisage de vivre dans un mobil-home qu’on a sur la ferme. Pour l’instant, ce n’est pas d’actualité, mais on est vraiment bien coincés ! »
Entre les moments marquants et les tensions
Pour Michael, c’est au contraire « quelque chose d’assez rythmé et naturel » qui s’est institué. « Je fais des activités avec mon fils, comme si on était dans un truc à trois parents. Le premier soir, il a halluciné de me voir chez eux, le coucher, voir qu’on parlait avec David. Il ne comprenait pas qu’on soit dans la même pièce pour lui », indique-t-il, un sourire dans la voix :
« Là, les bienfaits du coronavirus se montrent : je me retrouve à bouffer un rôti et à boire du pinard jusqu’à pas d’heure avec lui. À fumer des bédos en essayant de deviner l’avenir de ce bordel. C’est assez marrant et réjouissant. La période l’oblige. Face à tout ça, tu outrepasses les petits trucs comme la rancoeur. »
L’ambiance n’est pas toujours au beau fixe. Chez Étienne, les tensions apparaissent au bout d’une semaine. « À cause d’internet, on était tous au même endroit. C’était un peu étouffant », indique-t-il. Finalement, les mesures assez souples du confinement font que Mathilde et son mec repartent sur Paris. « Ils se sont un peu sentis de trop et ont proposé de partir. On leur a dit que c’était mieux. En plus, ils ont vu qu’on ne serait pas totalement confinés, ça les a rassurés. » La fin en eau de boudin n’efface pas les bons moments passés :
« Avec le beau temps, on s’est retrouvé à manger en terrasse, comme si on avait loué une maison de vacances. On avait sorti les shorts, il ne manquait plus que la pétanque et le pastaga ! »
Les gagnants de ces confinements spéciaux semblent bien être les enfants. Franck et sa femme ont annoncé leur séparation à leurs filles en février. « Pour l’instant, elles ne le prennent pas trop mal. Ce n’est pas un drame pour elles. » Chez Étienne, la situation était plutôt « rigolote » pour leur fils durant la semaine de cohabitation. Il faisait une nuit de chaque côté de la maison avec un parent différent. « Il avait ses deux frères là pour lui aussi, c’était le Pérou », s’amuse Étienne. Positif, Michael conclut :
« Je pense que mon fils va se dire dans quelques années : “Mais c’était quoi cette période de ouf où j’avais mon père et mon beau-père, où tout le monde s’est réconcilié ?” »
A lire aussi
(1) Les prénoms ont été changés
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€ 💪Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER