Chelles (77) – « Le Cap, c’est ce qui m’a permis de ne pas traîner dans la rue le soir et d’éviter les mauvaises fréquentations », assure Yanis, 18 ans, adossé à un banc. En face, un bâtiment vétuste cerné par les herbes hautes a longtemps accueilli les jeunes du quartier des Cressonnières qui se pressaient pour bénéficier des activités du Centre d’accueil pour ados et pré-ados (Cap). « Ici, l’offre culturelle et de loisirs était très variée et ne coûtait vraiment pas cher », se souvient Yanis en jonglant avec son briquet. « Grâce à cette structure, j’ai pour la première fois découvert Paris et la possibilité de sortir à l’extérieur de Chelles. Aujourd’hui, on voit énormément de petits groupes de jeunes qui errent de jour comme de nuit et c’est frustrant », se désole l’étudiant en BTS management du commerce opérationnel.
Les Municipales by StreetPress
Dans le cadre de notre projet Municipales by StreetPress, Amine tire le portrait de Chelles (77).
Épisode 1 : Transports en commun trop rares : la galère des quartiers populaires de Chelles
Épisode 2 : À Chelles, les candidats aux municipales draguent la communauté tamoule
Épisode 3 : À Chelles, la Mairie a fermé les trois centres d’accueil pour ados
Pendant trois mois, Streetpress accompagne cinq jeunes sélectionnés sans critères de diplômes. Ils sont formés par la journaliste Nathalie Gathié et rémunérés en piges pour leurs articles. Si vous souhaitez soutenir nos initiatives, vous pouvez nous donner quelques euros par ici. Malgré le confinement nous avons décidé de publier la fin de cette série.
Situés dans les quartiers populaires
Jusqu’à leur liquidation progressive entre 2014 et 2015, Chelles comptait trois Caps. Implantés aux Coudreaux, aux Cressonières et à Chanteraine – des quartiers populaires excentrés du centre-ville – ces lieux de vie se posaient en maillons essentiels de l’éducation populaire. À l’image des maisons des jeunes et de la culture (MJC) qui, elles aussi, disparaissent, ils garantissaient aux jeunes des cités un accès au savoir et aux loisirs auquel chacun a théoriquement droit. Maire Les Républicains (LR) de la commune depuis 2014 et réélu ce dimanche avec 54,81 pourcents des voix, Brice Rabaste ne l’a pas entendu de cette oreille. Plus préoccupé par les questions de sécurité que par la démocratisation de la culture, il a rayé les Cap de la carte. Des « économies » réalisées sur le dos des jeunes sans que les Chellois du centre-ville s’en émeuvent.
« Cette situation est anormale et nous souhaitons dénoncer ce manquement au niveau local », s’emporte Lucia Pereira, conseillère municipale d’opposition. Tête de liste du mouvement « Faire Ville Ensemble », qui n’a pas convaincu les Chellois dimanche, elle n’en plaide pas moins pour la réouverture des Caps dans chaque quartier : « Nous continuerons à nous battre pour replacer la jeunesse au cœur du projet municipal », promet-elle en ces lendemains de défaite. Karim, qui fut éducateur dans plusieurs Cap de 2011 à 2015, ne dit pas autre chose :
« Les jeunes sont les grands oubliés de cette ville et la fermeture des Cap le prouve. Cette suppression est tragique d’autant qu’aucun projet alternatif ne se dessine pour les remplacer. »
Aujourd’hui en recherche d’emploi, Karim sait bien que les allées et venues de jeunes contraints à l’oisiveté alimentent le sentiment d’insécurité des habitants… « D’ailleurs, je suis sûr qu’il y a une corrélation entre la fermeture des Caps et l’augmentation de la délinquance sur Chelles », suppose-t-il (1).
Maintenant tout est payant
« Si on ne pose pas fermement que le loisir est nécessaire au développement des jeunes, on laisse place à des acteurs émergents qui ne sont pas liés à l’épanouissement de l’individu, mais peuvent favoriser d’autres objectifs tels que la radicalisation religieuse ou le deal », prévient le sociologue Frédéric Gimello-Mesplomb, spécialiste des pratiques culturelles et de la sociologie des publics. « Une maison de quartier, comme une MJC, donnent l’opportunité aux jeunes de créer du lien social. En sacrifiant des espaces comme ceux-là, il ne reste rien à part l’école pour encadrer ou s’occuper de ces enfants. Mais une fois qu’ils ont quitté la salle de classe, qu’advient-il ? », interroge le chercheur.
Assis sur les escaliers, en amont de la porte d’entrée de son bâtiment, dans le quartier Gambetta, Stivane, 19 ans, regarde le ciel d’un air las : « Y’en a marre d’être ici, c’est vraiment la galère ! À part aller à la chicha ou au grec, qu’est-ce que tu peux faire ? », s’exaspère l’étudiant en licence de commerce international. « Et encore, tout ça, c’est payant », nuance Wilson, 20 ans, aux abords du bâtiment 11 de la cité. « Tous les jours, on voit les petits traîner aux pieds des immeubles mais qu’est-ce que tu veux leur dire ? Si j’avais pu, j’aurais inscrit mon petit frère dans une structure où on se serait occupé de lui mais ça n’existe plus, c’est le désert ! », soupire l’employé du Quick en sifflant les dernières gouttes de sa canette d’Oasis. Depuis 1998 pourtant, la Charte pour l’éducation artistique et culturelle, paraphée par plusieurs ministères dont ceux de l’Éducation Nationale et de la Culture, s’engage à ce que tous les jeunes puissent de « s’emparer des arts et de la culture ». En 2013, ce texte a été renforcé : il appelle désormais tous les partenaires institutionnels et associatifs à se mobiliser pour permettre « l’égal accès de tous les jeunes » aux activités artistiques qui « contribuent à la formation de la personnalité et sont un facteur déterminant de la construction de l’identité de chacun ». Une recommandation qui n’est manifestement pas parvenue jusqu’à la mairie de Chelles.
(1) Selon le Ministère de l’Intérieur, sur le bassin chellois, les vols et les dégradations ont respectivement diminué de 18,4 et de 28,7% entre 2014 et 2018 mais les violences, escroqueries ou crimes notamment liés au trafic de stupéfiants ont bondi de 72,4% sur la même période.
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