« Ce n’est clairement pas essentiel aux intérêts de la nation que les centres de rétention restent ouverts », affirme l’avocate en droit des étrangers Flor Tercero, entre deux préparations de demandes de mise en liberté. Pourtant, malgré la situation de crise sanitaire liée au coronavirus, le ballet des personnes privées de libertés continue dans les centres de rétention. « Les retenus sont toujours placés, emmenés devant les juges, les OQTF [Obligations de quitter le territoire français] continuent d’être délivrées et hier on a eu de nouvelles personnes qui sont arrivées… », relate ce lundi Justine Girard, coordinatrice de l’ASSFAM en permanence dans le centre de rétention de Vincennes. Karim (1) et Rachid (1), retenus au centre de rétention de Lille-Lesquin ainsi qu’Abdou (1), enfermé à Toulouse-Cornebarrieu ont eux aussi vu de nouvelles têtes depuis ce week-end.
« C’est un traitement inhumain et dégradant pour les personnes placées, puisqu’elles sont confinées et qu’elles risquent d’avoir leur santé mise en danger. Mais c’est aussi une charge mise sur les juridictions et les policiers qui est complètement injustifiée à l’heure actuelle », insiste Me Tercero :
« Il faut libérer tous les étrangers sans papiers retenus dans les Cra ! »
Plus de caleçons propres
« Je suis à cran, je subis. On n’est pas des animaux ! » Placé au centre de rétention de Toulouse depuis jeudi dernier, Abdou n’en peut plus du confinement. Depuis lundi, les visites, dépôts d’affaires et transferts d’argent sont mis en pause dans le Cra de la ville rose. Pour le retenu, ces dispositions sont intenables. « Je n’ai toujours pas reçu d’affaires, comme ils ont tout bloqué. Je n’ai pas de téléphone, et je n’ai rien d’autre que les habits que je portais lorsque je me suis fait arrêter. Je suis obligé d’aller prendre des nouveaux caleçons à l’OFII. La dernière fois, ils m’ont dit qu’ils n’en avaient plus de propres ! », s’insurge-t-il.
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L’arrêt du transfert d’argent signifie que les retenus qui ont épuisé leurs économies ne peuvent plus acheter de cartes prépayées pour téléphoner, ni de clopes, ou de nourriture autre que celle servie au self. « Et la gamelle, ça ne suffit pas », commente Abdou :
« Ça va bientôt partir en émeute je pense. On s’en fout du président [de l’annonce présidentielle du lundi soir, ndlr], on veut au moins les dépôts d’affaires ! ».
Au centre de rétention de Lille, Mouloud (1) explique que les retenus ont réussi à obtenir des « visites à distance », c’est-à-dire que les proches peuvent venir mais doivent se tenir à une distance de sécurité, tout en portant des masques.
« On est inquiet pour notre santé »
Depuis quatre jours, les retenus de Lille ne fréquentent plus le réfectoire. Une grève de la faim motivée par la peur d’être contaminé, notamment parce qu’aucune mesure n’a été prise pour respecter les distances d’éloignements. « On a décidé de ne plus sortir de nos chambres », rapporte Karim, soulignant que la décision vient des retenus eux-mêmes :
« On est inquiet pour notre santé. »
« Il y a quatre ou cinq jours on a vu quelqu’un avec de la fièvre », rembobine Rachid, lui aussi retenu à Lille. « C’est un truc de dingue, ils l’ont sorti entièrement recouvert d’une couverture », complète Karim. Rapidement, la rumeur d’un cas de contamination au coronavirus sème la zizanie parmi les retenus, bien qu’infirmée par l’Ordre de Malte, l’asso intervenant pour les droits des retenus dans ce centre. « On est en état de panique ici », rapporte Rachid.
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À Toulouse, Abdou a remarqué que les policiers qu’il côtoie au self « portent des masques et pas nous ». Il regrette que les infirmiers ne les prennent pas « au cas par cas. Si quelqu’un est malade, ils ne le sauront pas. Et comme on est tous confinés ensemble… » « On est dans l’impossibilité de garantir que la maladie ne se répande pas dans les Cra, puisqu’on ne peut pas tester les retenus », note Me Tercero. De son côté, l’administration du centre assure que la situation « est sous contrôle ».
Les frontières se ferment
« Il n’y a plus de vols vers tous les pays concernés par les expulsions », assure Rafael Flichman, contact presse de l’asso La Cimade, alors que les frontières européennes se ferment ce mardi et que la liste des pays refusant les vols français s’allonge de jour en jour. À Vincennes, les dernières expulsions « ont eu lieu ce week-end », informe Justine Girard, coordinatrice juridique de l’Assfam. Elle n’a cependant pas pu remettre la main sur les destinations précises. « Si les vols ne peuvent pas décoller alors pourquoi continuer la rétention ? », se questionne Me Tercero.
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Depuis lundi, La Cimade a plié bagages des huit Cra dans lesquels elle tenait des permanences. « On estime que les centres ne sont pas en capacité de prendre en charge la crise sanitaire », justifie Rafael Flichman. La Cimade demande la fermeture des Cra et la libération des retenus, vu que les expulsions ne sont « pas réalisables ». « On est dans une situation où juridiquement, ce n’est pas possible que les personnes restent privées de liberté alors qu’on sait pertinemment qu’elles ne pourront pas être éloignées », martèle Me Tercero, invoquant l’article L 554-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers : « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ ».
Lundi, Justine Girard a admis qu’aucune consigne précise ne lui avait été donnée. « On ne sait pas quoi faire », a-t-elle lâché dans le rush. Aujourd’hui, elle enchaîne les réunions de crise, alors que l’Assfam a également demandé la libération de tous les retenus. Et ce souhait pourrait bien se réaliser. « Les cours d’appel de Bordeaux et de Paris refusent les prolongations [de rétention] et libèrent les gens qui font la demande, en motivant que le stade trois du coronavirus nécessite la mise en place de mesure de précautions, mais aussi qu’on doit s’abstenir d’envoyer hors de France des personnes qui pourraient être porteuses du virus », étaye Me Tercero :
« Logiquement, l’administration devrait libérer tous les retenus dans tous les Cra. »
(1) Les prénoms ont été modifiés
Photo d’illustration : Le Cra du Mesnil-Amelot, lors d’une visite le 13 novembre 2017.
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