« En soit ça ressemble à une colonie de vacances un peu spéciale… ». Posée à la terrasse d’un café du 11e arrondissement de Paris, Julie (1) évoque son expérience de volontariat en Israël l’été dernier. La vingtenaire est partie dans une base militaire israélienne pendant deux semaines. Chaque année, un millier de Français et de francophones l’imitent, surtout des jeunes de 16 à 18 ans.
Ils sont bénévoles au sein de Tsahal via le programme Sar-El, abréviation de Shérout Le Israël, « service pour Israël ». Là-bas, ils y font les tâches ingrates – préparer les repas des soldats, les trousses médicales ou nettoyer et ranger le matériel militaire – visitent le pays, manient des armes ou pratiquent le Krav Maga. Une « colo » au milieu des chars et des mitrailleuses.
Un bouche-à-oreille
Le recrutement se fait principalement par le bouche-à-oreille. Camille a suivi sa meilleure amie pour passer du temps avec elle. Des amies de Thalie, « très attachée à Israël », lui ont dit que c’était « une expérience géniale ». Du côté de Chani, son frère et une dizaine de personnes qu’elle connaît étaient déjà parties. Un classique dans son milieu. « Dans l’école où je suis, les gens le font souvent entre la première et la terminale », précise la Parisienne qui est partie en juillet 2019 à 16 ans.
Les jeunes de 16 à 18 ans constituent les deux tiers des 1.000 volontaires français annuels. / Crédits : Instagram
Julie, elle, en avait déjà entendu parler via ses « copines de classe, mais ça ne [l]’intéressait pas du tout ». Elle a même trouvé ça « bizarre » :
« Pour moi, c’était parce qu’elles avaient 16 ans et qu’elles avaient envie d’être avec des beaux gosses bronzés ! »
Les jeunes de 16 à 18 ans constituent les deux tiers des 1.000 volontaires français annuels. Les retraités forment le reste du contingent. Si ces derniers y vont toute l’année, les ados partent eux deux à trois semaines durant l’été et sont une trentaine par base militaire. D’où l’ambiance « colo de vacances ». Julie, qui a fini par imiter ses amies du lycée, analyse :
« Les volontaires ont l’âge où ils n’ont plus envie de partir avec leurs parents, mais eux ne veulent pas les laisser seul. Ils trouvent que Sar-El est un bon compromis. »
Un volontariat international
Depuis sa mise en place dans l’Hexagone en 1983, Tsahal a accueilli plus de 40.000 volontariats français dans ses camps militaires (de nombreux volontaires ont participé plusieurs fois, ndlr). Ces volontaires rendent un fier service à l’État hébreu. Comme chaque Israélien est un soldat, il reste réserviste et continue d’être appelé une fois qu’il a fait son service militaire. Pour éviter de convoquer leurs troupes afin qu’ils fassent les corvées quotidiennes de l’armée, le gouvernement israélien a trouvé une main-d’oeuvre de remplacement : les volontaires. Ils permettraient à Israël d’économiser 1.600 euros par réserviste épargné. Ces civils n’ont pas besoin d’être de confession juive, même si les trois-quarts le sont, selon nos informations. Pour partir, ils doivent juste payer une centaine d’euros de frais d’enregistrement et leurs billets d’avions.
Sar-El fait sa communication sur les réseaux sociaux et est un habile relai de propagande. / Crédits : Captures d'écran de Facebook
Si la France est un des plus grands pourvoyeurs de volontaires, à égalité avec les États-Unis, d’autres Européens se retrouvent sur les bases israéliennes. Sur Instagram, de nombreux jeunes posent habillés en treillis ou dans des hélicoptères sous le hashtag #Sarel. Les commentaires y sont en russe, hongrois, tchèque, français ou néerlandais… Là est la fonction première du volontariat. Plus qu’apporter un soutien, il reste surtout un relais de propagande par les réseaux sociaux mais aussi le bouche-à-oreille. « C’est un objectif d’Israël qu’à minima ils rentrent avec une image positive de l’État », appuie Iris, une ancienne volontaire.
Une « colo » au milieu des chars, des hélicoptères et des mitrailleuses. / Crédits : Instagram
Un programme réglé
Là-bas, le programme marche au pas. On s’y lève à 7h avant de petit-déjeuner à 7h30. « Si quelqu’un est en retard, on fait tous du gainage », se souvient Chani, qui était sur une base à côté de Jérusalem, en Cisjordanie. À 8h30, on assiste ensuite au lever du drapeau où on chante « l’hymne national avec les autres militaires ». De 9h à environ midi, les volontaires s’adonnent à leurs travaux. « On nous a emmenés dans des grands hangars où on devait défaire des cartons. Empiler des gilets pare-balles par dix et les ranger. Faire les sacs à dos des militaires en mettant des chargeurs, des gourdes… », se rappelle la Française de 16 ans. Julie, elle, a été dans une « petite base » spécialisée dans « la veille antiterroriste ». Là-bas, elle a plié des grandes tentes, lavé les dortoirs et rangé des munitions. « Ça a été le truc le plus “Wouuuh” que j’ai fait », rigole l’Alsacienne, pas désarçonnée par le côté militaire de la chose. D’autres personnes comme Camille ont davantage été marquées :
« Il y a un côté surréaliste. T’es d’un coup projeté dans un pays et un environnement que tu ne connais pas. Tu n’es pas dans une ville mais dans un camp militaire. Tu arrives, t’es un peu dans la pampa. D’un coup, tu vois des barbelés, des chars passer… Sur le coup, tu te sens isolée. »
Dans cette « pampa », les volontaires travaillent jusqu’à environ 16h, avec une pause dej’ d’une heure. Ils sont encadrés toute la journée par une soldate israélienne, la « Madrikha » (qui veut plus ou moins dire « cheftaine »). Le soir, des activités sont organisées par ces dernières. « On a eu des cours d’initiation à l’hébreu, l’apprentissage de la couleur des bérets des unités, une introduction à l’histoire d’Israël. Mais les programmes diffèrent selon les encadrantes », raconte Julie. Cette dernière s’est toutefois vite ennuyée : « Ça devient banal, tu tournes en rond. Mais ça, ils ne le disent pas parce que ce n’est pas vendeur ».
Avec Sar-El, les volontaires font les tâches ingrates des réservistes : préparer les repas des soldats, les trousses médicales ou nettoyer et ranger le matériel militaire. / Crédits : Instagram
Une communication verrouillée
Du côté de l’organisme, la communication est verrouillée. Une membre de Sar-El était pourtant enthousiaste après avoir été contactée par StreetPress. « C’est une excellente idée votre démarche. Vous pouvez m’appeler quand vous voulez », écrit d’abord Catherine, responsable de Sar-El en Belgique. Elle se propose même de nous brancher avec des anciens volontaires. Huit heures plus tard, la donne et le ton ont changé :
« Désolé, après avoir pris contact avec mes supérieurs, je ne peux revenir vers vous. Contactez le bureau dès l’ouverture. Ils prendront une décision si nous pouvons donner suite à votre projet. »
La réponse dudit bureau sera finalement négative.
L’ombre de la guerre
Certains témoignages peuvent ternir l’image d’une joyeuse colo. Thalie a 17 ans en 2006 lorsqu’elle fait son « service ». Quelques jours après son arrivée en juillet, Israël et le Liban s’engagent dans un conflit qui dure 33 jours. Elle est dans une base dans le nord du pays, à seulement 20km de la frontière libanaise et du front. Tout d’abord placée aux cuisines en compagnie d’une quarantaine d’autres Français, elle change rapidement d’endroit et d’activité au bout d’une semaine :
« Il y avait trop d’alertes à la bombe. Mais on avait l’habitude. On savait qu’on avait une minute pour trouver un abri. Si on n’en trouvait pas, on se couchait par terre. »
Deux personnes de son groupe choisissent alors d’être rapatriées. Pas elle. Sur sa deuxième base, à Tzrifin – près de Tel-Aviv – Thalie remplit les cartons de rations pour les soldats de Tsahal et se porte volontaire pour les distribuer au front :
« On était dans des camions blindés avec des gilets pare-balles et on les déposait dans des abris. »
La « Tsahal Experience »
Après s’être rendu au plus près des combats, Thalie et les autres membres de son groupe participent aux entraînements. « On apprenait à tirer au M16 ou on faisait des entraînements de krav-maga (un art martial de l’armée israélienne, ndlr). Après, on apprenait aussi à dégoupiller une grenade et à la lancer. À dessouder un M16 et à le remettre en place. On étudiait les gestes de premiers secours », énumère celle qui est désormais orthophoniste.
Certains volontaires optent pour un entraînement paramilitaire au sein de Tsahal, avec l'apprentissage du maniement des armes. / Crédits : Instagram
Si cet apprentissage s’est effectué dans le cadre des combats, d’autres volontaires français le pratiquent en temps de paix. En plus des deux semaines conventionnelles, Sar-El propose sept jours supplémentaires qui diffèrent selon la « formule ». L’une permet de découvrir le pays, l’autre de faire un entraînement « sportif et paramilitaire ». C’est la « Tsahal Experience ». Chani a souscrit à cette dernière :
« On faisait vraiment comme les militaires. On se levait tôt, on faisait tous les exercices physiques… Ça c’est en dehors de la base et c’est organisé exclusivement par Sar-El. »
L’adolescente a choisi ce programme pour imiter son frère. « Il m’avait dit que c’était très bien, que j’allais adorer. On apprenait à tirer, à faire du krav-maga et du paintball », précise-t-elle. Elle n’a pas été impressionnée par le contexte :
« Je savais que j’allais pouvoir toucher une arme donc j’étais vraiment contente de pouvoir le faire vraiment. »
Pour ces formules additionnelles, les prix augmentent. De 150 euros, le volontariat passe à environ 850 euros avec la « Tsahal Experience » et à 950 euros pour le programme de découverte. « Pas tant de personne ne le font, c’est beaucoup plus cher et les familles qui envoient leurs enfants là-bas n’ont pas forcément envie d’en faire des soldats », nuance une connaisseuse des arcanes du volontariat. « C’est une chose de ranger du matériel et c’en est une autre de faire un entraînement militaire. Même si c’est allégé », estime Julie.
Pour ces formules additionnelles, les prix augmentent. De 150 euros, le volontariat passe *à environ 850 euros avec la « Tsahal Experience »* et à 950 euros pour le programme de découverte. / Crédits : Sar-El
Face à ces programmes et entraînements spéciaux, les personnes qui s’occupent du recrutement pour Sar-El feraient passer des entretiens « aux Juifs et aux non-Juifs pour s’assurer que ce ne sont pas des fadas », renchérit la connaisseuse anonyme. Un responsable aurait certifié à cette dernière qu’il avait déjà remarqué des « racistes anti-arabes ou d’extrême droite » :
« Il les avait refusés car ce n’était pas l’esprit du volontariat. C’était dangereux ».
Face à ces programmes et entraînements spéciaux, les personnes qui s’occupent du recrutement pour Sar-El feraient passer des entretiens. / Crédits : Instagram
Un relais de propagande
Le programme est moins populaire que dans les années 2000 ou au début de la dernière décennie. Le nombre de volontaires « stagne voire baisse », selon la source anonyme. Mais même s’il a moins la cote, le volontariat continue d’être un moyen de propagande efficace et pas cher. Sa légende a été gonflée en ce sens. Selon l’organisme, le programme est né en 1982, quand Israël est en guerre au Liban pour l’opération « Paix en Galilée ». Les agriculteurs du Golan, une région dans le nord du pays, sont appelés sous les drapeaux et doivent laisser leurs récoltes. Pour éviter qu’elles ne soient perdues, le général à la retraite Aaron Davidi appelle des Juifs américains en renfort. Mais pour certains universitaires, la guerre au Liban et la création du volontariat sont deux événements contemporains mais « objectivement séparés ».
Cette légère réécriture de l’histoire s’inscrit dans le « complexe de Massada », détaille Iris, une ancienne volontaire. « C’est cette idée que l’État d’Israël a besoin d’être soutenu. C’est quelque chose qui permet d’entretenir la solidarité avec les Juifs de la diaspora », appuie-t-elle. Cette dernière est partie en 2014, avant la guerre de Gaza entre le Hamas et Tsahal. Elle a eu « une sorte de déclic » quand elle est rentrée et qu’elle a vu le début des combats. Qu’elle soit « sioniste » ne l’a pas empêchée de s’interroger sur son engagement :
« Même si tu fais du volontariat civil sur place, c’est tout sauf neutre d’aller soutenir l’armée israélienne, qu’on considère ça bien ou mal. »
Inspirée par cette expérience, elle a prolongé sa réflexion via un mémoire sur le sujet : « Les volontaires juifs de France vers Israël depuis les années 1940 ». Elle y souligne que le « service » que propose Sar-El se place « entre tourisme et sionisme ». Un habile moyen de propagande.
Une stratégie pour relancer l’alya
À l’époque de sa création, le volontariat a également été vu comme un moyen de relancer l’alya – terme qui désigne l’immigration des Juifs en Israël –, au point mort comme l’explique un article du Monde de 1983, intitulé : « Les volontaires cambouis de la Terre Promise ». Presque 40 ans plus tard, la stratégie a porté ses fruits. Certains utilisent bien le volontariat pour se donner un avant-goût du service militaire obligatoire. « C’est sûr qu’il y a déjà un pourcentage de personnes qui vont là-bas car elles ont comme projet de s’engager dans l’armée », affirme la jeune Chani, qui a discuté de ce sujet avec d’autres groupes lors du weekend de Shabbat, où les volontaires quittent la base militaire. Iris et Camille ont aussi eu ces conversations avec d’autres volontaires. « Quand tu vas en Israël ce n’est pas que pour aller à la plage. Tout le monde doit faire l’armée. J’ai choisi de le faire parce que ça m’intéressait et aussi parce que j’avais envie de voir comment fonctionne une base militaire, cette autre partie d’Israël que je ne connaissais pas », explique Thalie, qui a envisagé de faire son alya il y a quelques années.
À l’époque de sa création, en 1982, le volontariat a également été vu comme un moyen de relancer l’alya / Crédits : Instagram
La stratégie de Sar-El ne marche pas à tous les coups. Camille est partie en 2005, à 16 ans. Si elle concède qu’elle a vécu une expérience intéressante, elle a, après coup, « plutôt regretté de participer aux rouages de l’armée israélienne ». Elle se souvient notamment d’une veillée où des militaires de Tsahal lui avaient présenté des armes. « Ils nous ont montré le fonctionnement et il y avait un militaire un peu fougueux, un peu jeune, un peu con je trouve, qui nous a dit : “Voilà, là tu peux tirer à bout portant” », raconte-t-elle. Tout d’un coup, le camp, le treillis et les pistolet-mitrailleurs sont devenus « très réels » :
« Dans mon esprit, je ne voyais pas un ennemi en face mais un être humain, et je n’avais pas envie qu’il se fasse défoncer. Quand tu es jeune, tu ne te rends pas compte de ce que tu fais et l’impact que cela a. »
(1) Le prénom a été changé
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