Depuis que l’humidité s’est infiltrée dans la petite chambre du fond, Vincent dort sur le canapé du salon. Des 42 m2 habitables de son mobile home tout équipé, il n’occupe plus que la moitié. Fuites à répétition, travaux interminables… Les conditions de vie de ce quinquagénaire domicilié au camping du Hameau du Saut du Loup, à Garancières, se dégradent chaque jour un peu plus. Pourtant, sur la parcelle C38 de l’allée du Central de ce caravaning de 67 hectares, l’ancien maître d’hôtel intérimaire a « trouvé son bonheur » : « Ici, on fait ce qu’on veut. J’appelle ça la vengeance du pauvre », ironise-t-il. Liberté, tranquillité, marginalité : si le camping de cette commune des Yvelines avait un fronton, c’est sans doute cette devise qui y figurerait.
Les Municipales by StreetPress
Dans le cadre de notre projet Municipales by StreetPress, Laure va tirer le portrait de Garancières (78).
Épisode 1 : À Garancières une poignée de « pauvres » vit au camping toute l’année
Épisode 2 : À venir
Épisode 3 : À venir
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Comme Vincent, Lisa ou Marinette, quelques 80 personnes ont posé leurs valises sur ce bout de terre distant de 2,5 kilomètres du centre-ville. Loin des coquettes maisons en pierres meulières qui s’alignent dans les rues de ce bourg de 2.400 habitants. Ici, au cœur des Yvelines chics et cossues, le troisième département le plus riche de France, les résidents détonnent. Les chateaux de Rambouillet et Montfort-L’Amaury ou les golfs du département sont tout proches, mais semblent à des années-lumière. Au camping, chacun décline sa différence à distance du conservatisme des Garanciérois qui, depuis 31 ans, réélisent le même maire, Christian Lorinquer, sur l’air du « pourvu que rien ne change ».
Vivre à l’année en camping, c’est mal vu
130 m2, 5 pièces, 3 chambres, véranda sur cuisine semi-ouverte, cheminée en pierre, piscine extérieure chauffée… Dans les agences immobilières, certaines annonces font rêver. À Garancières, 80% des habitants sont propriétaires. Pas l’ombre d’un logement social dans des ruelles où Marinette – infirmière à la retraite qui a débarqué au camping en 1986 –, Lisa – assistante sociale adepte de « la vie au grand air » – et Vincent mettent rarement les pieds. Pour ce célibataire aux cheveux grisonnants habitué aux spacieuses maisons en dur, le camping ne devait être qu’une parenthèse. Un sas le temps de rebondir et de retrouver un logement après son licenciement en 2006.
Quatorze ans plus tard, il passe ses dimanches à planter des fleurs le long de la haie qui borde sa parcelle. Et l’été, il suffoque dans le mobile home en placo acheté 20.000 euros grâce à ses indemnités.
« Des copains me demandent pourquoi je suis resté, sans cesse ils me questionnent : “mais quand est-ce que tu te barres ?”. »
Si on ne lui demande pas où il réside, Vincent ne le précise pas : « Il y a une incompréhension de l’extérieur. Vivre à l’année en camping, c’est mal vu, ça alimente les préjugés », développe-t-il. Devenu maître de maison pour des jeunes placés sous structure éducative, il perçoit à peine 1.000 euros mensuels. Pas de quoi déménager. Tant pis pour les regards obliques portés par la population du centre ville. « Dans les années 90, on passait déjà pour des manouches », se souvient Marinette. À 76 ans, elle se fiche bien de sa réputation. Et revendique sa vie dans son « palace », surnom qu’elle a donné à son mobile home de 70 m2.
Marinette est résidente du camping depuis 1986 : « Dans les années 90, on passait déjà pour des manouches. » / Crédits : Laure Lemeille
Trop pauvres pour louer une maison
Lisa, dont le salaire ne dépasse pas le SMIC, savoure ce quotidien de peu mais en reconnaît la difficulté. Alors que le revenu moyen des Garanciérois avoisine les 3.500 euros nets par mois, « la plupart des résidents du camping sont des cas sociaux. Trop pauvres pour louer une maison, encore moins l’acheter… ». Dans son mobile home délabré, Vincent grelotte. Il n’a plus les moyens de dépenser un centime pour chauffer l’arrière-chambre imprégnée d’humidité. Et en ce week-end de février, la température est la même qu’à l’extérieur. « C’est très mal isolé, ça commence à devenir insalubre. Là, il y avait un bureau. Un jour, j’ai ouvert le tiroir et j’ai vu de la flotte. J’ai tout enlevé pour pouvoir faire des travaux, mais un rien coûte cher et pour l’instant, je n’ai pas l’argent », détaille-t-il.
La cuisine de Vincent. Dans son mobil-home délabré, ce dernier grelotte. / Crédits : Laure Lemeille
« Moi, en cherchant bien, je pourrais peut-être louer un appartement », réfléchit Lisa à voix haute. Sauf que la question ne se pose pas. Plus question d’habiter un lotissement « après 17 ans d’enfermement en appart’ ». En 2015, Lisa claque la porte de son F2 d’Orgerus, à quelques kilomètres du Hameau du Saut du Loup. Deux résidentes cèdent leur mobile home, elle saute sur l’opportunité et s’installe. Dans son salon de 17 m2, le canapé couleur crème est adossé aux murs blancs qu’elle a repeints. Du sol au plafond, elle a tout aménagé à son goût. Et pour 500 euros de redevance chaque mois, elle s’épanouit sur sa parcelle de 300 m2. « Ici, tu es responsable de ton cadre de vie », scande-t-elle en fumant sa cigarette roulée. D’autant plus responsables que, faute de payer des impôts locaux, elle et ses modestes voisins de camping n’ont pas accès à tous les services communaux comme la fourniture de sacs de déchets.
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La marginalité a du bon
L’été, dans son jardinet, Lisa déploie une grande table pour recevoir des amis en toute tranquillité. « Je n’ai pas de vis à vis et je n’ai surtout pas un voisin qui va taper au dessus de moi si je fais trop de bruit. Ce sont tous les avantages d’une maison individuelle à moindre coût », se réjouit-elle. À ce tarif-là, elle estime que la marginalité a du bon. Dans cette région où tout coûte un bras, Vincent n’aurait jamais pu se payer ailleurs qu’ici le luxe de vivre selon ses envies :
« Au camping, le matin quand tu veux boire un café sur ta terrasse, si ça te chante d’être à poil, tu peux te le permettre. Tu ne fais pas la même chose dans ton studio au 3ème étage. »
Devenus amis, les deux résidents assurent que ce mode de vie crée des affinités sincères. « L’ambiance est moins communautaire que dans les années 90 où les soirées couscous succédaient aux apéros sans fin. Maintenant, c’est un peu un camping dortoir mais c’est l’époque qui veut ça », raconte Marinette en promenant ses deux chiens à l’orée de la forêt voisine. Il reste des bons côtés, assure Vincent :
« Dans une barre d’immeuble, au bout de 15 ans de cohabitation, je ne suis pas certain que tu puisses nouer des liens comme ici. »
Partenaires
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