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    20/02/2020

    Une discrimination qui pourrit la vie des 11.000 habitants des Coudreaux et de Chanteraine.

    Transports en commun trop rares : la galère des quartiers populaires de Chelles

    Par Amine Habert

    Faute de bus matinal, Yassine se lève à l’aube et marche jusqu’à la gare. Samir, lui, a perdu son CDI. Pour ces habitants des quartiers populaires de Chelles, très mal desservis par les transports publics, c’est une discrimination de plus.

    « Je suis déjà fatiguée du trajet à venir », marmonne Zahra, doctorante en pharmacie, cou enfoncé dans son écharpe et mains blotties dans les poches de son long manteau gris. « Le bus est souvent en retard en heure de pointe, j’espère quand même que ce ne sera pas le cas aujourd’hui », dit-elle du coin des lèvres, tout en guettant au loin son arrivée. 6h48, quatre minutes de retard : « Si on fait vite, on aura le train » se rassure Zahra, 24 ans, alors que le véhicule de la Transdev (compagnie de transports semi-publique) s’arrête à sa hauteur. À l’intérieur, pas un bruit et des visages encore ensommeillés. Les quelques arrêts qui séparent les Coudreaux de la gare de Chelles défilent lentement jusqu’au terminus.

    Une discrimination à l’embauche

    Situés à l’extrême nord de cette ville de Seine-et-Marne, à 35 minutes en bus de la gare, les Coudreaux sont enclavés entre le bois du même nom, l’aérodrome et la départementale 34. Plus à l’est, Chanteraine, ex-cité cheminote, se trouve elle-aussi isolée du reste de la commune. Chaque jour, les 11.000 habitants de ces quartiers relégués pâtissent d’une desserte insuffisante qui entrave leur mobilité et dégrade leur qualité de vie.

    « Regarde, à cet arrêt, il n’y a qu’une seule ligne de bus avec des passages toutes les 30 minutes », râle Karim, la tête recroquevillée sous sa capuche, alors qu’une pluie battante s’abat sur l’arrêt de bus Caminade, à Chanteraine.

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    « Cette galère de transports se traduit par une véritable inégalité d’accès à l’emploi ! », se désole Karim, un des habitants. / Crédits : Amine Habert

    Ex-responsable export d’une grande entreprise, Karim cherche aujourd’hui un boulot en région parisienne mais vivre à Chanteraine complique salement ses démarches : « Il y a la fatigue accumulée des transports et un découragement pour les postes lointains. Perso, je renonce à certaines opportunités dans l’ouest parisien à cause de la distance et du temps de trajet. Honnêtement, ça me freine ! ». Et ça refroidit les recruteurs accros à la ponctualité de leurs employés. « Cette galère de transports se traduit par une véritable inégalité d’accès à l’emploi ! », se désole Karim. Cette discrimination, beaucoup la dénoncent.

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    Un sentiment d’oubli

    « Il y a quelques semaines, pendant la grève, j’ai été licencié alors que j’avais décroché un CDI de garagiste », rapporte amèrement Samir, adossé à la façade de son bâtiment. « Mes nombreux retards m’ont été reprochés mais je n’avais même pas de bus pour aller de chez moi à la gare ! », s’emporte cet habitant de Chappe, une cité plantée au cœur des Coudreaux. Avec Samir, le quartier où le taux de chômage dépasse les 13%, compte un précaire de plus. Il balaie l’horizon d’un geste las. À l’image de beaucoup de résidents, Samir se sent oublié. Et ne compte plus sur les politiques pour améliorer son quotidien : au premier tour des élections municipales de 2014, le taux d’abstention s’est élevé à 52% dans les quatre bureaux de vote des Coudreaux.

    Plusieurs candidats aux municipales de mars prochain plaident pour une meilleure desserte aux Coudreaux et à Chanteraine : lignes directes jusqu’à la gare, aménagement des horaires de passage des bus… Tête de liste du mouvement citoyen « Pour les Chellois », Salim Drici n’a pas attendu les élections pour condamner l’assignation à résidence des habitants de ces quartiers. Il est le premier politique local à avoir mis en lumière cette question.

    « Nous renégocierons la délégation des transports avec Transdev et nous augmenterons le budget lié aux transports pour développer des lignes directes », explique au téléphone le jeune candidat à la mairie de Chelles. Au passage, il tacle Brice Rabaste, maire LR de la ville et candidat à sa succession :

    « Pour lui, la sécurité prime sur tout le reste, c’est regrettable. »

    « C’est un handicap pour nous. Ici, il n’y a rien »

    En attendant que les temps changent ou non, Yassine, 19 ans, qui a grandi et vit à la cité de Chappe, met toujours 50 minutes à pieds pour rallier la gare le matin : « C’est normal, ça ? » s’émeut le jeune vendeur d’une boulangerie parisienne.

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    Yassine met toujours 50 minutes à pieds pour rallier la gare le matin. « C’est normal, ça ? » s’émeut-il. / Crédits : Amine Habert

    L’arrêt de bus le plus proche de son domicile se trouve à 10 minutes à pieds et le premier bus ne démarre son service qu’à 5h55 : « Ma journée de travail débute à 6h sur Paris mais je suis obligé de partir de chez moi à 4h pour avoir le premier train à la gare. Avec un premier bus à 5h55 et un second 30 minutes plus tard, comment se rend-on au travail ? », questionne-t-il en sirotant un thé dans son salon.

    Cette desserte en pointillé affecte toutes les activités des habitants. « Le samedi, je mets plus d’une heure en bus juste pour me rendre au marché faire les courses ! » , soupire Samira, la mère de Yassine. « Le temps passé dans les transports, ajouté aux lourds sacs de courses, me fatigue et me fait mal au dos », se désole-t-elle. Assise sur le canapé familial, elle s’exaspère qu’il n’y ait aucune alternative pour se déplacer : « C’est un handicap pour nous, mais surtout pour les enfants ! Ici, il n’y a rien à part des champs et des logements. Comment avoir des loisirs ou seulement sortir du quartier si on ne peut pas bouger ? », interroge-t-elle. « C’est vrai ça, moi je suis tout le temps à la cité », confirme Ilyès, son benjamin, allongé à l’autre bout du salon. À 16 ans, il confie ses frustrations : « Ne serait-ce que faire du sport, c’est mission impossible ! Pour me rendre à la salle, je dois prendre deux bus aux horaires décalés et pour chacun d’entre eux un ticket à deux euros. Tout ça seulement pour l’aller ! »

    Obligé de dormir ailleurs

    Patiemment assis à l’abribus du rond-point des Sciences, terminus des Coudreaux, Jibril confie :

    « Ce soir, ma femme ne dort pas chez nous. Elle finit le travail à 20h, à 12km d’ici, mais est obligée de dormir chez son père, dans la ville voisine, car il n’y a plus de bus à notre arrêt lorsqu’elle arrive à la gare de Chelles. Comment est-ce possible, ça me dépasse ! »

    Parvenue au métro Saint Ambroise dans le 11ème arrondissement de Paris, Zahra va enfin pousser la porte de la pharmacie qui l’emploie. Après une heure de trajet et quatre changements de ligne, elle assure qu’une amélioration qui marquerait la fin de ses interminables allées et venues « ne serait pas du luxe ». Ce soir heureusement, Zahra finit tôt :

    « Lorsque je fais la fermeture de la pharmacie, à 21h, je suis obligée d’appeler quelqu’un pour qu’il vienne me chercher à la gare car je n’ai aucun moyen pour rentrer aux Coudreaux. C’est chez moi quand même ! »

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