Pamiers (09) – Il est 6h30 ce lundi 27 janvier, quand les gendarmes toquent à la porte du domicile familiale. Le père, Zaïmir Mehmeti, est menotté devant ses trois enfants, Negi quatre ans, Gezim huit ans, et Fatjon 11 ans. Nevilla, la mère, est enceinte de quatre mois. Ils lui épargnent les bracelets. Mais toute la famille, en situation irrégulière, est emmenée à la gendarmerie. Ils partent à la va-vite, sans leurs affaires, en pensant qu’ils seront rapidement de retour chez eux, détaillent leurs proches. Ils ne reverront pas leur domicile : le lendemain matin, ils sont renvoyés par avion en Albanie.
« C’était un peu la “chasse aux Albanais“ », rembobine Bernard Chaboureau, secrétaire général du syndicat de parents d’élèves FCPE 31, et membre du Réseau éducation sans frontières (RESF). Ce lundi 27 janvier, une vaste opération organisée conjointement par les préfectures de la région d’Occitanie (Haute-Garonne, Ariège, Lozère, Gard, et Pyrénées orientales) a conduit à l’arrestation et l’expulsion de huit familles albanaises, soit 31 personnes, d’après la préfecture de l’Ariège. Un vaste coup de filet monté, selon Bernard, pour « remplir le charter » Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. L’avion est parti mardi matin de Toulouse, en direction de Tirana, en Albanie. À l’intérieur du coucou, des policiers albanais venus tout spécialement dans l’Hexagone. Du côté de la préfecture on confirme l’expulsion même si l’expression fait tiquer : « C’est une reconduite à la frontière. Ils sont libres de refaire des démarches pour revenir », argumente la pref’ de Haute-Garonne.
Une expulsion éclair
La mère de la famille Tahiraj est aussi enceinte lorsque les gendarmes viennent l’embarquer, lundi matin. Elle fait un malaise, et est hospitalisée en urgence à la maternité de Mende (48). « Les médecins disaient qu’il y avait de grandes chances qu’elle perde le bébé », alarme Léo, de La Cimade. Pendant ce temps, son mari et sa fille de 4 ans, Amélia, sont emmenés dans un Centre de rétention administrative (Cra) à quelques kilomètres de Toulouse. Ils sont placés dans l’avion dès le lendemain matin. « Ils auraient pu attendre avant de les expulser. C’est allé tellement vite. Le temps de me déplacer au Cra, ils étaient déjà partis », regrette Ghislaine, une proche qui connaît la famille depuis 2015. Elle n’a toujours pas de nouvelles de sa filleule Amélia.
Les policiers ont embarqué la bambine à la sortie de son école maternelle à Langogne, en Lozère (09). « Le papa est venu me chercher en précisant qu’il fallait qu’il emmène sa petite fille », raconte la directrice de l’école maternelle, qui est aussi l’instit’ d’Amélia. L’enseignante les accompagne jusqu’à la camionnette des gendarmes, garée sur le parking de l’école :
« Ils m’ont dit qu’ils avaient ordre de les emmener au Cra de Toulouse. C’est un peu affolant quand on vous dit ça. S’ils arrivent là-bas, ce n’est pas bon signe. »
Pour les Mehmeti, la famille de Pamiers réveillée à l’aube, le départ se fait les bagages légers. « Les policiers ont essayé de les rassurer en leur disant qu’ils pouvaient refuser de monter dans l’avion, donc ils sont partis sans bagages ni vêtements » explique Mireille Becchio, médecin à la retraite et membre de l’asso 100 pour un toit. Elle suit la famille albanaise depuis quatre ans.
Des familles « bien intégrées » et appréciées
L’expulsion d’Amélia Tahiraj et de son père laisse un goût amer dans la petite commune de Langogne. « Tout le monde aimerait que ça soit juste un mauvais rêve. Mais le charter n’était pas qu’un doux rêve », relate l’instit’. Elle se souvient que « la famille Tahiraj avait décidé de se débrouiller par elle-même », sans faire appel aux associations. « Le papa avait une promesse d’embauche, il était très intégré dans la vie de l’école et des associations », rembobine la directrice. « Je pense que jusqu’à la fin, ils ont cru que l’État les accepteraient parce qu’ils faisaient des efforts. Le père essayait vraiment de régulariser leur situation. »
Les Mehmeti se sont aussi bien intégrés à la vie locale. Lorsque la nouvelle de leur interpellation a été connue, un rassemblement s’est formé devant l’école élémentaire de Lestang où étaient scolarisés leurs deux garçons. Trop tard, ils étaient déjà dans l’avion. « On a ressenti beaucoup de colère, de tristesse, d’incompréhension, de sentiment d’injustice », égraine Marc Faget, instit’ à l’école primaire, qui milite pour que les petits puissent terminer leur scolarité en France. « Des liens forts avaient été tissés au cours des années. Les enfants participaient aux anniversaires des uns, des autres, étaient invités chez eux le week-end. »
Leur départ a aussi chamboulé Mireille et Rose, les deux associatives qui suivent la famille. « Ils sont appréciés par une grosse partie des associations. Le père est mécanicien, il donnait des coups de main bénévolement à droite à gauche », tient à souligner Rose, bénévole à 100 pour un toit. Pour compléter le portrait, elle ajoute : « C’est une famille très souriante et honnête. Ils ont toute notre confiance et élèvent super bien leurs gosses. Les petits sont polis, corrects, et travaillent bien à l’école. Le père donne un coup de main le samedi matin de 5h à midi au maraîcher du coin pour remplir le frigo. »
« Les Mehmeti sont arrivés en France après avoir fuit la répression contre les roms albanais », raconte Mireille. « Ils ne pouvaient pas aller à l’école et n’avaient pas de quoi manger ». Leur demande d’asile en France leur a été refusée, mais la famille albanaise tente tous les recours pour régulariser leur situation… avant de recevoir une Obligation de quitter le territoire (OQTF), il y a un an de ça. Le 30 décembre, ils ont reçu une assignation à résidence.
Contrairement à Ghyslaine, pour les Tahiraj, Mireille, Rose et Marc ont pu avoir des nouvelles de la famille Mehmeti au téléphone. « Le père avait une bonne voix. La mère est très fatiguée car enceinte de quatre ou cinq mois. Et Gezim a pris froid parce qu’ils les ont laissés dans une pièce froide avant l’embarquement », renseigne la médecin retraitée. Elle apprend qu’ils ont pu trouver un point de chute à Tirana, chez le grand-père. Leur maison d’origine a brûlé après leur départ en France.
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