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    23/01/2020

    Combien gagnent les rappeurs ? Épisode 2

    Showcases, tournées et festivals : enquête sur l’argent du rap

    Par Inès Belgacem , Caroline Varon

    Combien un festival paie Nekfeu ou Vald ? Quel est l’artiste ou le groupe le plus cher ? Les showcases en chicha ou en boîte, ça rapporte ? StreetPress poursuit son enquête dans le portefeuille du rap jeu.

    « Les showcases, c’est un peu l’argent de poche des artistes », sourit Pauline Duarte, ancienne boss du label rap Def Jam France. « Et ça, c’est directement dans leur poche. Il n’y a pas d’intermédiaire. Ça peut même être en cash de main à main », renseigne le journaliste Ismaël Mereghetti, co-créateur du podcast hip hop Gimmic. Pour une demi-heure de show en clubs ou en chichas, les tarifs varient de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers d’euros. « Pour avoir PNL, ça doit avoisiner les 40.000 », détaille Antoine Laurent manager média et événementiel de l’agence Yard.

    Entre les concerts en salle, les festivals, les showcases, le live peut être une source de revenus conséquente pour les rappeurs. « C’est ce qui me fait vivre », balance le Montreuillois Swift Guad. « Sans oublier le merch’ ! » (merchandising), ce petit shop à la fin des concerts avec les produits dérivés de l’artiste, comme des casquettes ou des T-shirts. « Ça peut être une mine d’or », assure Daphné Weil, qui manage notamment Lino (membre d’Ärsenik).

    L’économie du showcase

    « Certains artistes peuvent avoir du mal à être programmés en salle de concert » et ne font que des showcases, explique Ismaël Mereghetti. Le journaliste cite Marwa Loud ou Naza, qui ont longtemps tourné en chicha avant d’arriver en salle. La première est plutôt classée pop urbaine, le second afro-pop. « Ils sont dans deux genres qui ont pu paraître bizarres pour les tourneurs et les programmateurs. Ils n’y ont pas cru. Ou peut être juste qu’ils n’aimaient pas. » Des tournées entières s’organisent exclusivement dans des clubs. À tel point que plusieurs maisons de disques et tourneurs ont lancé leurs agences spécialement dédiées au booking en boîte.

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    Certains sont en showcases trois fois par semaine assure Antoine Laurent, qui se charge de la programmation des soirées Yard. Elles ont investi tous les lieux les plus branchés de la capitale : La machine du Moulin Rouge, le Wanderlust ou encore Dehors Brut – la nouvelle Concrète « Il y a une vraie économie du showcase. » En France ou à l’étranger. Le programmateur se souvient de ses vacances à Barcelone cet été : « En seulement dix jours, j’ai vu PNL, Keblack, Ninho, Naza, SCH, Kaaris, Djadja et Dinaz de programmés. J’en oublie. »

    Un business rentable. Des sources du milieu donnent des estimations de tarifs. Les premiers démarrent autour de 500 et 2.000 euros. Un buzz internet suffit pour être invité. Plus la carrière est installée, plus ça monte. Comptez minimum 10.000 euros pour que « des artistes du gabarit » de 13 Block débarquent à votre soirée. Entre 15 et 23.000 pour un rappeur comme SCH. Et pour les tops du streaming, comme Heuss l’Enfoiré ou Ninho, ce serait entre 25 et 30.000 euros. (1)

    « Showcase booking on arrive en survet’ »

    Une somme qui atterrit directement dans la poche des artistes. Contrairement aux tournées, il n’y a ni équipe technique, ni scénographie, ni intermédiaire à rémunérer. Et la gratification est immédiate. « On me demande souvent si je peux payer en cash », raconte le programmateur des soirées Yard. Une rémunération de la main à la main qui, bien qu’illégale, a longtemps été la norme. « On refuse parce que légalement c’est beaucoup trop dangereux pour nous », explique-t-il catégorique, ce qui a déjà fait capoter des deals. « Les artistes consciencieux déclarent leurs showcases. Pour les autres, c’est risqué. Des contrôles fiscaux ont déjà eu lieu chez des rappeurs », insiste plusieurs sources du milieu. « Et le fisc est à cran là-dessus en ce moment », ajoute une autre.

    Les rappeurs font leur demi-heure de showcase, prennent un billet et repartent. « Certains enchaînent plusieurs shows dans une même soirée », raconte Antoine Laurent. Ce qui ne plaît pas forcément aux clubs, qui apprécient l’exclusivité. Dans ces cas-là, les artistes baissent souvent leur tarif. Chez Yard, le line-up n’est jamais annoncé et les clubbers découvrent l’artiste programmé quand il monte sur scène. Un effet de surprise qui permet au programmateur une certaine flexibilité :

    « Quand je sais qu’un rappeur qu’on apprécie est en showcase à Paris, je lui propose de passer à notre soirée avant ou après. Ça lui permet de continuer sa nuit de travail. »

    « Tu joues devant un public bourré »

    « Mais les gens en showcase ce n’est pas ton public », a expliqué Jok’air à la conférence « Concerts, showcases et festival : le business de la scène rap », qui a eu lieu durant le festival Paris Hip Hop Winter – et qui est à retrouver en intégralité sur YouTube. « Tu viens à 3h du matin, tu chantes devant des gens bourrés ! Ils en ont rien à foutre de qui t’es ! » Il poursuit en riant :

    « Certains chantent dans des grecs maintenant ! À Marrakech, il y en a qui chantent dans des piscines. Demain on fera le métro ! Tant qu’il y a de l’oseille, on est là ! »

    Dawala, producteur et fondateur du label Wati B qui a propulsé Gims et la Sexion d’Assaut, présent à cette même conférence, explique que les showcases peuvent aussi servir de tremplin :

    « Un jeune artiste peut commencer à être connu, mais ne pas avoir assez de force [notoriété ou expérience] pour faire des concerts. Alors on va faire des showcases. Ça va lui permettre de payer son loyer, de payer tout ça…. Mais en réalité, je pense qu’un artiste est obligé de faire des concerts. »

    La tournée des Zéniths, ça n’est pas pour tout le monde

    « La préparation d’un concert demande énormément de travail, autant en terme d’organisation que de scénographie », assure Mehdi Guebli, aka Merkus. Producteur, manager, il travaille avec Vald, Sofiane notamment. « Tout le monde ne remplit pas une salle de concert, même s’il streame beaucoup », observe-t-il. « Qui a remarqué que Lacrim a dû annuler sa tournée, parce qu’il n’avait pas assez d’entrées ? », s’interroge le journaliste Ismaël Mereghetti. Merkus complète :

    « Chilla, 47ter ou Dinos sont des artistes qui tournent bien [dans des salles petites et moyennes]. Mais il n’y a pas énormément de personnes capables de faire une tournée des Zéniths. Cette année il y a PLK, PNL, Niska, Ninho, Vald… Et je crois que c’est tout. »

    D’après les spécialistes de l’événementiel, il faut habituer son public à se déplacer en salle. « Avec Vald, on a monté les échelons progressivement. On a commencé par L’International [200 places], La Maroquinerie, puis on a continué sur La Cigale, l’Olympia, le Zénith et Bercy. » Une date mémorable qui a fait beaucoup parler, en décembre 2019. Devant 15.000 personnes, « Vald a mis le paquet : une scénographie incroyable et une multitude d’invités ! », rapporte Mouv. Une date déficitaire de 270.000 euros. Merkus explique :

    « C’était un calcul. On a choisi de marquer les esprits. Et ça a marché ! Tout le monde s’est dit : “Woah”, le public comme le milieu. Et on a créé de la frustration pour ceux qui ont loupé ça. »

    Une perte rattrapée sur la tournée des Zéniths qui a suivi, assure-t-il. Elle a été sold out.

    La scène coûte chère

    « Quand tu montes un show, tu peux prévoir des effets lumières, un mur de LEDs de sept mètres sur sept, de la pyrotechnique, etc… C’est comme au restaurant : tu commandes ce que tu veux. Mais à la fin il faut régler l’addition », prévient Merkus. Entre les accessoires, les techniciens, les déplacements, les agents de sécurité, etc, l’addition peut vite être salée. Un Zénith complet peut être déficitaire, comme rapporter 30 ou 40.000 euros selon le manager.

    Il existe différentes manières d’organiser une tournée. La première est de passer par un bookeur / tourneur. C’est le choix qu’a fait Swift Guad. « La paperasse, ça prend la tête à un artiste. Il se charge de tout ça et moi je me charge de la musique », explique-t-il. Trouver la salle, gérer la logistique pour s’y rendre, le bookeur assume tout. En échange il prend un pourcentage sur le cachet de Swift, qui est intermittent du spectacle.

    Lui performe sur des salles de 300 ou 400 personnes. Il fait le calcule à la louche : « Prends une date où j’ai 1800 euros de cachet ». Il part avec son DJ et son backeur. À trois, il décompte 800 euros de billets de train et d’hôtel. 20 pourcents vont au bookeur – un taux qui varie selon les négociations. Il lui reste 800 euros sur lesquels il est imposable. Restent 480 euros, à se partager à trois : 120 euros pour ses acolytes, 260 pour lui.

    Pour que ça soit rentable, Swift Guad enchaîne les concerts. Il dénombre une cinquantaine de dates en 2019, soit deux par semaine. « Le gros du hip hop live, c’est eux ! », assure, impressionné, Merkus. Vald suit un rythme tout aussi stakhanoviste, sur des plus grosses scènes toutefois. Mais ce dernier est producteur de sa tournée. Il est également possible d’être co-producteur. Dans ces cas-là, les bénéfices comme les risques financiers sont partagés. PNL, Sofiane ou Jul ont par exemple leur boîte de production. « Si tu es producteur et qu’il y a des bénéfices sur ta tournée, tu touches une plus grande part », explicite Merkus.

    L’apport du merch’

    Pour arrondir ses fins de concerts, il y a différentes techniques. « Une date peut être complétée par un showcase. C’est un très bon moyen de rentabiliser ton déplacement », insiste Daphné Weil, manageuse de Lino et entrepreneuse qui navigue depuis 10 ans dans le milieu. La majorité des revenus du rappeur proviennent de la scène. D’abord parce qu’il n’a pas sorti d’album depuis 2015. Ensuite, grâce à son énorme catalogue de sons, dû à une carrière de plus de 20 ans avec Ärsenik, qui permet de remplir des salles.

    Il y a également le merchandising à la fin des concerts. T-shirts, sweatshirts, casquettes et CD se vendent comme des petits pains après la liesse du show. « On avait essayé de faire des T-shirts concept avec Ärsenik, ils étaient moins populaires que les autres. Les fans préfèrent les produits avec le nom de l’artiste », commente la manageuse. Swift Guad surenchérit :

    « Il y a des valeurs sûres. Le bon vieux shirt “Narvalo”, ça prend à tous les coups ! »

    Parfois, le merchandising est compris dans les contrats des artistes avec leur maison de disque. « C’est comme ça que Niro s’est retrouvé à vendre des T-shirts sans son nom dessus. Parce qu’il ne pouvait pas imprimer de produits dérivés sans son label », raconte une source qui préfère rester anonyme. « Mais c’est envisageable de sortir le merch’ des contrats », assure Daphné Weil.

    Installer son merch’, c’est encore un coût en plus sur la tournée, puisqu’il faut quelqu’un pour s’en occuper. Chez Swift Guad, c’est Guillaume qui s’en charge. « Il me paie le déplacement et je me rémunère en pourcentage sur le shop », explique ce dernier. Il accompagne plusieurs artistes de la scène underground en concert. Il peut gagner 20 comme 300 euros, selon les soirs. Pour Swift, son bénéfice tourne autour de 300 euros, lorsqu’il défend un nouveau projet.

    L’arrivée en festival

    La grande nouveauté reste l’arrivée de l’urbain en festival. « Ils se sont ouverts plus largement au rap il y a cinq ans. Mais il y a une surreprésentation depuis deux ans », commente Merkus. À tel point que des festivals entiers sont consacrés au rap, comme le Demi Festival (Sète) ou Les Ardentes (Liège, en Belgique).

    « Le rap est devenu incontournable », assure Maxime Demouveaux, programmateur et fondateur de Tu m’étonnes production, un promoteur local. Il participe à l’organisation des Zéniths de PNL dans le Nord, par exemple. L’an dernier, au festival Le Roi Arthur en Bretagne, il a programmé NTM, Youssoupha ou Koba La D :

    « Le public breton est assez spécial, c’est une terre où il y a énormément de festivals. Ils font leur premier à 16 ans et, si ça leur a plu, ils ne le louperont plus. Programmer Koba La D , c’était la certitude de ramener tous les gosses. »

    « Pour la première fois, j’ai pu placé un artiste au Printemps de Bourges. Cette année, ils ont programmé un plateau de jeunes artistes où Zeguerre était invité. C’était sur la grande scène et il a foutu le feu », se souvient Daphné Weil, également manageuse du rappeur. Zeguerre, fraîchement signé chez Affranchis (label de Sofiane), a quelques singles à son actif. Il a également été convié au Lollapalooza et aux Solidays (Paris) en 2019.

    Les festivals se refont une jeunesse et les rappeurs sont bankables. « Aujourd’hui, il y a plus de choix pour les programmateurs. Il faut donner de meilleurs arguments que la concurrence », juge Merkus. Une rivalité partagée avec les programmateurs, comme l’explique Maxime Demouveaux : « Je n’ai pas terminé la prog’ de cette année, mais j’ai calé tout mon rap. Je commence par ça, sinon ils ne sont plus disponibles… »

    NTM, champions des festivals

    Pour les rookies, la rançon est maigre. Zeguerre a touché moins de 1.000 euros pour chacun de ses shows. « Au début, ça n’est pas l’argent qui prime. C’est le jeu quand tu commences tes premières scènes avant de remplir une salle », contextualise Daphné Weil. Le spectacle d’un artiste plus confirmé peut rapporter entre 5.000 et 25.000 euros. Mais tout n’atterrit pas dans la poche du rappeur, comme l’explique Maxime Demouveaux : « Nous, on achète un spectacle. Il reste seulement un petit pourcentage à l’artiste, une fois qu’il a payé pour la masse salariale, le tour bus, les frais de route et d’hébergement, etc… » « Et l’artiste est imposable sur cette somme finale », insiste Merkus.

    Combien coûte Vald en festival ? « Cher », répond simplement le manager. La carrière du rappeur repose en partie sur la scène : elle représente 70 voire 80 pourcents de ses revenus dernièrement. Raison pour laquelle son équipe était prête à prendre un risque financier sur son Bercy :

    « Quand tu es capable de remplir un Bercy et que tu en sors avec les honneurs, tu prends beaucoup de valeur. Et ton tarif augmente. »

    Un artiste conséquent, mais pas forcément tête d’affiche, pourrait prendre autour de 50.000 euros. Un Nekfeu empocherait autour de 100.000 euros selon différentes sources. Mais les champions des festivals seraient NTM, qui dépasseraient cette somme.

    (1) Modifications datant du 30/01/2020

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