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    29/11/2019

    « Les mecs finissent par n’aimer plus que ça une fois qu’ils ont testé »

    Christian et ses copains, adeptes du fist-fucking

    Par Johan Roux Mauro , Caroline Varon

    Le fist-fucking, pratique sexuelle consistant à enfoncer un poing dans l’anus de son partenaire, demeure confidentielle. Ses adeptes se voient comme des aristocrates des pratiques extrêmes. Ils racontent.

    Keller Club, Paris 11e – 17 h le dimanche. Au 14 de la rue, plusieurs hommes s’engouffrent dans une boutique verte à la façade aveugle dont seule la porte blindée attire l’attention. À l’intérieur, accueilli par Stéphane le gérant, les habitués se sont déjà mis à l’aise. En sous-vêtements, ou nus, des quinquagénaires rigolards, abdos de bétons ou ventres à bière, plaisantent avec l’ouvreur. Une fois leur écot payé et après avoir soulevé les lourds rideaux en latex noirs qui dissimulent les différentes « salles de jeux », ils vont s’amuser à deux ou par petits groupes.

    « Ce soir et jusqu’à minuit, c’est soirée spanking au Keller Club », explique Stéphane, curieux sosie musclé de Jean-Pierre Coffe, lunettes de vue rouges incluses :

    « Des garçons fessent d’autres garçons, soit à la main, soit en utilisant différents jouets en cuirs. Bien sûr, tout se fait dans le respect du consentement de chacun. »

    Il est impossible d’assister aux séances sans être soi-même un participant. Ici, on n’aime pas trop les voyeurs… Enfin, ça dépend. Mais la pratique phare du club, celle qui a fait sa renommée internationale depuis sa première ouverture en 1977 (le club a été fermé de 2010 à 2013), ce sont les soirées dédiées aux différents aspects du fist-fucking gay.

    Deux mains dès l’aube

    Selon le philosophe Michel Foucault, lui-même ardent pratiquant et visiteur régulier du Keller Club au début des 80’s, le fist-fucking « est peut-être la seule pratique sexuelle inventée au XXème siècle ». Que ce soit dans le rapport Kinsey (1948), qui fait autorité sur la question des habitudes sexuelles, ou dans la littérature pornographique, personne n’aborde la question avant la fin des années 60.

    Le fist ne va vraiment se populariser qu’à partir des années 70 grâce notamment à The Catacombs, un club gay mythique installé à Los Angeles.

    Longtemps confinée aux soirées privées ou aux clubs catalogués SM, l’arrivée des applications smartphones Recon et Scruff a démocratisé la pratique. La première est une appli de sexe gay plutôt axée sur le fétichisme. Quant à Scruff, dédiée aux pratiques plus trash, elle permet aux utilisateurs d’annoncer leur statut sérologique. Un détail qui a son importance chez les pratiquants ne supportant pas le latex.

    On a marché sur la Lune

    « La première fois que j’ai fisté un mec, c’était un de mes ex il y a une dizaine d’année », explique tranquillement Christian (1), un verre d’excellent whisky japonais à la main. Ce grand brun aux yeux bleus tout juste quadragénaire travaille dans l’événementiel. « Nous avions fait ça à la maison, à sa demande. C’est quelque chose qui l’excitait beaucoup. Moi qui était plutôt passif à l’époque, je m’y suis attelé principalement pour lui faire plaisir. Et ensuite, j’ai continué. » Après leur rupture, il va développer une véritable expertise du fist dont il va faire bénéficier ses conquêtes chopées en soirée ou par l’intermédiaire d’applis. Avant de rencontrer l’amour. Albert (1), « son homme » comme l’appelle Christian, est beaucoup moins disert. Ce quinqua fringant et bronzé travaille dans l’hôtellerie. Il pratique depuis plus de 20 ans :

    « Avec Christian, nous nous sommes rencontrés par le biais de Recon. Je l’avais invité à la maison pour s’occuper de moi et c’est pendant la séance que j’ai senti ce que j’appelle : “l’effet wouah”. Trois ans après on est toujours ensemble ».

    Julien (1), leur pote invité ce soir pour l’apéro, est venu au fist, « comme ça, pour essayer. Mais moi, je suis multitâche : passif et actif sans problème. Je suis moins passionné par la pratique que les deux autres », plaisante-t-il.

    L’important c’est de bien se préparer

    Une séance de fist se prépare bien en amont. « Près d’une semaine avant nos séances, je dois réfléchir à mon alimentation. Je suis Réunionnais donc je dois penser à modérer ma consommation d’épices. J’évite aussi le chocolat qui peut causer des petits “accidents’’ », explique rapidement Albert.

    Le jour J, Albert débute par une longue et soigneuse séance de lavement à l’aide d’une poire qui se visse sur le pommeau de la douche. Il faut une bonne heure et demi pour arriver à vider totalement ses intestins. Hors de question d’abréger cette étape sous peine d’accidents aussi gênants que désagréables. « Autant je n’ai aucun problème avec l’uro qu’il m’arrive aussi de pratiquer, autant me retrouver avec des fèces [des excréments] dans la main, c’est totalement no way », confirme Christian.

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    Pendant que son homme se prépare, Christian met en place le Sling [la balançoire sur laquelle le fisté se positionne, voir notre lexique] ou couvre le lit conjugal avec un drap de protection spécial afin de le préserver des projections de sécrétions.

    Sept sphincters pour atteindre le septième ciel

    Ensuite, c’est une question de patience, de douceur et d’énormément de produits lubrifiants et de graisse. Selon les désirs d’Albert, la séance va se dérouler soit à quatre pattes, soit de face suspendu au Sling. Pour Érik Rémès, écrivain, blogueur et activiste LGBT (2) :

    « Le fist est un art sexuel, une culture, qui nécessite un certain apprentissage, connaissance et contrôle de son propre corps, la capacité de s’ouvrir totalement à l’autre, et permet d’établir une connexion extrêmement intime entre les partenaires, quasi-spirituelle, voire métaphysique. »

    Le fisteur commence par lentement pénétrer son partenaire en utilisant différents sex-toys aux diamètres de plus en plus élevés. L’objectif est de dilater l’anus sans occasionner de douleur. Après avoir achevé la phase de préparation, Christian enfile une longue paire de gants en latex renforcé et se lance dans une des différentes variantes de fist. Le « punching », consiste par exemple à mettre des coups-de-poing rapide à l’entrée de l’anus. Le fisteur peut également pratiquer un massage prostatique en allant un peu plus loin. Enfin, pour ce qu’on appelle le « fist en profondeur », Christian insère la totalité de son avant-bras jusqu’au coude. Il faut compter en moyenne 1h30 pour réussir cette performance qui nécessite de franchir sept sphincters intestinaux. « Mon record, c’est quand j’arrive à mettre les deux poings en même temps », sourit Christian, fier comme Artaban. « Là, on vient d’acheter un nouveau sextoy encore plus grand… Peut-être un peu trop. »

    Certains des habitués du Keller Club sont capables de se faire fister pendant plus de sept heures. Avec toutefois de courtes pauses d’un quart d’heure le temps de prendre l’air et de se réhydrater.

    Plaisir d’offrir, joie de recevoir

    « Ce que j’aime vraiment, après offrir du plaisir à mon homme c’est l’aspect performance. J’avoue que la première fois que je suis rentré jusqu’au coude j’étais vraiment content de moi », raconte Christian. « J’adore aussi jouer à la marionnette. Quand je vais suffisamment profond je peux voir ma main faire une bosse à travers son bide. » La personne qui se fait fister va de son côté expérimenter un orgasme prostatique très intense et potentiellement salissant. « Des fois quand c’est suffisamment long, j’ai l’impression de vivre une expérience mystique », confirme Albert. Julien abonde frénétiquement. « C’est un plaisir qui n’est pas phallo-centré. L’impression de vivre une transcendance est courante chez les adeptes », détaille Érik Rémès.

    Une extase, que l’on retrouve dans d’autres témoignages de pratiquants où ceux-ci peuvent même se voir en Christ sur la croix. Tous deux s’accordent pour souligner l’importance de la douceur, de la tendresse et de la maîtrise des gestes. « Ce n’est pas quelque chose d’anodin », abonde Christian :

    « J’ai quand même une bonne partie du bras dans un cul. Il faut donc que je sois très vigilant et à l’écoute de ce que me dit mon homme sur ses sensations. »

    Darkside of the moon

    S’il considère avoir une sexualité globalement épanouie, Albert reconnaît que son amour pour le fist obère pas mal les autres formes de sexualités plus « classiques » dans son couple. « Outre le manque de spontanéité des rapports, qui est inhérent à la pratique, c’est vrai que les mecs finissent par n’aimer plus que ça une fois qu’ils ont testé », confirme Christian, songeur. « Moi j’avoue que j’apprécierai un petit quickie de temps en temps, même une simple fellation ça serait pas mal. »

    D’un strict point de vue matériel, cette passion est également loin de convenir à toutes les bourses. Entre les gants renforcés à 15 euros la boite, des sextoys au tarifs variant entre 30 et 450 euros pour les plus gros. Le sling introuvable à moins de 400 euros. Sans compter le drap de protection à 150 euros et l’énorme quantité de lubrifiant nécessaire à chaque rapport. La facture peut rapidement exploser.

    Sexe sous drogues

    « J’ai fisté une cinquantaine de mecs, tous prenaient des substances et plus de la moitié se piquaient. J’ai d’ailleurs eu à gérer des mecs qui avaient pris n’importe quoi », explique Christian. C’est un secret de Polichinelle, le fist-fucking et le chemsex sont inextricablement liés. Pour pouvoir se détendre, exacerber leurs sensations et tenir le coup physiquement, beaucoup de pratiquants usent de différentes drogues aux noms exotiques comme la 6-APB – qui stimule et relaxe – ou la 3-MMC aux forts effets aphrodisiaques. « Je me fournis principalement sur un site de vente néerlandais », poursuit Julien qui pratique occasionnellement et pas toujours avec le même partenaire. « Ça m’aide à me sentir à l’aise quand je suis avec des inconnus. » Son site batave propose même des kits de slam [injection de drogue avant un rapport, voir notre lexique] avec seringue, dose de produit et désinfectant.

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    Sur la question des drogues, Érik Rémès n’hésite pas à parler d’une « véritable catastrophe sanitaire ». « Le taux de toxicomanie est vachement élevé. Tout comme le taux de gens qui se piquent. » Plus prosaïquement beaucoup de mecs prennent de la coke et du shit.

    L’addiction aux drogues n’est pas le seul risque sanitaire. Après plusieurs années de pratiques, petits et gros bobos au niveau de la région anale peuvent se multiplier. Fissures, prurits (3) et dérangements intestinaux sont le lot commun des adeptes. Plusieurs réflexions assénées par des médecins indélicats – le « Ah, vous êtes gay » ou « Vous devriez laisser votre cul tranquille » en plein examen rectal – n’arrangent pas les choses. Sans compter qu’une fois entrés dans le troisième âge, une part non-négligeable des pratiquants risque de souffrir d’incontinence nécessitant de recourir à une chirurgie de reconstruction anale. « On se passe les adresses de proctologues sympas et respectueux de notre sexualité », explique Julien qui a son toubib « fist-friendly ». « Ce sont des potes de soirées qui me l’ont recommandé et je l’ai refilé à Albert », précise-t-il avant de terminer son verre et de filer en soirée.

    Christian et Albert, eux, vont bientôt se pacser avant pourquoi pas de se passer la bague au doigt dans quelques années. Ils prévoient également un petit voyage à Zurich pour participer à la Foire aux Lopes : une immense partouze centrée sur le fist-fucking. Viser la lune, ça ne leur fait pas peur.

    (1) – Les prénoms ont été modifié.
    (2) – Ces propos sont issus de son blog, Gaytapant
    (3) – Démangeaison liée à une affection cutanée ou générale

    Article réalisé en partenariat avec le CFPJ

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