Verdict
Le vendredi 22 novembre, Jessica a été relaxée par la Cour d’appel de Paris. Elle a pu quitter le CRA du Mesnil-Amelot où elle était depuis lundi. Quant à André, la Cour d’appel a également confirmé sa libération vendredi. La préfecture de police de Paris avait fait appel jeudi, alors qu’il était déjà reparti pour la Belgique.
C’est une histoire belge, mais elle n’est pas vraiment drôle. André et Jessica habitent à Bruxelles et Namur. Ils ont voulu participer au premier anniversaire du mouvement des Gilets jaunes, samedi 16 novembre. Suite à une interpellation, ils ont été jugés et relaxés par un tribunal.
Sauf que le préfet de police de Paris, Didier Lallement, a prononcé une obligation de quitter le territoire français (OQTF) à leur encontre. Suite à quoi les deux Belges ont été placés dans des centres de rétention administrative (CRA). « On est dans une situation ubuesque. Le juge, gardien de la liberté individuelle, déclare deux personnes non-coupables. Et malgré ça, elles sont condamnées », tonne maître Mamère, un de leurs avocats.
Une interpellation loin de la manifestation
Le duo se rencontre le jour de la manif. Jessica veut y aller car elle se reconnaît dans le mouvement des Gilets jaunes. André, lui, est un cheminot et syndicaliste qui est venu en solidarité, suite à l’appel de la CGT à manifester. Les deux n’ont pas loin de la quarantaine. Ils décident d’aller à Place d’Italie ensemble. Sauf qu’une fois arrivés sur place, la manif est déjà nassée. Les CRS leur précisent qu’ils peuvent y entrer mais ne pourront plus sortir par la suite.
Las, ils déambulent et se rendent à Châtelet. André souhaite y rallier gare du Nord pour prendre un train vers la Belgique. Jessica veut rejoindre la Seine-et-Marne (77) où un ami l’attend pour rejoindre le plat pays en voiture. Sauf que le duo « se perd [dans Châtelet] et se retrouve dehors », selon l’avocat Adrien Mamère. Une charge policière a lieu devant l’église Saint-Eustache. « Ils ont voulu fuir cette charge et ont déplacé une barrière qui les bloquait. Du coup la fiche d’interpellation parle d’une mise en place de barricades mais ce n’est pas étayé », détaille maître Mamère.
Selon lui, André aurait été victime de violences après avoir été entravé :
« Il dit qu’il s’est fait rouer de coups. Il avait un bleu énorme au niveau du genou, quelque chose de violet. Ce n’est pas le genre de bleu qu’on se fait en se cognant. »
Jessica, elle, se serait fait « copieusement traiter de pute ».
Les deux ressortissants belges sont placés en garde à vue pendant 24 heures. Ils sont ensuite jugés le lundi, en comparution immédiate, pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences ». « Le grand classique », souffle maître Mamère. Ils n’auraient pourtant sur eux que « du matériel de protection », détaille Raphaël Kempf, un autre de leurs avocats.
Relaxés par la justice mais placés en détention
Alors que le procureur requiert qu’André et Jessica soient condamnés à quatre mois avec incarcération immédiate, le juge les relaxe. « Ça veut bien dire que l’infraction était injustifiée », rappelle maître Kempf. Mais ils ne sont pas au bout de leur peine.
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La préfecture de police de Paris a signifié à André et Jessica une obligation de quitter le territoire français (OQTF) à l’issue de leur garde à vue. Dans le dossier pénal, cette OQTF n’apparaissait pas et les avocats n’ont pu prendre leurs dispositions pour la contrer. Alors qu’ils ont été relaxés par la justice, ils sont placés en rétention dans des centres de rétention : André au CRA de Vincennes et Jessica à celui du Mesnil-Amelot, près de Roissy. « C’est celui pour les femmes. C’est à côté de l’aéroport pour les expulser plus facilement ensuite », précise Raphaël Kempf. L’OQTF est associée d’une interdiction de circulation sur le territoire français pour deux ans.
Une menace imminente non-justifiée
Dans le droit français, les citoyens ressortissants d’un pays membre de l’UE ne peuvent pourtant pas être mis en centre de rétention avant un délai de 30 jours après la notification de l’OQTF. Sauf s’ils « constituent une menace imminente à l’ordre public ». C’est cette raison qui a été invoquée par le préfet de police de Paris, d’après des documents que StreetPress a pu consulter. Les deux Belges sont donc placés en détention pour être expulsé vers leur pays en avion, à la demande de la préfecture. Alors qu’ils n’avaient « aucune envie de rester en France », selon leurs avocats.
Didier Lallement aurait même demandé au juge des libertés et de la détention à ce que leur rétention « soit prolongée sur plusieurs semaines pour les expulser », selon Raphaël Kempf. La décision a été plaidée mercredi matin dans deux juridictions différentes, comme André et Jessica ne sont pas dans les mêmes CRA. André a été libéré mais Jessica n’a pas eu autant de chance : sa rétention est prolongée. Ses avocats ont fait appel de la décision. L’audience est fixée vendredi matin à la Cour d’appel de Paris. André Mamère s’exclame :
« C’est particulièrement choquant. Toute cette procédure de rétention administrative ne repose pas sur une infraction mais sur une interpellation au final. »
Une privation de liberté qui se répète
« Pour des Européens qui participent à une manifestation, la préfecture et Didier Lallement décident systématiquement de les expulser en urgence pour une menace à un intérêt fondamental de la société. Mais on ne sait toujours pas lequel », déplore maître Kempf. Adrien Mamère y voit « clairement un acharnement pour que les gens ne viennent plus en manifestation » :
« On dit aux Allemands, aux Belges ou aux Italiens qu’ils n’ont rien à faire dans nos manifs et s’ils y vont, on va les emmerder jusqu’au bout. La rétention n’est pas la prison mais ça reste une privation de liberté. »
Les avocats citent plusieurs exemples qui se sont produits ces derniers mois : en mai, une jeune femme enceinte de deux mois et en France depuis 17 ans a été placée en CRA, puis menacée d’expulsion pour s’être retrouvée à la Pitié-Salpêtrière le 1er mai. En octobre, un des Allemands arrêtés lors du G7 a été placé immédiatement en CRA, pour être expulsé, après sa sortie de prison. Et le weekend dernier, un étudiant italien a subi aussi cette situation? alors qu’il était à un bar antifasciste.
La méthode en rejoint d’autres, comme les interpellations préventives avant une manifestation :
« On cherche à réprimer par toutes les voies possibles pour réduire la liberté de manifester. »
Photo d’illustration de Yann Castanier : Lors de l’acte XVIII des Gilets jaunes à Paris, le 16 mars 2019
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