L’entretien dure 36 minutes et 56 secondes. Il faut le retranscrire intégralement en prévision du procès qui doit se tenir en décembre prochain. L’enregistrement de cette interview, dont nous publiions quelques passages dans l’article attaqué, ne pourra être diffusé au tribunal : nous avons promis à notre source l’anonymat. Nous nous y tenons, même si ça peut fragiliser notre défense. Nous pourrions faire appel à un huissier, mais le coût de l’opération est trop élevé. Alors je m’y colle. Et il y a d’autres interviews. Ca me prend plusieurs heures. Autant de temps que je ne consacre pas à faire mon job : journaliste.
L’article en cause, une enquête sur une société controversée de vente multiniveau, date de 2016. Il est toujours en ligne et nous n’en retirons pas une virgule. Plus de trois ans après sa publication, la procédure intentée contre StreetPress par l’entreprise en question est encore en cours. Ce n’est pas la seule et même pas la plus ancienne. En 2015, nous publions un livre intitulé Le système Soral. L’un des protagonistes nous attaque dans la foulée. Depuis la procédure « suit son cours ».
Enquête sur l’Azerbaïdjan, la Ligue de Défense Juive ou des figures de l’extrême droite… Depuis 10 ans notre travail nous vaut des rendez-vous réguliers devant la justice. C’est ce qu’on appelle les procès-baillons. « C’est une pratique judiciaire mise en œuvre par une entreprise pour intimider, limiter la liberté d’expression, et dissuader (…) de s’exprimer dans des débats publics », explique Télérama :
« Il s’agit non seulement de détourner l’attention, mais surtout d’épuiser en temps et en argent ceux qui participent à ce débat, en les impliquant dans des procédures juridiques coûteuses dont ils ne peuvent généralement pas assumer les frais. »
Il manquait à StreetPress 40.000 euros pour boucler l’année, dont 13.317,11 euros que nous devions à ceux qui nous défendent. Ils font un travail remarquable et acceptent nos retards de paiement (merci <3). Ces procédures à répétition nous épuisent physiquement et financièrement. Mais surtout elles visent à nous faire taire.
En multipliant les recours et les menaces de procès, ils font planer sur chacune de nos enquêtes la crainte d’un détour devant la justice. Pour nous préserver au maximum de ces procédures de plus en plus courantes, de nombreux articles sont relus avant publication (ironie de l’histoire, même ce texte l’a été). Un simple droit de réponse ou une menace d’action en justice nous oblige aussi à engager des frais juridiques.
Ainsi, en octobre 2018, nous révélions l’existence d’un dîner discret réunissant Carole Bureau-Bonnard, vice-présidente de l’assemblée nationale (LREM), le député Jean-Baptiste Djebbari (LREM) et l’un des principaux responsables du génocide au Darfour, le général Salah Gosh. Une information, reprise par l’AFP, que nous jugions d’intérêt général. Pourtant, elle nous valut un courrier avec demande de droit de réponse de M. Djebbari. Dans ce texte, que nous avons publié, il ne conteste aucune de nos révélations. Il a publiquement annoncé porté plainte contre StreetPress. Depuis, le député est entré au gouvernement. La plainte n’est jamais arrivée. C’était un bluff… qui a engendré des frais juridiques.
Nous refusons de céder face à ces pressions. Alors même qu’une procédure était en cours après notre enquête sur l’Azerbaïdjan, nous avons publié de nouvelles révélations sur le sujet. Pas par vengeance ou par acharnement, simplement parce que nous croyons que ces articles sont d’utilités publique. Alors aidez-nous à continuer notre travail, en soutenant Streetpress.
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