« La clé, c’est d’être naturel », chuchote Laura (1) en glissant un déodorant dans son sac en bandoulière. Cheveux bruns et lisses au carré, trench beige et bottines à talons, elle traverse les allées du supermarché d’un pas assuré, l’air insouciant. L’étudiante de 22 ans a l’habitude de voler dans les magasins.
Elle sait exactement à quoi faire attention avant de passer à l’action : « Je vérifie s’il y a des caméras. Si c’est le cas, je regarde si je peux voler sans être filmée. Sinon, je laisse tomber. » Un coup d’oeil vers le plafond, rien en vue, hop : un saucisson dans le sac. Quatre euros économisés. Pour Laura, pas la peine de prendre le risque de se faire griller pour un paquet de pâtes à 80 centimes. « Je vole ce que je n’ai pas les moyens d’acheter : les cosmétiques, le poisson… »
À la caisse, Laura paye 9€ de courses et passe les portes coulissantes avec une dizaine d’euros de produits volés. Ne jamais sortir sans rien payer, c’est « la première technique à connaître », d’après Timothé (1). Cet étudiant parisien de 21 ans ne s’est jamais fait choper. Pour lui, c’est une question d’habitude : « Si tu le fais bien, tu ne te fais pas cramer. Et au pire, si on m’arrête, je paye et je reviens jamais dans le magasin. »
La rage de galérer
Depuis la rentrée, Laura est en licence à la Sorbonne. L’année dernière, elle étudiait en Bretagne : « Avant, la bourse et l’APL (Aide personnalisée au logement) me suffisaient. Mais à Paris, tout est trop cher, je vole beaucoup plus qu’avant. C’est le seul moyen de s’en sortir », soupire-t-elle. Chaque mois, elle vit avec 750€, dont 500€ d’aides sociales. Le reste, ce sont les économies de ses jobs d’été. En comptant son loyer, le coût des transports et la nourriture, il ne lui reste plus rien. À tel point que les fins de mois sont angoissantes : « J’ai tout le temps peur. Peur d’être à découvert, de ne pas réussir à payer mon loyer… »
« À Paris, les prix sont hallucinants ! », abonde Mia (1), 24 ans, avant d’ajouter : « J’avais tellement la rage de galérer ! Je vivais avec à peine plus de 200€ par mois ! » Après un bref moment de réflexion, elle raconte avoir déjà tenté de calculer les économies qu’elle faisait en volant : « Plus de 1000€ par mois. J’ai même un casier judiciaire. » Si le montant est aussi important, c’est qu’elle volait plus que des biens de consommations : matériel de peintures – en raison de ses études d’arts – livres, CD’s et fringues… Tout y passe.
Mehdi (1) n’a jamais ramené un aussi gros butin que Mia, mais il économise quand même 250€ par mois. Ses premiers vols, c’était de la rigolade, pour se tester : « Je volais des pots d’épices le temps de me faire la main. » Quand il étudiait à Bordeaux, à force de tenter de payer ses courses et voir sa carte bancaire refusée constamment, il s’est mis à voler aussi souvent que possible : « Je n’avais même pas de quoi me nourrir. Je squattais chez des potes sans leur dire que je n’avais pas de thune, en espérant qu’ils m’invitent à manger. Je ne sais pas comment j’aurais fait sans voler… »
Les étudiants interviewés par Streetpress l’ont tous dit, l’argent économisé leur permet de s’offrir des plaisirs auxquels ils n’ont pas forcément accès, et notamment de faire la fête plus souvent. « Ça fait partie de la vie étudiante, et ça fait cher de sortir toutes les semaines », s’exclame Pierre*, 20 ans, étudiant en infocom en Bretagne. Laura résume les choses :
« Un déodorant de payé, c’est une bière que je ne prendrais pas. Si je ne pouvais pas voler, je n’aurais aucun plaisir dans ma vie. Je ne ferais qu’étudier. »
Des techniques diverses
Pour voler, chacun son truc : « Il y a plein de techniques ! Coudre des poches dans sa veste, faire un double-fond dans son sac… Le plus important, c’est l’attitude. Il faut avoir l’air détendu tout en étant observatrice », note Mia, sûre d’elle. Mais elle a beau connaître les astuces, elle s’est fait choper quatre fois en sept ans de vols :
« Ça fait quand même peur. J’aimerais bien pouvoir moins voler… »
Laura s’est elle aussi calmée un petit moment, après s’être faite fouiller par un vigile : « J’ai arrêté pendant plusieurs mois parce que j’étais trop stressée. Après, il faut s’y remettre pour garder la main. »
Garder la main, parce que cette pratique fait partie du quotidien des étudiants interrogés, qui expliquent tous ne pas en avoir honte. La seule raison pour laquelle Timothé a voulu l’anonymat dans cet article, c’est son père : « Il est flic, il aurait honte de moi. » Chez Mia, c’est justement son père qui lui a appris quelques astuces :
« Il est un peu filou aussi. Ma mère, par contre, ça l’affecte beaucoup. Elle a peur pour moi, mais elle comprend pourquoi je suis obligée de le faire. »
La règle d’or : voler seulement dans les grandes enseignes
Si chaque étudiant a ses propres techniques, tous ceux rencontrés pour cet article ont un point commun : ils ne volent que dans les grandes enseignes. « Je ne vole pas n’importe quoi et n’importe qui. Je ne fais ça que dans les grandes enseignes, qui se font du fric sur le dos des gens, mais jamais dans les petites boutiques », explique Laura. L’étudiante de 22 ans embraye :
« Dans un Leclerc, par contre, aucun scrupule. »
En fait, pour elle, voler devient presque un acte politique sans le vouloir : « Les inégalités sont tellement énormes ! C’est toujours les mêmes qui galèrent et travaillent comme des fous pour s’en sortir pendant que d’autres se la coulent douce et profitent du système. »
Mia, elle, est carrément « en colère ». Dans ce système qu’elle définit comme une « jungle », une chose la rassure : elle est persuadée qu’elle n’est pas seule, et que des tas d’étudiants ou de personnes avec moins de moyens volent comme elle. Tous unis contre la vie chère en somme, pour parodier une grande enseigne. « Chacun dans notre coin, on vit et on défend la même chose. On vole de notre côté, contre le système, sans se rendre compte qu’on est plein à le faire et à penser la même chose », lance-t-elle avant de conclure :
« J’espère qu’un jour, on renversera tout ça. »
(1) Les prénoms ont été changés
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