Saint-Ouen, mardi 8 octobre – Aux alentours de midi, rue des Rosiers, plusieurs dizaines de personnes sont rassemblées. Parapluies à la main et capuches sur la tête, elles sont venues soutenir l’association Mains d’oeuvres, dont l’expulsion est en cours. Ce lieu culturel, installé depuis 2001 dans un bâtiment de la ville, est une référence pour les Audoniens : il accueille 250 artistes chaque année et de nombreux spectacles et expositions.
« Vers 8h30 ce matin, les forces de l’ordre sont arrivées par surprise pour nous expulser ! », raconte Thibault Saladin, membre du Conseil d’administration de Mains d’oeuvres. Quelques mètres plus loin, plusieurs CRS bloquent l’accès aux locaux situés rue Charles-Garnier, dans le quartier des Puces. « Ce soir, il y a des musiciens qui doivent faire un concert. Ils ne peuvent même pas aller récupérer leur matos ! », soupire Blandine Paroplay, responsable de la communication de l’asso. Au milieu de la foule, dans un ciré jaune vif, Dina Deffairi-Saissac, co-secrétaire EELV, ne contient pas sa colère. Ses enfants aussi fréquentent l’endroit :
« Que vont faire les parents sans activités pour leurs enfants ? Et les salariés mis au chômage ? »
Relations glaciales entre la ville et Mains d’oeuvres
Depuis de nombreuses années déjà, les relations entre l’association et le maire William Delannoy (UDI) étaient conflictuelles. En 2014, la santé financière de Mains d’oeuvres se dégrade, et l’asso n’est plus en mesure de payer le loyer. La même année, la ville de Saint-Ouen refuse de verser la subvention annuelle de 90.000€. La commune et l’asso se décident finalement à régler leurs différends en 2015 en signant en accord : la ville renonce à percevoir les loyers impayés et ramène le montant du loyer annuel à 1€ symbolique.
Plusieurs dizaines de personnes étaient rassemblées le 8 octobre pour protester contre l'expulsion. / Crédits : Cassandre Leray
Déjà en 2015, Saint-Ouen a pour ambition d’installer un nouveau conservatoire à la place de la résidence d’artistes. L’accord prévoit aussi que l’immeuble loué soit restitué le 31 décembre 2017. Mais l’asso ne plie pas bagage et espère trouver une autre solution, comme l’explique Blandine Paroplay :
« On a proposé de partager les locaux avec le conservatoire, d’accueillir certains cours, de travailler en partenariat avec eux… Ça n’a pas été accepté. La ville a refusé la médiation juridique… Aucun dialogue n’a été possible. »
L’asso condamnée en juillet
Le 20 décembre 2017, Mains d’oeuvres tente le tout pour le tout et saisit le TGI de Bobigny pour demander le renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2018. De son côté, la ville demande que l’asso soit expulsée et qu’elle lui verse plus de 200.000€ (indemnités d’occupation journalière, dommages et intérêts, loyers…), en connaissant pourtant les difficultés financières de Mains d’oeuvres.
Résultat des courses : le 2 juillet 2019, l’asso perd son procès face à la ville et est condamnée à payer 60.000€ d’indemnités d’occupation et à quitter les lieux, sous peine d’être expulsée. Me Jean-Louis Péru, l’avocat de Mains d’oeuvres, saisit immédiatement le juge d’exécution pour revoir le jugement le plus rapidement possible :
« On a demandé un délai de 18 mois pour que l’association ait le temps de trouver d’autres locaux. La décision sera rendue le 3 décembre. Mais le préfet n’a pas attendu et a procédé à l’expulsion immédiate. Il met le juge devant le fait accompli… »
Un contexte politique tendu
Rue des Rosiers, les membres de l’opposition se succèdent derrière le mégaphone pour dénoncer une expulsion jugée abusive. Joint par téléphone, Denis Vemclefs, élu de l’opposition, reste perplexe face à la rapidité de l’expulsion : « Le conservatoire ne va pas voir le jour tout de suite, je ne vois pas pourquoi expulser dans l’urgence. Mais le maire voulait les mettre dehors depuis longtemps, il a toujours été opposé à ce lieu. »
L’expulsion de l’asso a lieu dans un contexte politique tendu à l’approche des municipales. « Lundi, six membres de la majorité ont rendu leur délégation », informe Juliette Ryan, co-secrétaire du PCF local, entre deux discours. Brigitte Bachelier-Zuchiatti fait partie des démissionnaires. Jusqu’alors chargée de la culture, elle se range derrière la ville pour cette affaire : « On part car il n’y a pas assez de démocratie et de communication avec le maire, mais ça n’a aucun lien avec cette histoire », explique-t-elle avant d’ajouter :
« Le marché de maîtrise d’oeuvre a été voté et attribué en Conseil municipal le 18 juin 2018, 28 pour, 9 contre, à Daniel Rubin de l’atelier Canal, Ndlr. Les travaux du conservatoire vont enfin pouvoir commencer. Mains d’oeuvres a eu trois ans pour chercher des locaux et ne nous a jamais contacté pour demander de l’aide… »
Juliette Ryan, co-secrétaire du PCF à Saint-Ouen, était présente aux côtés d'Eric Coquerel, député La France Insoumise de Seine-Saint-Denis. / Crédits : Cassandre Leray
La justice est saisie en urgence
Pour Blandine Paroplay, la responsable com’ de l’asso, pas si simple de retrouver des locaux : « On cherche depuis un moment, mais on ne trouve pas ! On travaille notamment avec le maire de Nanterre pour créer un lieu culturel… Mais ne pas être à Saint-Ouen, ce n’est pas Mains d’oeuvres. On souhaite perdurer sur ce territoire qui est soutenu par tous sauf le maire ! ».
En attendant, les usagers du lieu sont inquiets. Les 77 salariés sont mis au chômage, et les spectacles de plusieurs artistes ne vont pas avoir lieu. « On a beaucoup de soutiens, notre lieu est très apprécié ici ! », note Blandine Paroplay. Autour d’elle, mardi matin, de nombreux manifestants scandent des slogans en tapant sur des poubelles : « Rendez-nous Mains d’oeuvres ». D’après Thibault Saladin, membre du CA, l’asso peut compter « sur la solidarité collective » :
« On ne conteste pas la décision de la ville, mais on ne vire pas les gens comme ça, du jour au lendemain. »
En parallèle, leur avocat a ressaisi en urgence le juge d’exécution aujourd’hui pour demander la réintégration de Mains d’oeuvres. De son côté, la mairie indique qu’elle est dans son droit et n’a pas fait d’autres commentaires.
Image d’illustration de Gaël Chardon sur Flickr. Certains droits réservés.
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