Avec Braquo Sauce Samouraï, Johann Zarca, prix de Flore 2017 et romancier préféré de StreetPress se glisse à nouveau dans la peau du Mec de l’Underground. C’est sous ce pseudo qu’il signait, sur son blog et sur notre média, ses chroniques actualitico-cannabitiques (si vous ne comprenez pas, lisez-les, elles sont toujours en ligne ici).
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Cette fois le Mec de l’Underground et ses pieds nickelés, Mayo Kid et Lakhdar ont une pure idée pour se faire plein de zeillo :
« Un braquo torché en cinq minutes pour une life sous le soleil de Miami, entouré de bombasses siliconées, un accès illimité sur la poudre et de quoi se payer des grecs sauce samouraï à tous les repas, jusqu’à la fin de sa vie. »
StreetPress publie le premier chapitre de Braquo sauce Samouraï.
- Yo poto, réveille-toi !
- Hein ? Quoi ?
- Réveille-toi, Mec !
La bouche asséchée, j’ouvre les yeux. Un faisceau lumineux me crame les rétines, je referme les paupières. Putain, fait chier ! Fait chier ! Je mets un petit temps avant de piger où je suis. Étalé sur le matelas de mon squat, un lendemain de cuite. Casse les burnes ! Je préférais largement Miami…
- Réveille-toi ! me secoue Lakhdar. J’ai un bon plan pour palper du zeillo.
Lakhdar. Un pote d’enfance loyal et teubé avec qui j’ai torturé mes premiers insectes, fait fumer mes premiers crapauds, enterré vivants mes premiers chats, dépouillé mes premiers vieux, bédave mes premiers djocks, sniffé mes premières lignes et surtout, avec qui j’ai fait mes premières conneries. Je l’aime bien, mais pas tout de suite.
- Casse-toi, Lakhdar ! je l’envoie chier. Ma parole, t’es un bâtard ! D’où tu me réveilles comme ça ?
- Mais, j’te dis, j’ai un plan pour brasser d’la maille !
Pète les yeucs ! À l’aveugle, je tâtonne le plancher du squat, attrape ce qui semble être mon mix de whisky coca. Je me redresse, débouche la bouteille en plastoc et la gorge sèche, avale une gorgée du breuvage.
- Hardcore ! Je la recrache aussi sec. Putain, c’est de l’eau !
Dur ! Je balance la bouteille de flotte à travers la piaule, essuie ma bouche et rouvre les paupières. Le frelot, penché au-dessus de moi, écrase le cul de son pilon contre le mur craquelé du squat. La barbe de deux semaines, des cernes creusées sous les yeux, le pote ne ressemble à rien avec son zen de lièvre, ses grandes oreilles décollées et son menton en forme de fion. Je m’assois sur le rebord du pieu, deux de tense, puis me lève. La tronche dans le boule, je baille et m’étire. Miami…
- Bon alors Lakhdar, c’est quoi ton plan ?
- Un combat à mains nues !
- Un combat ? Où ça ?
- À Saint-Denis, dans un garage tenu par des rabouins.
- Ah ouais ? C’est raqué combien ?
- Cinq euros !
- Vas-y, j’suis chaud !
- Et si tu gagnes ton combat, tu seras payé deux cents dolls !
Deux cents dolls…
- Alors là, j’suis chaud bouillant !
- Mortel, mais par contre, faut s’tailler maintenant !
Je chècke l’heure sur mon nouveau téléphone, celui que j’ai déniché à Clichy dans le sac à main d’une vieille. L’écran du portable affiche 16h27 du mat… abusé ! Lakhdar se baisse et trace une énorme ligne de dreupe sur le plancher du squat puis enroule un billet rouge. Bête d’idée ! Je ne me sens pas au top de ma forme, un boostant me fera du bien.
- Allez, prends ton rail et on s’natchave ! me speede le poto.
Je récupère sa paille à dix euros, m’agenouille et m’enfile la poutre dans le pif.
- Et moi ? Ma frelonne débarque dans la piaule. J’veux bien une trace aussi !
Putain, pas cette taimpe ! Vénère, je me relève et lâche à ma sœur un regard Scarface.
- Mais qu’est-c’que tu fous là toi ? T’as rien à faire chez moi, casse-toi !
- Vas-y, ferme ta gueule ! ma sista me rembarre, un majeur tendu bien haut. Je viens t’encourager pour ton combat et toi tu…
- Bat les steaks, tu viens pas ! Pas besoin d’être encouragé par une fomblarde comme toi, técale d’ici tout d’suite parce que je vais te tarter !
Ma frelonne, je ne la blaire pas, je ne l’ai jamais blairée et je ne la blairerai jamais, premiéro parce que c’est une taspé, deuxiémo parce que je l’emmerde. Un jour, elle crèvera dans d’atroces souffrances et moi, j’organiserai une maxi rapta pour fêter l’événement. Ma frelonne, je lui chie dessus.
- Arrêtez d’vous embrouiller ! nous interrompt Lakhdar. Faut vraiment bouger maintenant !
Ma reusse et moi, nous nous mitraillons du regard. Sale blarfe ! Je scanne ma frangine de haut en bas, sapée d’un tee-shirt rouge maculé de taches et d’une minijupe en cuir ras-la-teuche. Un sac en fausse peau de croco porté en bandoulière, des rangers aux pattes. En bref, une dégaine foireuse. Elle s’est badigeonnée la gueule de rimmel pourrave – avec dix centimètres de fond de teint pour planquer ses chtars et ses crevasses –, et s’est foirée en apposant son rouge à lèvres, du coup, elle se farcit la trogne du méchant dans Batman, celui qui ressemble à un Joker. En gros, tu as pigé, ma sœur est cheume. Un peu comme Lakhdar, mais en meuf.
- Bon, on réglera ça tout à l’heure ! On s’taille ! À moi la thune.
J’adore me bastonner, sentir la mâchoire de mon adversaire se fracturer contre mon parpaing, sa jambe se briser sous la puissance de mon low-kick et son zen exploser suite à mon coup de plafond spécial « Mec de l’Underground ». Lui éclater la gueule, lui fumer sa race, le souiller sans respect. C’est humain de se friter et surtout, ça déstresse. D’ailleurs, j’ai toujours dit, « si les hommes se battaient un peu plus, il y aurait moins de guerres dans le monde ».
Des vieux néons grésillants éclairent ce hangar poussiéreux aux murs tagués et au sol parsemé de boîtes en carton, de polystyrène et de verre pilé. Un gitan déguisé en croma – costard à paillettes, bagues en or et bling-bling autour du cou –, nous rappelle les règles du combat :
- Alors, celui qu’abandonne ou qui tombe KO a perdu !
- On a l’droit aux coups dans les burnes ? Je questionne l’arbitre.
- C’que tu veux !
Nickel ! Je vais lui éclater les bouliches. Attroupés autour de nous, des spectateurs à la gueule cassée, Lakhdar et ma frelonne en première ligne. J’observe Moussa, mon adversaire dont je connais la répute : boxeur invaincu, hargneux, expert en thaï et puncheur hors pair. D’après les racontars, ce mec maîtrise aussi le jujitsu brésilien et ses ground and pound sont fatals. « Fatals » mes couilles, ce narvalo connaîtra sa première défaite dans quelques minutes ! T’es ouf, deux cents dolls ! À ce taro je compte bien le fumer, lui mettre la fessée de sa life et entacher son palmarès. Rien à branler de ce renoi, qu’il suce ses morts ! OK, il pèse au moins quarante kils et mesure vingt centimètres de plus que moi… et alors ? Le galbe, ça ne veut rien dire. Les mecs ultra-stocos se déplacent au ralenti, je vais la jouer façon ninja et le pulvériser. Pour deux cents boules, je vais marbrer ce branlo avant de le bouffer, lui niaquer l’oreille à la sauce Tyson et lui croquer la gueule façon Walking dead. Je suis chaud bouillant après ces deux jours passés sans casser de bouche et en plus, j’ai fait cinquante abdos hier.
Fair-play, Moussa me tend sa main droite, je le bâche et réponds par un gros doigt :
- Même pas j’te serre la palme, sale tarba ! Tu sais quoi ? Va bien t’faire farcir l’oignon ! Je vais t’marave et quand j’en aurai fini avec toi, j’te pisserai dessus ! Moi j’te fucke, espèce de pute ! Je t’effrite, j’te roule et j’te fume ! Et puis aussi, j’encule toute ta mifa en brochette…
Le karlouche remballe sa pogne et tire une tête de rajoul, je lui présente mon plus beau smile. Il joue le boss, mais il se chie dessus, ça se voit.
- … non seulement ta mère est une bitche, mais en plus, elle casse les prix du marché tellement qu’elle est cheume !
Deux cents dolls… je vais désosser sa face de baltringue !
- Vas-y Moussa, défonce-le ! hurle ma frelonne, postée derrière moi.
Je me retourne, vénère :
- Ferme ton bec, toi !
Le rabouin frappe dans ses mains pour annoncer la fritaille, les spectateurs se resserrent autour de nous, se mettent à gueuler et lancent les paris. Bordel, pas un seul pélo ne m’encourage et à part Lakhdar, personne ne semble miser sur moi ! En vrai je m’en bats les reins, c’est encore plus gratifiant de gagner quand personne ne croit en toi.
- Vas-y, Mec, tape dans ses couilles ! me coache Lakhdar. Dans ses couilles !
Je sautille sur place en guise d’échauffement, Moussa se craque les doigts et affiche une tête de psycho.
Il se croit dans un film, ce bouffon ! Je vais le savater, essuyer mes tatanes sur sa dépouille. J’enchaîne quelques flexions-extensions… C’est bon, me voilà prêt !
- Dans les baloches ! insiste mon pote.
Je me concentre, échafaude ma botte secrète : une frappe de close-combat couplée à une technique de ninjutsu qui se transmet de génération en génération. Je monte ma garde, fonce sur mon adversaire et envoie mon triple « retourné-sauté ». Moussa esquive mon coup, me cale un coude dans le bide, un crochet dans la bouche et trois directs dans les chicots.
Putain, l’enfoiré ! Il m’a défoncé la gueule. Quand j’ai rouvert les yeux, il ne restait plus un gadjo dans le hangar, à part ma conne de frangine et Lakhdar. Ils ont dû tous s’éclipser en vitesse, me croyant mort ou dans le coma. J’ai mis une demi-plombe à me relever et je chlinguais la pisse. Ce tarba de Moussa m’a sponsorisé la tronche comme un chméta.
Nous traînons les pattes autour de la gare de Saint-Denis, « Crackland », pour les intimes.
- Des barres ! ma frelonne me nargue. Ça fait plaisir de t’voir la gueule en biais !
Je n’ai malheureusement pas la force de lui chloper le cul, je boite et douille de partout. Je devais gagner ce combat, mais manque de chatte, j’ai glissé sur un genre de flaque et perdu l’équilibre. Vraiment pas de bol ! Moussa m’a mis à l’amende, mais obligé, je prendrai ma revanche un de ces quatre. En attendant, me revoilà en galère de lovés, je n’ai même pas vu la couleur des cinq dolls promis pour cette fight. Putain de flaque ! Si je croyais en Dieu, j’insulterais sa daronne.
Du côté de la gare, des silhouettes poncent le macadam en quête de caillou, les radars fixés sur le béton. Je reconnais quelques zombies dionysiens, accrocs à la galette et utilisateurs de fléchettes. Le long de la voie ferrée, nous croisons justement la route de Thierno, un tismé tout kes à la dégaine de charclo, les joues creuses et les yeux de gyrophares. Une vague connaissance à fond dans le kecra.
- Hey Mec ! me salue le gueuche.
- Bien Thierno ?
- Et toi, Mec ?
- Vite fait !
- J’vois ça ! Tu t’es fait démonter la tête ou quoi ?
- C’est pas la question ! Mon blème c’est que j’suis fauché, et c’est pas demain que j’pourrai raquer un aller simple pour Miami.
- En tout cas, mon pote, j’sais pas si c’est un problème d’oseille, mais t’as quand même la gueule explosée. Si tu t’voyais…
Il casse les couilles là !
- Ouais, j’ai glissé… un truc compliqué, laisse tomber !
- Il s’est fait marbrer la gueule comme une putain ! lâche ma frelonne.
- Ta bouche toi ! je la rembarre aussi sec.
Comme si la scoumoune ne suffisait pas, la pluie commence à s’abattre sur Saint-Denis. Fait ièche !
Thierno emprunte une mine de suce-boules, le regard rempli de pitié et le sourire tigent d’un humanitaire :
- Hey les gars, vous avez pas un p’tit truc à dépanner ? Je suis en plein down là…
- T’as pas entendu ? je l’envoie chier. J’ai que dalle !
Même pas une petite pépète ou quelque chose à damer ?
- Natchave-toi Thierno, sinon Lakhdar va t’goumer !
Dépité, le tox baisse la trogne et poursuit son chemin. Nous bougeons aussi, traçons notre route en direction de nulle part, si possible d’un spot où nous abriter. Des putes à came arpentent les trottoirs du secteur, j’explore mes fouilles au cas où il me resterait quelques euros à larguer dans une passe. Que tchi. Plus rien. La dèche complète. Mon téléphone portable vibre et affiche le blase de Mayo Kid, mon coéquipier. Un vieux soce presque intelligent et dénicheur de bons plans, pour ne pas dire l’Alfred Einstein de la clique.
- Ouais, Mayo ? je décroche illico.
- Yes Mec, faut que j’te parle ! J’ai un bête de dièse à t’proposer, on s’rejoint chez toi dans une heure !
- J’peux pas là, je suis coincé à Saint-Denis !
- Démerde-toi ! Fais du stop, braque un tacos ou tape un carjacking, mais ramène tes fesses ! Et sans Lakhdar s’te plaît !
Je traîne avec Mayo Kid depuis le bac à béton (comme le bac à sable, mais avec du béton). Je ne me rappelle même plus de son vrai blase – peut-être que lui non plus d’ailleurs –, nous lui avons toujours filé ce pseudo car gamin, il foutait de la mayonnaise dans tous ses casse-dalle, même sur les bonbecs. Je me souviens, il trempait ses Dragibus dans la Benedicta et racontait à tout le monde que plus tard, il partirait vivre à Dijon. Meskine, il n’a jamais bougé de Paname. Mayo Kid est le moins foncedé du crew, le plus galbé et le plus futé. Beau gosse et tchatcheur, il serre pas mal de meufs, parfois même sans payer. Les sourcils froncés et la bouche crispée, le frelot paraît nerveux, me zieute d’un regard de proc.
- Je t’ai dit d’te ramener sans Lakhdar… vous êtes venus comment ?
- Taxi-basket !
- Zobi, t’as une de ces gueules ! Tu t’es fait puncher ou quoi ?
- Nan, j’étais à deux doigts de l’fumer, mais j’ai glissé sur une flaque.
- Que dalle ! la ramène ma frelonne, avachie sur mon canapé. T’as glissé sur rien du tout, t’as essayé d’faire ton warrior et tu t’es fait désaxer la gueule.
Vénère, je serre les pognes. Trop envie de la kicker ! Elle ne connaît rien en baston, ne suit même pas l’Ultimate, n’a jamais maté un seul film de Steven Seagal et pourtant, elle ose pénave. Je te jure, se farcir une sœur pareille, c’est pire qu’un séjour au tarmi, pire qu’un cancer du zboub, pire qu’une visite au Louvre.
- Bon alors, c’est quoi ton bête de plan ? je demande à Mayo Kid.
- Viens, j’vais t’expliquer !
- Et nous ? ma reusse se vexe. On pue la merde ou quoi ?
Le reuf m’entraîne dans ma piaule, je claque la porte derrière moi et pose mon derche sur le matelas, sors mon tosma et roule un kamaz.
- Alors Mayo Kid ? Raconte-moi ton bail.
- Tu sais où j’étais c’soir ?
- Au bois d’Boubou ?
- Nan ! J’étais sur les Champs, dans l’club des frères Perez.
- Et… ?
- Eh ben, les deux frangins tchatchaient au comptoir, j’me suis approché d’eux et j’ai laissé traîner mes oreilles… ils parlaient bizgo.
- Alors vas-y, accouche !
- Je t’explique ! Les frères Perez viennent d’effectuer une énorme transaction, ils ont parlé d’un kilo de chnouf. Un kil de chnouf, t’imagines ! S’ils viennent de refourguer un kil de chnouf, j’te raconte pas le paquet d’oseille qu’ils doivent planquer chez eux.
- Stylé pour les frères Perez, mais moi, qu’est-ce que j’m’en bats la race ?
- On est tous en galère de maille alors j’me disais que si on les braquait…
Braquer les frères Perez ! Il faut vraiment avoir de la chorba dans le cerveau pour imaginer ce plan. C’est une pure idée ! À la clef, des milliers de dolls à palper. Un braquo torché en cinq minutes pour une life sous le soleil de Miami, entouré de bombasses siliconées, un accès illimité sur la poudre, et de quoi se payer des grecs sauce samouraï à tous les repas, jusqu’à la fin de sa vie. Putain, je suis trop chaud !
D’un coup, la porte de la piaule s’ouvre grand. Lakhdar et ma frangine débarquent dans la pièce, surexcités. Putain, ces enfoirés ont espionné notre converse comme des mouchards !
- Braquer les frères Perez ? C’est une bête d’idée ! Nous aussi, on veut être de la partie.
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