Gambetta, Paris – Le maillot qu’il porte sur le dos, avec les lettres « OG » inscrites en gros caractères sur le torse, semble des plus banals. Pourtant, c’est en partie grâce à celui-ci que Sébastien Debs, 27 ans, est reconnu dans la rue par deux jeunes, place Martin Nadaud, dans le 20e arrondissement de Paris. Une minute, le temps d’un bref échange, et les fans poursuivent leur chemin, heureux d’avoir croisé une des plus grandes références de l’e-sport à l’international. Car si son style et son attitude ne laissent rien paraître, le Toulousain de naissance n’en est pas moins une rockstar du jeu vidéo une fois les frontières de la France franchies.
Chine, Asie du Sud-Est, Russie et même États-Unis… S’il se baladait de la même manière dans ces pays, ce n’est pas « une fois toutes les deux semaines » qu’il serait arrêté par des fans, mais tous les trois mètres, explique-t-il. « À l’étranger, on signe des autographes tout le temps, on est arrêté dans la rue. C’est vraiment une double vie. » Double vie qu’il mène plus encore depuis août 2018 et la victoire de sa team, OG, à l’International. C’est la plus importante des compétitions d’e-sport, dédiée à Dota 2, jeu vidéo en multijoueur de type arène de batailles. Chacune des deux équipes de cinq joueurs doit à la fois défendre son camp et détruire celui de l’adversaire. Chaque joueur incarne un « héros » avec des caractéristiques spécifiques (sorts, attributs et type d’attaque).
Sébastien Debs est en vacances mais s’entraîne pourtant huit heures par jour. / Crédits : Mathis Pivette
Non seulement « Ceb » est devenu le premier Français à remporter la prestigieuse compétition, mais aussi le premier Français à devenir millionnaire grâce à cette discipline, inconnue ou presque il y a dix ans. Son équipe s’est partagée 11 des 25 millions de dollars de gains l’année passée. Sébastien, lui, repart avec 2 millions en poche. Le mois dernier ? Rebelote. Le back to back historique de OG (aucune équipe n’avait jusque là réussi à conserver son titre en neuf éditions) leur rapporte 15 millions de dollars à se diviser.
Comme des superstars
« Depuis qu’on l’a gagné, les autres équipes nous voient différemment. Il y a ceux qui l’ont remporté, et les autres. Tu entres dans la légende », fanfaronne « Ceb », alors qu’il se saisit de la réplique du trophée, un imposant bouclier noir et gris, aux contours dorés. « On a exactement le même rythme de vie, les mêmes problématiques, que les sportifs de haut niveau, s’exclame Sébastien le plus sérieusement du monde. Quand je regarde le documentaire qui a été fait sur la victoire de l’Équipe de France de football en Coupe du monde en 2018, c’est exactement pareil. » Il détaille : « Dans certains pays, on est obligés d’avoir un service de sécurité. Le dernier tournoi que j’ai fait aux Philippines, on avait carrément des policiers qui nous escortaient et qui bloquaient les routes, de l’hôtel à l’endroit du tournoi. C’était surréaliste. »
Son nom est gravé dans le trophée du prestigieux International. / Crédits : Mathis Pivette
Ses séances de dédicaces peuvent attirer des milliers de personnes. « La file fait le tour du stade ! », raconte-t-il. Et il n’y a pas que des jeunes ados accros aux jeux vidéo qui s’arrachent la signature de « Ceb ». Aux États-Unis, la popularité de Dota 2 est telle que même des joueurs de NBA le sollicitent. « Je sais plus où me mettre quand je les vois entrer dans la pièce. Ils me racontent comment ils se sont mis à jouer », confie le Toulousain, en train de redresser ses lunettes avec son index. L’année dernière, à l’International, l’un des tout meilleurs basketteurs entre dans la loge d’OG. « Je me dis : “Non c’est pas possible, c’est pas lui quand même ?”. Il disait être fan de notre team. »
Des dettes avant la fortune
Avant de devenir multimillionnaire, Sébastien est passé par quelques années de galères. « Ça m’est arrivé de m’endetter auprès de mes parents pour payer mon billet et participer à un tournoi à l’étranger, se remémore-t-il. Pour pouvoir commencer à entrer dans nos frais, moi et mes coéquipiers, on devait terminer au moins cinquièmes. J’ai déjà emprunté 200 balles à des potes, mais je ne pouvais pas leur rembourser parce que j’avais perdu. C’était vraiment le début de l’e-sport. » À l’époque la discipline ne brasse que très peu d’argent. « On jouait dans des espèces de hangars avec cinq ordis et devant dix personnes, dont huit étaient membres du staff. On le faisait pour gagner des casques audio qu’on recevait même pas au final, s’amuse-t-il, un brin nostalgique. Maintenant, on est dans des stades de 35.000 personnes. Les mecs font des ola, le sol vibre, il y a 25 millions de dollars en jeu… »
Attention au syndrome du canal carpien. / Crédits : Mathis Pivette
Une somme qui explose tous les records. Et qui, pourtant, a été écrasée lors de cette édition 2019, avec le chiffre vertigineux de 34 millions de dollars. En 2011, pour annoncer la création de Dota 2, Valve, studio de jeux vidéo américain, lance le fameux tournoi, et annonce offrir un chèque d’un million de dollars à l’équipe qui gagne. « Les meilleurs équipes ne se sont même pas inscrites. A l’époque, on jouait maximum pour 1 000 dollars, et c’était déjà un gros tournoi. Donc quand ils parlent d’un million, on se dit que c’est une arnaque, que ça sert à rien d’y aller pour perdre notre temps. »
Sacrifices absolus
Comme dans tout sport, arriver au sommet nécessite beaucoup de travail. « En nombre d’heures strictement passées sur le jeu, je pense être au-delà des 40 000, sourit-il. Sans prendre en compte tout ce qu’il y a autour, les voyages, les prépas, les moments en tournoi… En gros, c’est 90 % de mon temps. » Mais le jeune homme s’accroche. Il veut à tout prix réaliser son rêve : remporter l’International. Peu importe le prix et les sacrifices « absolus » que cela lui demande. « Tu peux pas avoir une vie sociale du tout ou très peu », concède-t-il, pragmatique.
« Ceb » est une référence dans le monde de l’e-sport français. / Crédits : Mathis Pivette
L’argent n’a jamais, dit-il, été une motivation pour lui. Le Toulousain assure n’avoir rien changé à son comportement et ses habitudes une fois devenu multimillionnaire. « Je n’ai pas le temps de changer quoi que ce soit. Je suis en compétition dix mois par an, j’ai la tête dans le guidon… » Les seules « folies » qu’il s’autorise, pour l’instant ? « Quand j’ai une semaine et que je veux aller voir mon père qui vit à l’étranger trois jours, j’y vais. Je me pose pas la question. » Incapable de faire une pause ?
« Je pourrais arrêter de jouer sans problèmes, assure « Ceb », sans aucune hésitation. Le truc où j’aurais le plus de mal, c’est le rythme de vie. Émotionnellement, c’est tout le temps au maximum. »
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