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    30/07/2019

    Le lobby des industriels du lait mise sur les youtubeurs

    Les produits laitiers, les meilleurs amis des influenceurs

    Par Lucas Chedeville , Caroline Varon

    Mister V, Squeezie, Radio Sexe… Pour rajeunir son image, « les Produits laitiers », le lobby des éleveurs et des entreprises laitières, s’est offert les plus célèbres youtubeurs de France. Enquête sur la stratégie marketing des vaches.

    Tout est parti d’une blague. En 2016, l’influenceur Mister V poste une parodie de l’émission Tellement Vrai. Il y interprète Daniel, pauvre monsieur « qui vit avec la maladie de l’auto-tune ». Pendant à peine quatre secondes, dans un trait d’humour absurde, il chante l’iconique jingle « les produits laitiers sont nos amis pour la vie » avec sa voix auto-tunée, avant de passer à autre chose. Deux ans plus tard, le court extrait réapparaît sur le compte Twitter d’un fan. Dans la foulée, le compte des Produits laitiers s’en saisit : « À 100k RT on met sa voix dans la prochaine pub ». 100.275 retweets plus tard, c’est Mister V lui-même qui réclame son dû : « Hey dis donc Les Produits Laitiers… ;) » Quatre mois après, une publicité est diffusée sur toutes les télés avec l’humoriste en égérie.

    Mister V – 5,1 millions d’abonnés au compteur – n’est pas le seul à fricoter avec les Produits laitiers. Comme lui, la star Squeezie – youtubeur le plus suivi de France avec 13 millions d’abonnés – ou les présentateurs de l’émission Radio Sexe, Kameto et Zack Nani – dans le top 3 des podcasts le plus écoutés sur Spotify – participent à des placements de produits et autres vidéos sponsorisées pour l’organisation des professionnels de la filière laitière. Tous vantent les bienfaits du fromage et des yaourts. Et tous ont la particularité d’être suivis et encensés par une très jeune génération d’auditeurs. « Je comprends qu’ils veulent rajeunir le blaze », commente Myriam Manhattan, youtubeuse et ex-présentatrice d’OKLM et de Booska-p, qui réalise une émission avec les Produits laitiers. Une stratégie du cool entamée il y a un peu plus d’un an, pour redorer l’image d’un des lobbys les plus importants de l’agriculture française auprès des 15-25 ans. Et à ce que raconte la jeune femme, il sait chouchouter ses ambassadeurs : « Ils nous mettent bien ».

    Placement de jingle

    Déjà en 1981, la petite chansonnette « les produits laitiers sont nos amis pour la vie » tourne dans des spots publicitaires pour la télé. Un jeune homme danse avec une plaquette de beurre géante, quand une ménagère entame une chenille avec des fromages. Le jingle est ensuite décliné pendant trois décennies, parfois en pub grivoise, d’autres en dessin animé pour enfants. « On voulait savoir si le slogan parlait encore aujourd’hui, s’il était toujours dans les mémoires », raconte Adrien Dinh. Il est responsable de la stratégie digitale et des réseaux sociaux pour le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL). Les Produits laitiers est l’un des labels – la caution cool et jeune de leur com – de cet organisme qui rassemble les éleveurs et les entreprises laitières. Lorsqu’il est embauché en 2018, Adrien Dinh se voit confier une mission : rajeunir l’image du syndicat. Alors pour vérifier que son jingle a toujours la cote, en novembre 2018, il fait appel au plus gros youtubeur français actuel, Squeezie. Le communiquant lui propose de sponsoriser une vidéo, en lui laissant les mains libres sur le concept et le contenu. « Il a choisi de faire une musique avec d’autres influenceurs, ce n’était pas demandé. Et ça a très bien marché ! », s’enthousiasme Adrien Dinh. Aux côtés de Squeezie se retrouve le duo McFly et Carlito. 4,9 millions de personnes suivent les vidéos des deux acteurs. Ensemble, ils tournent le clip « Le clash des générations », où ils se disputent la meilleure époque, 90’s ou années 2000. Et au beau milieu de la chanson, « les produits laitiers sont nos amis pour la vie ».

    « Ça a été la vidéo la plus vue de sa chaîne ! En moyenne, il fait autour de 5 millions de vues. Là c’est 16 millions », se satisfait Adrien Dinh. Le sketch est depuis passé à plus de 20 millions de vues. « Alors qu’il y a écrit “Vidéo sponsorisée par les Produits laitiers” en bas de la vidéo. » Les influenceurs ont même ajouté la mention « Merci à eux ! :-) ». YouTube oblige désormais ses créateurs à préciser qu’une vidéo est sponsorisée par une marque quand c’est le cas, afin d’éviter toute tromperie du public.

    Un lobby sympa

    Les créateurs prennent aussi l’habitude d’inscrire dans la description de la vidéo la marque avec laquelle ils bossent. Ce qui peut amener à quelques couacs, comme quand Morgan VS – ses 700k d’abonnés le connaissent pour ses comparaisons d’objets et produits du quotidien – remercie à la fin d’une de ses vidéos « l’association les Produits laitiers d’avoir sponsorisé cet épisode ». Sauf que ce n’est pas une asso. Un problème pour Mélissa Mialon, docteure à l’université de Sao Paulo au Brésil, qui a travaillé en 2017 sur les méthodes de marketing des industriels laitiers en France. L’experte rappelle que les Produits laitiers, c’est avant tout un lobby. Elle le compare même aux industriels du tabac, ajoutant : « Il faudrait appliquer un principe de précaution. Si Nestlé ou Danone utilisent ce genre de pratiques, c’est exactement pour les mêmes raisons ».

    « Chez les jeunes, on avait cette image très négative de lobby », constate Adrien Dinh. Alors pour changer ça, il a commencé par cibler les réseaux Twitter et Instagram. Les Produits laitiers se mettent à réagir à chaque tweet qui mentionne… Un produit laitier. Souvent en glissant des vannes. La bio du compte prévient « Notice : activer le mode second degré avant de lire les tweets ». Ils réalimentent par exemple l’éternel débat : « le lait avant ou après les céréales ». Lorsque la photo d’une brique Candia Viva est annoté d’un « 1, 2, 3, Viva l’Algérie » au moment de la Coupe d’Afrique des Nations, ils repartagent avec en commentaire « ça va trop loin les DZ ».

    From RT to consommer

    « Ce n’est pas la seule marque à faire ça. Il y a Décathlon par exemple », commente Myriam Manhattan. Comme l’enseigne de sport, le CNIEL se déporte progressivement sur ce qui intéresse leur cible des 15-25 ans, comme les cultures urbaines ou les tendances YouTube. Et la stratégie est payante. Leur nombre d’abonnés sur Twitter bondit de 2.000 à 146.000 followers. Une augmentation qui va de pair avec le capital sympathie. Le CM se fait régulièrement mentionner et mousser.

    « C’est sympa d’avoir du retweet ou de la notoriété. Mais si derrière on ne draine rien, il n’y a pas vraiment d’utilité », commente le spécialiste com. Le CNIEL fonctionne avec à sa tête trois collèges : les producteurs de lait, les coopératives laitières et les industriels privés. L’organisme a deux missions : le conseil technique et la communication.

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    Ils sont sur tous les réseaux ! / Crédits : Caroline Varon

    Une étude qu’ils ont réalisée auprès des 12-25 ans montre que les campagnes sont efficaces : quand l’organisme communique sur un produit, ses ventes augmentent. « Ça dépend aussi d’avec qui on communique », complète Adrien Dinh. Alors le syndicat met le paquet et se paie les plus gros influenceurs. Difficile de lui arracher des chiffres. Mais pour réaliser ses missions, le CNIEL dispose d’un budget conséquent : un peu moins de 40 millions d’euros pour l’année 2018. Sur ce chiffre, plus de la moitié, soit autour de 20 millions d’euros, sont consacrés à la « communication et la promotion », dont 500.000 destinés à la com digitale. Les Produits laitiers n’étant qu’une partie de cette mission.

    Cibler des niches

    Parfois, les Produits laitiers parient également sur des youtubeurs plus petits, mais prometteurs. Comme Myriam Manhattan, avec ses 90.000 abonnés. Myriam s’est fait connaître en écumant les backstages du rap français. Elle produits aussi quelques contenus lifestyle, comme son émission « Les recettes de la hess », où elle donne des tips pour cuisiner à petit prix ou avec les fonds de tiroirs. Un concept qui a tapé dans l’œil d’Adrien Dinh, qui signe la youtubeuse pour une saison, à raison d’une vidéo par mois. Dans « Myriam met du beurre dans tes épinards », elle cuisine toujours pour les petits budgets, mais en se rendant directement chez des étudiants pour enfiler le tablier avec eux. Les vidéos sont ensuite uploadées sur la chaîne et sur le site des Produits laitiers. « C’est important de souligner que les produits laitiers sont des produits accessibles. »





    Une autre mission importante selon le dir com est d’« humaniser les éleveurs ». Pour ça, il a fait appel à Morgan VS, 700.000 abonnés. Dans cette vidéo sponso, il compare différents types de laits et « part voir de ses propres yeux à quoi ressemble un élevage », parce qu’il « se passe plein de choses concernant la maltraitance animale en ce moment ». « On travaille de concert avec toute la filière laitière pour savoir quels sont les métiers en difficulté aujourd’hui. L’élevage sera toujours une question », contextualise le chargé de com. Alors Adrien Dinh propose aux influenceurs de découvrir les coulisses d’une ferme. Les deux youtubeuses de la chaîne Manaïs World se sont également prêtées à l’exercice.





    Sponsoring à tout va

    Le CNIEL a plusieurs manières de travailler avec les Youtubeurs. Il y a le placement de produit, de logo et les vidéos sponsorisées. Comme cette OP avec l’équipe de Radio Sexe, un podcast son et vidéo calqué sur les libre antennes, crée par Kameto et Kotei. Les Produits laitiers ont proposé de leur financer un voyage en Corée pour tester des produits sur place, mais aussi enregistrer une émission là-bas. Un logo du syndicat est affiché en haut à droite de l’émission, qui comptabilise presque 108.000 vues en un mois. Il n’est à aucun moment question de lait dans le podcast, mais les animateurs ont promis que d’autres contenus devraient sortir.

    Plus récemment, les Produits laitiers se sont lancés dans le sponsoring de médias. Depuis février 2019, ils financent l’émission « CheckFood » du média rap et belge Check. Le concept est simple : une ville, un artiste, un fromage. On peut donc voir Alkpote dans une ferme du 77 découvrir les secrets du brie, ou arpenter les allées du salon de l’Agriculture avec son compère Jok’Air. Ils goûtent un peu de tout et caressent des vaches. Financé dans un premier temps par Uber Eats, le média s’est associé pour sa deuxième saison avec le syndicat du lait. « L’idée c’est vraiment de mettre en avant les producteurs français et le savoir-faire », assure Martin Vachiery, le rédacteur en chef. Ajoutant : « On suivait leur com. Elle est assez marrante, jeune, pas forcée et cohérente. »



    Le sponsoring – quand une marque finance la page d’un média – se développe de plus en plus et pose régulièrement question sur l’indépendance des journalistes. « On travaille avec les Produits laitiers avec confiance, en bonne intelligence. Ils sont assez souples dans le concept, ce n’est pas une grosse structure avec des trucs relous de validations », rétorque Martin Vachiery.

    Et la santé dans tout ça ?

    En 2015, plusieurs scandales sortent dans la presse sur la consommation à haute dose des produits laitiers. Au CNIEL, on assure que la politique menée sur les réseaux sociaux ne sert en aucun cas à allumer un contre-feu. « Les vraies questions sont sur l’élevage et sur la séparation du veau de sa mère. Sur le côté santé, on en parle moins. On part du principe que ce n’est pas à nous d’en parler. Il y a des études santé, des organismes santé, c’est à eux d’en parler », défend Adrien Dinh.

    En tout cas, son travail fonctionne. Quand PETA, principale association de défense des animaux, tweete « Quatre raisons de ne pas boire du lait de vache », les réponses regorgent de tweets du genre : « SVP les produits laitiers apprenez-leur la vie ». Un influenceur qui a travaillé avec les Produits laitiers pour l’émission Radio Sexe en Corée, répond même : « On ne va absolument pas t’écouter ! Vive le lait, vive les protéines ». La leçon est bien apprise.

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