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    26/07/2019

    « C’est du racisme déguisé »

    À Charleville-Mézières, la police verbalise à la chaîne les supporters algériens

    Par Christophe-Cécil Garnier

    73 personnes verbalisées, c’est le joli score réalisé par les policiers de Charleville-Mézières, un soir de victoire de l’Algérie. Pour certains supporters les amendes dépassent les 700 euros.

    « J’ai juste fait un tour et je suis rentré… Ce n’est pas logique. Ce n’est pas normal ! » Messaoud fulmine au téléphone. Cet habitant de Charleville-Mézières est, le 11 juillet, sorti fêter la victoire de l’Algérie en quarts de finale de la Coupe d’Afrique des Nations (Can). Sa femme l’accompagne, au volant d’un second véhicule. La petite famille écopera, ce soir là, pas moins de 11 amendes pour des infractions au code de la route. Le tout pour plus de 600 euros.

    Une sortie coûteuse. Il détaille les prunes : 135 euros pour « une vitesse excessive » et « une distance de sécurité non respectée », mais aussi 35 euros pour l’usage du klaxon de nuit et un oubli de clignotant. Des motifs qui se retrouvent sur de nombreux autres PV. « On faisait un défilé en ville, c’est pour ça qu’on se collait et pour la vitesse comme on faisait un cortège, on n’allait pas si vite », se justifie Messaoud. Ce dernier explique qu’il n’a pas fait de folie car il avait trois de ses fils – de 12, 14 et 15 ans – dans la voiture :

    « Quand il y a eu la victoire, ils ont vu tous les gens du quartiers sortir. Ils ont voulu y aller aussi. Je les ai emmenés, je ne veux pas qu’ils sortent seuls ».

    73 personnes verbalisées

    Messaoud n’est pas le seul à s’être fait lourdement verbaliser lors de cette soirée. Pas moins de 73 personnes à Charleville-Mézières ont reçu une ou plusieurs amendes. Pour plusieurs d’entre elles, l’addition dépasse les 600 euros. Certains ont dû annuler leurs vacances pour faire face à ces importantes dépenses. « Il y en a un qui a pleuré longtemps après l’avoir appris. Il disait qu’il n’avait rien fait », témoigne Messaoud.

    « Et il ne faut pas oublier les retraits de trois à neuf points », complète Chabane Sehel, membre de l’association Les DZ Champagne-Ardenne. Ce dernier a été sollicité par les verbalisés en fin de semaine dernière pour mobiliser le public autour de la situation. « Je pensais que c’était un fake », assure-t-il. Jusqu’à ce qu’il rencontre un habitant qui a écopé de 11 amendes dans la soirée :

    « C’est n’importe quoi… Il y en a pour 700 euros alors que le gars est au RSA ».

    Chabane a pris contact avec le consulat d’Algérie de Metz : Charleville est la seule ville qui connaît cette situation dans la région Grand-Est. « À Revins (une ville voisine de 7.000 habitants, ndlr), on n’était pas loin de 200 voitures, aucune verbalisation. À Givet, une autre ville, pareil », indique le Français d’origine algérienne.

    Au sein de la police, on exclut toute dureté face à certaines amendes comme les klaxons et on évoque un usage « abusif, surtout que ça s’accompagne d’une multitude d’infractions commises préalablement ». « Il ne s’agissait pas de verbaliser l’usage du klaxon mais de verbaliser ceux qui n’ont pas respecté le code de la route de manière affiché », détaille l’adjoint au directeur départemental à la sécurité publique (DDSP), le commande de police Maillot. Et tant pis pour l’accumulation des amendes. « Il n’est pas admissible de tolérer des comportements dangereux, quand on voit des personnes sur les toits des voitures qui conduisent vite ou qui brûlent des feux rouges », reprend le commandant Maillot.

    Pour Chabane Sehel et son association, ces amendes sont « du racisme déguisé ». Il rappelle qu’à la Coupe du monde 2018, où Messaoud a d’ailleurs klaxonné jusqu’à 4h du mat’, les policiers n’ont pas sorti les carnets à contredanse. Ce à quoi la police répond que, lors du Mondial, ils ont principalement dû gérer des violences urbaines « avec des milliers de supporters fortement alcoolisés » et ont dû parer au plus pressé. Les infractions routières seraient donc passées entre les gouttes.

    Pas de fête au centre ville

    Autre fait marquant : les amendes n’ont été dressées que sur des rues du centre-ville. « Ça veut dire quoi ? Que chez nous on fait ce qu’on veut mais pas dans le centre chez les Français ? », interroge faussement Messaoud. Pour Chabane Sehel, c’est lié au fait que le préfet avait « délimité le périmètre de manifestation [autorisé] », qui évitait le centre. « C’est comme si c’était une frontière à ne pas dépasser. C’est grave quand même », indique ce dernier, qui y voit là une autre forme de discrimination.

    Chabane Sehel et les conducteurs qui ont reçu des amendes, en appellent à la maire et au consulat d’Algérie pour trouver une solution dans les plus brefs délais. Car le 1er août, les montants des amendes vont augmenter, se désole Chabane :

    « Ceux qui sont partis en vacances entre temps et n’ont pas vu les amendes vont trouver la mauvaise nouvelle dans la boîte aux lettres. »

    Image d’illustration

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