Notre-Dame est en feu. Au soir du 15 avril, les regards sont braqués sur les flammes qui dévorent la cathédrale. Des Parisiens par milliers se pressent contre les barrières qui délimitent le périmètre de sécurité. La confusion règne dans le quartier quand, dans une rue adjacente, une poignée d’antifas tombent nez à nez avec des militants d’extrême droite. La rencontre avec les Zouaves, un groupuscule violent formé sur les cendres du GUD, est fortuite. Pendant les premiers mois de mobilisation des Gilets jaunes, les confrontations entre les deux groupes avaient été nombreuses – relire notre enquête à ce sujet. Jusqu’à ce que les militants d’extrême droite abandonnent les terrains de manif’.
Une rixe éclate. Brève et confuse. Puis les deux équipes se séparent, avant d’être interpellées par les forces de l’ordre et emmenées au commissariat. Alors que ce genre d’affaire ne se règle que rarement devant les tribunaux – les deux mouvances répugnent généralement à traiter avec la police – l’un des natio’ dépose plainte le lendemain. Le plaignant, proche des identitaires, souffre d’une blessure qui lui vaudra dix jours d’Incapacité totale de travail (ITT). Cinq des huit antifas sont placés en garde à vue. Quatre seront remis en liberté (sous contrôle judiciaire). Le cinquième, Antonin Bernanos est placé en détention préventive et mis en examen pour « violence commise en réunion » et « vol avec violence ». Des faits qu’il conteste. Les natio’, quant à eux, échappent à la G.A.V.
Les antifas dans le viseur du renseignement
« Qui va en prison pour une bagarre ?! », s’étrangle la mère d’Antonin, Geneviève Bernanos. Il doit ce traitement à ses antécédents, dans ce que la presse avait baptisé « l’affaire du quai de Valmy ». En 2016, au cours d’une manif, plusieurs individus encagoulés avaient incendié une voiture de police. Antonin Bernanos est condamné à cinq ans de prison dont deux ans et demi avec sursis pour avoir frappé un policier. Faits qu’il a toujours nié. L’accusation reposait sur le témoignage anonyme d’un policier des renseignements et sur la couleur d’un caleçon. (Relire notre compte-rendu du procès.)
À Madrid, on montre sa solidarité pour Antonin. / Crédits : Action Antifasciste Paris Banlieue
Depuis, la galaxie antifasciste est dans le viseur de la police. Et son engagement aux côtés des Gilets jaunes inquiète les services de renseignements de la préfecture qui, tout au long de ce mouvement social, gardent sur eux un œil attentif. Allant jusqu’au matin du premier mai, procéder à des interpellations préventives (dont la ministre de la Justice nie l’existence). Ce jour-là, plusieurs antifas, dont Angel Bernanos, le frère d’Antonin, se font cueillir aux pieds de leurs immeubles respectifs. Ils sont placés en garde à vue quelques heures, avant d’être relâchés. Les dossiers sont vides. « On est face à une répression politique menée par la police, la justice et la pénitentiaire », s’indigne Geneviève Bernanos. Force est de constater que, depuis son arrestation, Antonin se voit appliquer un traitement spécifique.
Un juge qui n’aime pas les antifas
À l’issue de sa GAV, il est placé en détention provisoire. Le 15 mai, ses avocats saisissent le juge de la liberté et de la détention (JLD) pour demander sa remise en liberté, qu’ils proposent de remplacer par une assignation à résidence. Charles Prats, le magistrat chargé de statuer, s’y oppose, arguant que le maintien en détention provisoire est « l’unique moyen » d’empêcher « une pression sur les témoins ou les victimes », « une concertation frauduleuse entre les mis en examen » et d’éviter « le renouvellement de l’infraction ».
L’Obs révèle, dans un article datant du 1er juillet, que le juge a une dent contre les antifas. Quelques mois plus tôt, il les qualifiait sur Twitter de « nervis d’extrême gauche ». Une saillie droitière parmi d’autres, qui fait planer le doute sur son impartialité. Volubile sur les réseaux sociaux, Charles Prats est aussi un habitué des médias. Il intervient régulièrement sur Libé ou BFM mais aussi sur des sites d’extrême droite comme Boulevard Voltaire (fondé par Robert Menard) ou TV Libertés (web-tv de « réinformation »).
Dans les ordonnances de « rejet de la demande de mise en liberté » et de « placement en détention provisoire » que StreetPress a pu consulter, Charles Prats se permet quelques commentaires inhabituels pour ce genre de documents. « Les faits objets de l’instruction ont été d’une rare violence, commis lâchement par une bande s’étant attaquée à une personne seule, selon le mode opératoire habituel des “antifas” », écrit-t-il. Il s’attarde aussi sur le look vestimentaire du prévenu :
« Il convient de noter qu’Antonin Bernanos, qui se revendique d’une mouvance “antifa” et donc anticapitaliste, se présente à l’audience vêtu d’un polo de marque NIKE, ce qui est de nature à relativiser l’engagement purement politique du mis en examen, qui l’est également pour une infraction crapuleuse ».
Ses témoins de « moralité » (personnes qui attestent que l’accusé est un gars sympa) en prennent aussi pour leur grade. Des universitaires dont il juge « le niveau en réalité très subalterne dans le monde universitaire des personnes ayant attesté; à l’exception de deux ». Les concernés apprécieront. Contacté par StreetPress, Charles Prats explique qu’il ne peut « commenter les décisions couvertes par le secret de l’instruction et [qu’il a] rendues [lui]-même ».
Bernanos se fait balader
Retour à la prison de Fresnes pour Antonin, l’un des pires établissements pénitentiaires de France. Où il est détenu à un régime particulier : l’isolement médiatique. Concrètement, il est placé dans un quartier à part et « ses droits sont restreints », détaille Arié Alimi, l’un de ses avocats (avec Hélène Jouny). « Il ne peut, par exemple, pas aller à la salle de sport. » Une décision prise par la pénitentiaire, sans la moindre justification et surtout en dehors de tout cadre légal. Contrairement à l’isolement carcéral classique, aucun texte ne définit les critères d’applications et le statut des détenus soumis à l’isolement médiatique. En clair, légalement, ça n’existe pas. Interrogé par StreetPress, le ministère de la Justice a transmis notre demande à l’administration pénitentiaire qui n’a pas répondu à nos questions.
Soutien des supporters antifas du club d'Iraklis à Thessalonique. / Crédits : Action Antifasciste Paris Banlieue
Après six semaines, sans crier gare, l’administration pénitentiaire décide de transférer Antonin Bernanos à la prison de la Santé, fin juin. Une décision qui le coupe, pour un temps, de ses proches. « Quand il est changé d’établissement, il faut attendre pour que les autorisations de visite soient validées », explique Geneviève Bernanos. « C’est ce qu’on appelle du baluchonnage », tonne Maître Alimi :
« Le but c’est de casser le détenu en changeant régulièrement son environnement. »
Quelques semaines plus tard, rebelote. Cette fois, la pénitentiaire projette son transfèrement hors d’Île-de-France, ce qui l’oblige à motiver sa demande. Dans « la proposition de transfert » que StreetPress a pu consulter, l’administration invoque des « troubles constatés au sein du domaine de Fresnes » : un « survol de drones », un « caillassage des agents de sécurité lors des rondes » et des « feux d’artifice le jour de [son] anniversaire ». Ce dernier événement a été revendiqué par le collectif Libérons-les, dans une vidéo en soutien à Antonin. « C’est vraiment un truc classique pour soutenir les détenus », justifie Geneviève Bernanos. « Le reste c’est vraiment n’importe quoi. On essaie de lui coller tout et n’importe quoi sur le dos ». Et de fait, l’administration précise que rien ne permet de le rattacher à ces événements, si ce n’est qu’ils ont « cessé depuis [son précédent] transfert ». La décision définitive, à ce sujet, n’a pas encore été rendue.
L’instruction pour la bagarre du 15 avril est, quant à elle, officiellement en cours mais « rien n’a été fait pour le moment », assure Arié Alimi. L’avocat craint que le retard de la procédure soit invoqué pour justifier une future prolongation de la détention provisoire d’Antonin. « Il doit repasser devant le JLD [juge des libertés et de la détention] au courant de l’été », explique Geneviève Bernanos qui a cofondé un Collectif des mères solidaires. « On va continuer à se battre et à faire du bruit, pour lui mais aussi pour parler de toutes ces procédures abusives que subissent de nombreux détenus. » Même discours chez les proches d’Antonin, réunis au sein du collectif Libérons-les : « Des militants autonomes, beaucoup de Gilets jaunes et de nombreux prisonniers subissent cette répression. Il faut la dénoncer pour tous. »
Edit le 25/07/2019 : Selon une source proche du dossier, l’administration pénitentiaire aurait renoncé au transfèrement d’Antonin Bernanos hors Ile-de-France. Il devrait donc rester à la prison de la Santé où il est seul en cellule.
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