Paris, 14e arrondissement – « Ils m’ont dit : “Tu le fais bien ou tu ne le fais pas’’. » Romain Grunstein prévient comme il a été prévenu : on ne plaisante pas avec le maté, la boisson traditionnelle sud-américaine à base de feuilles de yerba. Plante qui, selon la légende du peuple amérindien guarani, aurait été offerte aux hommes par le dieu de la Lune. Cavani, Areola, Di Maria, Witsel, Kimpembe… Toutes ces stars du ballon rond en sont fans et se fournissent auprès du jeune quadra, qui a lancé son affaire en 2017. Le bonhomme a même eu un partenariat pour une publicité Puma, en compagnie de Sergio Agüero et Antoine Griezmann.
L’homme qui murmurait à la calebasse des footballeurs. / Crédits : Antonin Deslandes
« C’est très plaisant de voir un Français s’intéresser au maté et l’importer en Europe », lâche Javier Pastore, l’ancienne idole du PSG, qui a soutenu la démarche de Grunstein dès le début. « Je suis parti très tôt d’Argentine et j’ai toujours eu besoin de m’adapter à une nouvelle culture. Avec le maté, on n’oublie pas d’où l’on vient. » Romain Grunstein l’assure, l’infusion sud-américaine a changé sa vie. Et avant cela ? Le bonhomme a passé quatre ans comme intendant dans le vestiaire d’un grand club européen, reniflant au quotidien les effluves de la préparation, devenue commune dans le monde du foot. « J’étais fasciné par l’instant, la bulle dans laquelle ils rentraient au moment de prendre le maté. » Au point d’interpeller, un beau jour, un des joueurs du vestiaire pour demander à goûter. « Attends, t’es sérieux de boire ça ? », lâche-t-il, peu emballé par le breuvage, devant le sourire à peine dissimulé de son interlocuteur.
La légende dit qu’Ezequiel Lavezzi (en haut à gauche) ne serait pas loin de prendre une carte de fidélité vu sa collection... (En haut à droite : Axel Witsel, en bas à gauche : Javier Pastore, en bas à droite : Gaetane Thiney). / Crédits : Instagram Mateador Officiel
De Griezmann aux joueurs indonésiens
Depuis, Grunstein a pris goût au maté et est devenu un « Cebrador » - ceux qui se chargent de la préparation du maté. Derrière ses lunettes rectangulaires et sa mèche de cheveux, il fait le plein de concentration au moment de concocter la boisson, puis plante la bombilla – sorte de paille métallique – dans la mixture. Il a d’abord fourni son entourage. Puis le bouche à oreille s’est chargé de faire le reste. Sur son Whatsapp, des grandes stars du football mondial, des anciens joueurs, et même des footballeurs autrichiens ou indonésiens inconnus au bataillon, viennent lui demander leur calebasse customisée, ce récipient dans lequel se loge la yerba. Chacune est marquée d’un M, comme Mateador, le nom de sa marque. L’auto-entrepreneur n’a pas de site internet, juste un compte Instagram, un nom et un logo, au départ esquissé par un certain Edinson Cavani, attaquant du PSG. « Moi, c’est un journaliste qui m’a parlé de Mateador. Il m’a dit que je pouvais avoir des calebasses sympas », se souvient Walter Benitez, le gardien argentin de l’OGC Nice :
« Ça m’a surpris que ce soit un Européen. Mais justement, le maté c’est pour tout le monde. »
Même Griezmann, « matéiste » invétéré, ignorait qu’il avait affaire à un Européen au moment de commander sa calebasse. « Il était content de voir que des Français importent cette tradition dans l’Hexagone », remet Grunstein. Avec Kimpembe et Areola, « Grizou » faisait partie des 14 joueurs qui possédaient un Mateador à la Coupe du monde 2018. Et a contribué, calebasse vissée à la main durant toute la compétition, à promouvoir le label à travers une story Instagram qui a rapporté près de 1.000 followers à Mateador.
Difficile de faire meilleure pub… / Crédits : Instagram Antoine Griezmann
« Il n’y a pas de notion d’argent »
C’est à plus de 10.000 km de Paris, en Uruguay, que Mateador se fournit. Grunstein bosse avec des artisans de l’Interior, la région agricole du pays. Pas question de piétiner l’authenticité d’une tradition ancestrale en confiant ça à une grosse entreprise. « La première fois que j’y suis allé, j’ai été accueilli par l’entourage de Cavani qui m’a fait découvrir la culture uruguayenne. Il y avait une certaine forme de fierté de voir qu’un Européen s’intéressait au maté. Depuis, j’y vais une ou deux fois par an, je suis un peu l’attraction », sourit-il.
Et de raconter la fois où les artisans lui ont chacun offert des maillots différents de clubs uruguayens, qu’il n’a pas osés porter pour ne vexer personne. Le foot, c’est comme le maté, c’est sacré. « Quand on ne connaît pas les gens, ça aide à faire des groupes, à parler et passer un bon moment, reprend Pastore. J’ai été derrière lui quand il a commencé le projet Mateador parce qu’il s’intéressait beaucoup à cette culture sud-américaine. »
Calebasse, bombilla et yerba : comment importer un peu d’Uruguay dans l’Hexagone. / Crédits : Antonin Deslandes
« Il n’y a pas de notion d’argent, jure Grunstein qui se montre discret sur le volet financier du business. Chez Mateador, on n’a pas de clients, uniquement des compañeros. » Pour l’ancien intendant, qui a connu le côté bling-bling du football, c’était une nouvelle façon de voir la vie. Loin du vestiaire et de son économie parallèle, dans laquelle les joueurs évaluaient leurs biens matériels en mois de salaire et non pas en somme d’argent. « Tu avais des mecs qui ne te disaient jamais bonjour, et d’autres avec qui tu pouvais partager des choses. »
Et le maté a contribué à rapprocher Grunstein de certains d’entre eux, brisant au passage quelques préconçus dans un milieu naturellement méfiant et concurrentiel. « On a passé beaucoup de temps ensemble, on est devenu amis », raconte Javier Pastore, qui a convié Grunstein chez lui à Rome il y a quelques mois. « Aujourd’hui, je connais beaucoup de gens qui font appel à lui, pas seulement en France mais aussi en Espagne ou en Italie. Nous, Sud-Américains, on sent un peu de notre culture en Europe grâce à ça. » Et pas que sur le Vieux Continent… En Égypte, où se joue la Coupe d’Afrique des Nations, plusieurs joueurs ont commandé une calebasse à Romain Grunstein :
« Leurs performances, je me dis que c’est un peu grâce à Mateador. »
Article en partenariat avec le CFPJ
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