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    28/05/2019

    31% des malades ont déjà pensé au suicide

    Solitude, moqueries et dépression, les malades de Verneuil racontent

    Par Anouk Loisel

    Construire une vie sociale, amoureuse et intime n’est pas simple quand on a la peau couverte d’abcès malodorants. Plus de 600.000 Français sont atteints de la maladie de Verneuil. Aux symptômes s’ajoute une stigmatisation qui peut mener à la dépression.

    « La maladie m’a tout pris : ma famille, mes amis, mes compagnes, mon travail… Elle a ruiné ma vie », témoigne Frank, 49 ans. C’est à l’adolescence qu’il développe les premiers symptômes de la maladie de Verneuil. « Quand un premier abcès est apparu, je ne savais pas ce que c’était. » Le premier d’une longue série. Puis viennent les sécrétions malodorantes et l’épuisement. En France, au moins 600.000 personnes sont atteintes de cette affection chronique de la peau. Sans doute plus, car « beaucoup de personnes, particulièrement les hommes, ne vont pas consulter ou tardent à le faire parce qu’ils ont honte », précise Hélène Raynal, présidente de l’association Solidarité Verneuil.

    Il a fallu plusieurs mois à Frank pour se jeter à l’eau « Au début, j’avais tellement honte de ces plaies dégoûtantes, sur mes parties intimes en plus, que c’était inenvisageable pour moi de me montrer devant un médecin », avoue-t-il. Depuis l’apparition des premiers abcès il y a trente ans, Frank n’a connu aucun répit. Cette maladie chronique est si peu connue du corps médical qu’il faut en moyenne huit ans pour obtenir un diagnostic. Il n’existe aucun traitement efficace, à part la chirurgie pour retirer chaque plaie, parfois via des greffes de peau. Mais rien de définitif : la pathologie revient inlassablement.

    Karine a eu son premier abcès à l’âge de 19 ans. « La maladie est apparue de façon extrêmement violente. J’ai été opérée dix fois en moins de deux ans. » À chaque fois, elle met plusieurs semaines à s’en remettre et les interventions laissent des cicatrices.

    La vie intime impactée

    D’après une étude menée par Solidarité Verneuil, pour 77% des personnes touchées, la maladie a un impact sur les relations amoureuses et sexuelles. En cause : la localisation intime des abcès. « Même si la maladie n’est pas transmissible, le petit copain s’en va souvent parce qu’il y a des écoulements, des odeurs… C’est pas glamour », raconte Hélène Raynal. Anaïs, 23 ans, en a fait les frais. « Quand je me suis déshabillée, le garçon en question a eu une réaction de dégoût. Il m’a demandé : “C’est contagieux ?” » Malgré sa réponse négative, le jeune homme s’est interrompu pour s’en aller. Bien souvent, les malades qui ne vivent pas de relations sérieuses s’interdisent toute vie sexuelle. « On se met des freins à soi-même, en se disant qu’on n’ira pas plus loin dans la relation », explique Manon, 25 ans.

    Quand la maladie ne fait pas fuir immédiatement, elle pose des problèmes sur le long terme. « On ne peut plus avoir de relations sexuelles pendant des semaines », explique Fanny, 38 ans. « Ça me pèse, parce que je pense à lui aussi, pas seulement à moi… Alors je fais quoi, je lui dis d’aller voir ailleurs ? », se questionne-t-elle. « Lui rendre sa liberté », c’est ce qu’a proposé Françoise, malade depuis 33 ans, à son mari. Des sanglots dans la voix, elle explique son geste : « Les rapports sexuels sont rares et difficiles. Quand il me caresse et que par mégarde il passe sa main sur une plaie, je suis tellement mal à l’aise, j’ai si honte ! J’ai peur que ça finisse par le faire partir. Mais au fond, c’est ce que je lui souhaite, car comment aimer un corps comme le mien ? » Ces décennies de maladie ont brisé sa confiance en elle. Françoise avoue se « détester ». Pour Fanny, c’est une certitude : « Le jour où je n’aurai plus mon mari, pour moi c’est terminé. Je ne conçois pas d’aller jusqu’au lit avec quelqu’un d’autre. Parce que moi la première, je serais dégoûtée ou choquée si je voyais ça sur un mec, donc franchement je ne veux imposer ça à personne. »

    Se cacher pour ne pas être stigmatisé

    La maladie change aussi le regard porté par la société. Près de six malades sur dix estiment qu’elle a un impact sur les relations sociales en général. Quand la maladie apparaît à l’adolescence, bien souvent les moqueries fusent. « Les enfants sont tellement méchants entre eux… J’en ai beaucoup souffert dans ma jeunesse », se souvient Françoise, dont les premiers symptômes sont apparus à 12 ans. Frank a continué à subir les quolibets à l’âge adulte. « On devient une curiosité, une bête de foire. C’est “Alors, comment tu vas, pustule ?” Donc on s’éloigne, le tri est naturel. » Une stigmatisation qu’a également vécue Manon. Quand la nouvelle de sa maladie a fuité dans son entreprise, un cadre a déboulé en criant : « Manon a une maladie bizarre, elle a des pustules partout entre les jambes ! Ça doit pas être fun au lit… ». Difficile ensuite de reprendre une relation professionnelle normale avec les témoins de cette scène. « Je n’ai maintenant plus la force de leur parler », déplore la jeune femme.

    Ces réactions brutales peuvent même venir de proches. « Des membres de ma famille me disaient : “C’est parce que tu ne te laves pas !” », explique Anaïs. « Ma fille m’a balancé un jour : “Je veux pas avoir du pus pourri comme toi” », raconte de son côté Sabina. « Elle avait 15 ans, elle savait très bien ce qu’elle disait… » Franck, malade depuis qu’il est adolescent, évoque la difficulté à sensibiliser son père à la maladie : « Il n’a jamais voulu comprendre, pour lui j’ai toujours été un feignant… ». Après une opération il est contraint de retourner vivre chez son père quelque temps. « Il a vu les plaies et les a trouvé horribles. Ça lui a fait peur, ça l’a choqué. Il a très mal réagi. » Ils ont depuis coupé les ponts. « Je crois que je ne suis juste pas l’enfant qu’il aurait voulu que je sois », conclut-il tristement.

    Des réactions qui poussent à se cacher ou à minimiser sa maladie. « Pour ne pas être stigmatisée, je prends des gants pour en parler, j’essaye de la montrer sous un beau jour », avoue Fanny. Un mutisme qui explique en partie que, d’après un sondage, 90% de la population ignore ce qu’est la maladie de Verneuil. « Comme on a peur des réactions des gens, on se tait et on s’isole. Donc à la fois on voudrait que la maladie soit connue, mais à la fois on freine nous-mêmes l’information », admet Manon.

    Une prise en charge psycho-sociale insuffisante

    Il y a quatre ans, la maladie de Françoise prend une ampleur inédite. Obligée de se déplacer en fauteuil roulant, elle a dû mettre fin à son activité d’infirmière à domicile. « Moi qui adorais bouger, chanter, danser, j’ai dû faire une croix sur ma vie sociale », soupire-t-elle. Ses souffrances physiques et psychologiques ont de lourdes répercussions sur sa vie de famille et de couple. Elle fait alors une tentative de suicide. « J’avais perdu le courage de vivre », se souvient-elle pour expliquer ce qu’elle appelle sa « bêtise ». Frank, incompris par sa famille et ses amis, quitté par ses différentes compagnes à cause de la maladie, a lui tenté de mettre fin à ses jours par deux fois au cours de ses 30 années de maladie. D’après une enquête réalisée en 2016 par l’Association Française pour la Recherche sur l’Hidrosadénite (AFRH), 31,3% des malades ont pensé au suicide, et 5,8% ont tenté de passer à l’acte.

    Pour faire face à l’isolement des malades, l’association Solidarité Verneuil et l’AFRH ont créé des groupes Facebook et organisent des rencontres. « Dans l’association, on a aussi un psychiatre », détaille Marie-France Bru-D’aprés, présidente de l’AFRH. « Il accompagne les aidés mais aussi leur entourage, car ce n’est pas toujours facile de faire face à quelqu’un qui n’a plus envie de vivre. » Des dispositifs qui, selon elle, sont loin d’être suffisants. Elle oeuvre pour faire connaître cette pathologie au grand public :

    « Il faut que ce soit plus connu par les médecins, pour détecter la maladie plus tôt. Et que les regards changent dans notre société. Le problème reste toujours la méconnaissance. »

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