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    23/04/2019

    Projeté au sol et roué de coups par des policiers

    5 ans après le passage à tabac d’un manifestant, un policier enfin jugé

    Par Anouk Loisel , Emma Breuil

    Le 4 novembre 2014, Ian B. est frappé par des policiers en marge d'une manifestation. 5 ans plus tard a enfin lieu le procès de l'un de ses agresseurs. Le procureur a requis 3 mois de prison avec sursis, la victime réclame 5.000€ de dommages et intérêts.

    Tribunal de Grande Instance de Paris, vendredi 19 avril. – « Ce procès ne sera pas une tribune », prévient d’emblée le juge, regard planté dans celui du militant anti-violences policières qui lui fait face. Ce coutumier des manifestations, membre du collectif Désarmons-les, se fait appeler Ian B. Il accuse, vidéo à l’appui le gardien de la paix Grégory F. de violences volontaires sur sa personne. L’avocat du prévenu, maître Dier, vient de demander un huis-clos, qu’il justifie en lisant à voix haute des messages de militants, trouvés sur les réseaux sociaux. Ils appellent à venir nombreux au procès, pour faire front contre les violences policières et pour que l’accusé « se sente seul ». « Cette publicité est dangereuse pour le maintien de l’ordre mais aussi pour la dignité de mon client, clame-t-il. Cette audience devient un lieu de vengeance, il en est très affecté. » Muriel Ruef, qui assiste la victime, rétorque, désignant la petite trentaine de spectateurs :

    « Vous avez bien regardé la salle ? Ont-ils l’air violent ? Un huis-clos donnerait l’impression de juger le policier en secret. »

    Après à peine quelques minutes de délibération, les juges reviennent. L’audience restera publique.

    Roué de coups de pied

    « Vous êtes accusé d’avoir volontairement commis des violences entraînant une incapacité de travail de 2 jours, en assénant des coups de pied non-légitimement », rappelle le juge à Grégory F. Grand et filiforme, nageant dans un costard trop grand, le prévenu regarde le sol, dos courbé et mains jointes. L’air complètement abattu. Face à lui, côté gauche, se tient Ian B. Attentif, assis jambe droite posée sur le genou gauche, il ne laisse transparaître aucun signe d’anxiété.

    Les faits se sont déroulés le 8 novembre 2014, à Paris, dans le cadre d’une manifestation à la mémoire de Rémi Fraisse, tué quelques jours plus tôt par une grenade lancée par les forces de l’ordre, au barrage de Sivens. Grégory F., à l’époque, travaille à la Brigade d’information de la voie publique (BIVP). En civil, donc non-muni de brassard de police, il est là pour filmer les dégradations commises sur la voie publique pendant la manifestation. Ian B., quant à lui, prenait des photos et des vidéos du dispositif policier. Un témoin, perché en haut de son immeuble, filme la scène du contrôle d’identité qui tourne mal.

    « Je tiens à préciser que mon client reconnaît les faits », précise maître Dier avant la diffusion de la vidéo, un peu paniqué. À vitesse normale, puis au ralenti, juges et public regardent les images. On y voit le prévenu, habillé d’un manteau beige, arriver derrière Ian B. Il raconte : « Il me lance : “Monsieur, contrôle d’identité”, je me retourne et lui réponds : “Pour quel motif ?”, et là, un autre gardien de la paix arrive en me mettant un coup d’épaule. »

    Sur les images, on voit alors le jeune manifestant tenter de s’échapper. Une quinzaine de policiers l’encerclent. « L’un d’eux m’a pris par la tête et mis à terre », raconte-t-il. Sur la vidéo, on voit alors très nettement Grégory F. donner des coups de pied à l’homme à terre. Et lui asséner un dernier coup alors qu’il a été relevé par les policiers.

    De « légitime défense » à repentance

    À plusieurs reprises, Ian B. déplore que « quatre autres auteurs de coups » n’aient pas été inquiétés. Ils ont été écartés du procès en raison d’un manque de preuves car la vidéo ne montre pas clairement ces violences, nous expliques-t-on en appartée à l’issue du procès. Grégory F. est le seul à comparaître. Au début de la procédure, le gardien de la paix invoquait la légitime défense. Appelé à la barre, il change radicalement de version.

    D’une voix à peine audible, tout en reconnaissant qu’il n’y a pas eu d’affrontements lors de la manifestation, il raconte les insultes criées par les manifestants, les menaces de mort, les tags anti-flics inscrits sur les murs. « C’était difficile. Ça faisait un peu moins d’un an que j’étais dans ce service et c’était la première fois que j’intervenais sur une manifestation comme celle-là. Dans nos formations, on n’est pas préparé à cette violence, à cette haine. » Avant d’ajouter : « Je reconnais les faits. J’ai eu une perte de discernement, je ne peux que m’excuser. » Mais le juge l’interrompt :

    « J’ai un toc, je n’accepte pas la formule : “Je m’excuse”. Il est préférable de dire : “Je vous présente mes excuses”. Symboliquement, c’est très différent. »

    Son avocat, lui, tente de justifier la faute en évoquant le contexte familial « difficile » de Grégory F, père d’un enfant devenu sourd à cette période. « J’aime mon métier. Je crains les sanctions. Pour moi, pour ma famille », avoue l’accusé.

    « Si les rôles étaient inversés »

    « J’ai besoin d’aborder la question des séquelles psychologiques », lance Ian B. au juge, direct. De sa voix claire et assurée, il cite Jean Améry, résistant juif auteur de Par delà le crime et le châtiment : « Je ne sais pas si celui qui est roué de coups par la police perd sa “dignité humaine”. Mais ce dont je suis certain c’est qu’avec le premier coup qui s’abat sur lui, il est dépossédé de ce que nous appellerons provisoirement la confiance dans le monde. » Puis, lisant l’expertise psychologique qu’il a subie après les faits, il énumère les séquelles : peur diffuse, méfiance, sentiment d’humiliation, perte de la confiance en autrui… Et conclut :

    « Les policiers ont droit à des ITT psychologiques. Moi, je n’en ai pas. »

    « Les faits se sont produits en 2014, nous sommes en 2019. Si les rôles étaient inversés, ça aurait été comparution immédiate pour le manifestant », fait remarquer Maître Ruef. « Cette enquête a été terriblement longue : il est là, aussi, le préjudice moral, continue l’avocate. Ce coup d’épaule, et les violences qui ont suivi, sont toujours dans la tête car justice n’a pas été rendue. »

    5.000€ pour le préjudice

    Après une longue inspiration, l’air grave, le procureur de la République se lance : « Ce n’est pas le procès de l’institution, ce n’est pas le procès des violences policières, c’est le procès d’un seul homme », martèle-t-il en préambule. Il requiert trois mois de prison avec sursis. Ian B, lui, s’est contenté de réclamer 5.000€ d’indemnisation pour le préjudice subi. C’est uniquement pour obtenir cette réparation qu’il a porté plainte, et pour « pointer le problème de probité de la police ». « La peine réclamée par le procureur est absurde, réagit-il à la sortie de la salle. Je suis un militant anti-carcéral. La seule chose que je souhaite à ce policier, c’est qu’il change de rôle social. » Quant au discours du procureur sur la restauration de la confiance et la réconciliation avec les institutions policières et judiciaires :

    « Pour moi, c’est hors de question. J’ai fait mon avis. Un avis basé sur dix ans d’expérience de violences policières. »

    Le jugement sera rendu le 9 mai 2019.

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