« J’avais besoin de couper et de tout recommencer avec une page blanche. » Kenza Farah raconte son come-back musical, en marchant en direction de Place des Fêtes, dans le 19ème arrondissement. Casquette de marin posée sur ses cheveux ébène, manteau en cuir noir et fourrure sur les épaules, elle avance tranquillement dans la foule parisienne. Devant l’objectif, la sudiste prend la pose puis dégaine son portable pour snaper l’instant. La jeune femme de 32 ans est en journée promo pour la sortie de son nouvel album, Au Clair de ma Plume. Le sixième en douze ans de carrière :
« Tu imagines ?! Mon premier album, Authentik, c’était en 2007. On m’en parle encore ! »
"Dans ma carrière, j'ai eu des hauts, des bas." / Crédits : Yann Castanier
« Je me bats », « Lettre du front », des titres en boucle sur les mp3 à la fin des années 2000. À l’époque, la Marseillaise est en rotation sur Skyrock, fait Urban Peace et passe dans l’émission Attention à la marche. Elle a seulement 20 ans et court la France pour remplir des zéniths. Mais à la fin de la décennie, la vague R’n’B s’essouffle et la chanteuse se fait plus rare. « Je n’étais plus en accord ni avec ma musique, ni dans ma vie perso », explique-t-elle. Pendant quatre ans, elle raconte avoir retrouvé sa famille et voyagé. Elle refait tout de même une apparition en 2016, pour sortir le clip de son morceau Mon Ange, qui l’a fait connaître dans les rues de Marseille en 2006. Le buzz est immédiat : 12 millions de vues accumulées. Histoire de prouver qu’elle pouvait toujours chanter.
Autour d’un diabolo grenadine, Kenza Farah nous a raconté ses hauts, ses bas et son retour.
« J’ai connu le pire et le meilleur / Les joies et les colères / J’ai connu les hauts et les bas / Durant ma carrière » Tu commences ton album avec ces phrases. Tu fais référence à quoi ?
À un peu tout. C’est le premier titre de l’album, Au clair de ma plume. C’est une rétro de tout ce qui a pu se passer ces dernières années, avec un mélange de ma vie personnelle et musicale. Les hauts et les bas, les joies et les peines. Ça rejoint l’histoire de chacun en fait.
C’est à Marseille que tu as commencé dans la musique. Au lycée, tu passais tous les concours de chant des MJC. On y gagnait l’enregistrement gratuit d’un ou deux titres. C’est comme ça que tu as commencé à te faire connaître ?
J’enregistrais les titres et je les gravais. Je distribuais des CD partout dans le quartier. Après, il y a eu l’arrivée des téléphones et du bluetooth. Tout le monde s’échangeait mes chansons par bluetooth dans Marseille. C’était la contamination ! Une épidémie. Les gens écoutaient mes titres sans savoir que c’était moi parfois. J’entendais Mon ange dans les rues, je me disais « C’est incroyable ».
C’est à ce moment là que tu as rencontré le Rat Luciano de la Fonky Family ?
Exactement. D’ailleurs, tous les titres n’étaient pas enregistrés en studio. Certains, je les ai enregistrés avec un casque de secrétaire et un logiciel nul sur un vieil ordinateur. Tu entends ma sœur claquer la porte derrière. Je chante a cappella. C’est vraiment n’importe quoi ! Le Rat Luciano était tombé sur ces morceaux et avait bien aimé. Un ami en commun m’a dit « J’ai quelqu’un à te faire rencontrer ». Et quand j’arrive, c’était lui, le Rat Luciano. J’étais choquée ! Je le kiffais. Art de rue de la FF, c’est l’album de ma vie, je l’a-do-rais. On s’est posés chez lui, il a fait des prod devant moi. Cinq. J’ai pris les cinq. J’en ai gardé pour mon album.
Et le feeling est tellement bien passé que je l’ai invité sur mon premier album. C’était un honneur pour moi ! Et on a fait le titre Sur tous les chemins. J’adore ce titre.
A Place des fêtes. / Crédits : Yann Castanier
Et quand les premières propositions de contrats sont-elles arrivées ?
Après l’arrivée des Skyblogs et des pages Myspace. Avec les vues visibles. À partir de cette période, j’ai commencé à recevoir des mails via ces plateformes. Et on m’a envoyé mes premiers contrats. Énormément de monde voulait travailler avec moi. Et je ne comprenais absolument rien aux contrats !
Quelles maisons de disques t’ont contactée ?
Toutes les grandes maisons de disques ! Pour ne pas en citer une. Les chefs de projet m’approchaient, ils venaient en costard cravate. Parfois ils m’envoyaient seulement des contrats. C’était l’esprit grosse entreprise qui vient direct signer un artiste, pour enregistrer un album et lancer une tournée dans la foulée. Ça ne m’a pas mis en confiance.
Moi j’imprimais les contrats et je les faisais lire à mon prof d’éco. Parce que j’avais 19 ans et que je n’y comprenais absolument rien ! Je leur disais « Je fais lire à mon avocat », mais j’en avais pas ! Et finalement, le côté label, qui fait tampon, avec des jeunes comme moi, sans costard, ça m’a davantage donné confiance. J’ai choisi Karismatik.
Karismatik, c’est un label d’Aulnay-sous-Bois, assez proche de plein d’artistes du 93. Et tu y étais signée avec Sofiane, n’est-ce-pas ?
Oui, on y était tout les deux artistes. On a fait des sons ensemble. Il était dans mes Planète Rap et mes concerts. Au Zénith, il était là d’ailleurs ! Jusqu’au jour où il a volé de ses propres ailes et que le label s’est délité. Ça ne m’étonne pas qu’il ait réussi. Il le mérite largement. Il a toujours été déter’, avec l’envie de rapper, de croquer le monde. Il a énormément de talent. C’est une fierté pour moi.
Et puis c’est un bilka [kabyle] comme moi ! On se charrie beaucoup, on parle le même langage. J’ai de bons souvenirs de rigolades !
Quand Kenza joue avec l'objectif. / Crédits : Yann Castanier
Quand est-ce que tu as rencontré Sefyu, qui est aussi d’Aulnay ?
En fait, j’avais imaginé un titre : une histoire d’amour avec un soldat. Et il me fallait une voix grave, imposante. Sefyu n’était pas encore vraiment connu, mais à Aulnay, tout le monde le connaissait. Je suivais ce qu’il faisait et je voulais absolument que ça soit lui pour mon titre. Il était proche de mon label en plus. Youssef [Sefyu] n’avait jamais chanté avec une fille, et encore moins une chanson d’amour. Il a une image de dur. Mais il a accepté.
Il y a eu un peu de résistance sur l’intro. Il devait lire « Pas un hiver passé loin de toi, c’est dans ton sourire que je puise la force de me battre ». Il m’a dit « Tu vas pas me faire dire ça, c’est chaud ! ». Il est pudique et c’est un texte amoureux : il écrit une lettre, il dit que mon sourire lui manque [rires]. Il a eu du mal à se mettre dedans. Il a même essayé de faire lire l’intro par un pote à lui. Mais jamais de la vie, je lui ai dit que ça n’avait aucun sens ! Et c’est pas comme si son grain de voix n’était pas reconnaissable. Quand il a accepté d’enregistrer, il a recommencé plein de fois. Le moment où il a oublié le côté pudique, ça l’a fait direct !
On t’en parle encore de ce morceau, Lettre du front ?
Grave ! C’est chaud, ça date de 2007. Et toutes les fois qu’on l’a interprété ensemble sur scène c’était un truc de fou. Le public ne nous laissait pratiquement pas chanter. À un moment, on pensait même à une suite.
Vous êtes encore en contact ? Il va bien ?
Oui, il prend son temps. Il prépare un nouvel album. Il est dans le cinéma. Il est comme moi, il ne se force pas. Il reviendra quand il sera prêt. On s’envoie des nouvelles de temps en temps. Il m’a envoyé un message hier, tiens regarde [elle penche son téléphone]. Il me dit « Baltimore, frappe! ». C’est un titre de mon album.
"Lettre du Front on m'en parle encore aujourd'hui !" / Crédits : Yann Castanier
Tu as aussi collaboré avec un paquet d’artistes marseillais, dont Alonzo, Soprano… Tout Psy4 de la rime en fait ?
Je les ai tous invités tout de suite sur mon premier album. C’était le groupe des quartiers nord, d’où je venais. Bien sûr, ça m’a fait super plaisir de les inviter. C’est une réussite, et puis on est solidaires entre nous. Et quand on voit des photos à l’ancienne, quand on était jeunes, ça fait hyper plaisir. Je me souviens des séances studio. Moi j’étais hyper studieuse, j’enregistrais ma partie bien tranquillement et je terminais dans les temps. Quand c’était leur tour, c’était in-ter-mi-na-ble ! Ça partait en parties de Playstation et ils finissaient par enregistrer à 6 heures du matin.
Et tu as fait un feat avec Jul en 2014 ?
Il a eu un peu la même trajectoire que moi. À l’époque, il marchait déjà bien à Marseille. C’est mon frère – il devait avoir 13 ans – qui me dit « Tiens écoute, lui j’aime trop, nous les jeunes, on écoute ça ici à Marseille ». J’ai aimé l’énergie et on a featé.
À 20 ans, tu sortais ton premier album, Authentik, qui a été un énorme succès. C’était quoi d’être une chanteuse de R’n’B à l’époque ?
Ohlala, ma vie n’avait rien de gossip ou de croustillante. Elle était très simple : studio, concerts et dès que j’avais un peu de temps, je descendais à Marseille pour voir ma famille. Et puis je recommençais. C’était mon travail.
C’était un moment où le R’n’B était très à la mode. Tu passais au Hit Machine, aux NRJ music awards, à Attention à la marche, …
Je n’ai pas l’impression d’avoir fait le tour des télévisions. Le R’n’B était effectivement à la mode, mais j’ai toujours été moins invitée à cause de mon image d’artiste urbaine et hip-hop. J’ai fait les NRJ music awards une fois, mais il fallait être un artiste NRJ, et je ne passais pas sur cette radio. Les émissions comme Attention à la marche, il fallait que ce soit un numéro spécial. Si je me souviens bien, quand j’y étais, c’était une émission spéciale Raï’n’B Fever avec Leslie et Amel. Et Hit Machine, j’ai été invitée une fois. Je passais sur Skyrock. Et à part les grands évènements liés à Skyrock, comme Urban Peace, il n’y avait pas grand chose.
Et puis je ne kiffais pas forcément ces passages télé. Ça me stressait. Moi j’aime bien être sur scène, avec mon public. Pas avec des gens qui vont me regarder comme un ovni parce que je suis habillée en survêtement. Je me sentais très mal à l’aise dans ce genre d’endroit.
À ce point ?
Même les interviews, j’avais du mal à l’époque. Mes premières interviews étaient catastrophiques. J’ai du mal a m’exprimer, je répond par « oui », « non », « peut être », « on peut dire ça comme ça ». Et je répétais toujours ça. Non mais sérieux !
Cette image d’artiste urbaine te gênait ?
Pas du tout ! J’ai fait mon petit trou et mon truc avec Skyrock. Mais je n’avais pas les accès de copines comme Sheryfa Luna ou Melissa. Je me souviens, on m’avait conseillé de m’habiller de manière plus féminine pour avoir plus de télés et de radios. J’ai refusé totalement. J’ai fonctionné et réussi à avoir une fanbase qui me suis, parce que je suis différente. Je ne vais pas aller me déguiser. J’étais en survet adidas de haut en bas, je ne voulais pas me maquiller, je plaquais mes cheveux. À chaque fois ! J’ai fait des plateaux télé, même des petits JT comme ça.
À la cérémonie de l’Année du hip hop, toutes mes copines se demandaient comment s’habiller. J’ai été chercher mon trophée en haut de survet et gros baggy ! Je me suis maquillée à la maison, je me suis plaqué les cheveux, mais vraiment dans le naturel le plus total.
Autour d'un diabolo grenadine, Kenza Farah nous a raconté quelques histoires. / Crédits : Yann Castanier
Tu as été la première chanteuse de R’n’B à faire le Zénith de Paris. Tu avais fait salle comble ?
Oui, c’était magnifique ! On sortait d’une tournée qui avait très bien fonctionné. Et on clôturait avec le Zénith. C’était assez fou, parce que c’était normalement réservé à la variété française ou aux gros artistes rap déjà bien installés. Moi j’arrivais, avec seulement deux albums. J’étais un petit peu impressionnée, mais je me rappelle de cette date comme une grande fête. J’avais invité tous mes amis de la musique : Sefyu, Psy4 de le rime, Melissa, Big Ali, Rim K, Idir, tout mon label, ma famille.
C’était ma deuxième tournée. Je découvrais encore le monde aussi. La musique m’a fait sortir de Marseille. J’y suis née, j’ai grandi dans mon petit quartier. Et puis j’ai vu la France, l’Europe et le monde à ce moment-là. Et je me suis rendu compte que c’était super important de partir, de voyager et de voir autre chose. Plutôt que de rester parquée.
Et puis le R’n‘B est passé de mode. Comment ça s’est passé pour toi ?
J’ai pas calculé ma vie en fonction de la musique. Si j’ai envie de faire un break, je le fais. Si j’ai envie de sortir un album, je le fais aussi. Et professionnellement ça va, on m’a toujours très bien accueillie. Quand je veux présenter un projet, c’est que je suis sûre de moi. Mon album, j’en suis fière, je sais que mes titres sont bons et je ne braderai pas ma musique. Je vais défendre mon projet avec ferveur.
Après, bien sûr, on ne va pas me proposer le contrat qu’on m’a proposé pour le premier album. En 2007, il y avait l’engouement, le buzz, etc… Mais j’ai toujours été respectée. Et sinon, j’auto-finance. Si c’est pour travailler avec rien, je peux me payer moi-même mon album dans de bonnes conditions.
Moi j'avais pris un coca... / Crédits : Yann Castanier
Et j’ai entendu dire que tu avais été contactée par l’émission de télé-réalité La Villa des cœurs brisés ?
Ouais… C’est fou hein? On a contacté la personne qui s’occupait de moi pour un projet télé. Nous, on n’avait pas bien compris, et au final c’était ça. Je ne connaissais même pas. J’ai regardé et je me suis dit « Ils sont sérieux ? ». J’étais morte de rire ! Je suis discrète, j’aime pas parler de ma vie privée. Je suis une artiste, je ne suis pas là pour faire du gossip ou pour être mannequin. Je suis là pour livrer de la musique, c’est tout.
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