En ce moment

    19/03/2019

    Des réfugiés témoignent

    « Ma famille a été persécutée en Azerbaïdjan parce que j’ai demandé l’asile en France »

    Par Tomas Statius , Aurelie Garnier

    6 jours après sa demande d'asile, le frère de Marwan a fini en prison. La tante d'Omer, elle, aurait été violée par des policiers. StreetPress publie des témoignages de réfugiés dont les proches ont été persécutés en Azerbaïdjan. Voici leurs histoires.

    Marwan (1) a 34 ans, il vit dans le sud de la France. C’est un dissident, il tient à le préciser :

    « J’ai été torturé à de multiples reprises par le régime dictatorial d’Aliyev, ce qui m’a forcé à fuir l’Azerbaïdjan pour demander l’asile politique en France. »

    Il faisait partie d’un comité d’opposants, dont la mission était de « protéger les prisonniers politiques et donner des informations aux ONGs de défense des droits de l’homme. » Arrivé en France le 6 avril 2017, il dépose une demande d’asile dans la foulée. Marwan n’est auditionné que le 13 avril 2018 par l’OFPRA. Six jours plus tard, il reçoit un coup de fil du pays. Son frère, Ali (1), vient de se faire arrêter par la police. Officiellement, les autorités locales lui reprochent d’avoir 8,35 g de cannabis sur lui, explique un jugement que StreetPress s’est procuré. Mais pour Marwan, son frère a été piégé. Au poste, le commissaire de police aurait lié l’interpellation d’Ali au dépôt d’asile de son frère :

    « Le chef de la police, me traitant de traître à la patrie, a répété à mon frère toutes les informations que j’avais communiquées à l’OFPRA en France. »

    Ali est finalement condamné à un an et demi de prison. Et les ennuis ne s’arrêtent pas là. Le 20 avril 2018, au lendemain de l’incarcération de leur fils, les parents de Marwan reçoivent un coup de fil de la maréchaussée azerbaïdjanaise. Cette dernière s’inquiète de l’activité de Marwan sur les réseaux sociaux. « Ma famille m’a demandé d’effacer tout ce que j’avais publié sur mon Facebook. » Dans la foulée, c’est un officier de la police locale qui décroche son combiné, affirme-t-il, et le joint sur son numéro de téléphone français :

    « Il m’a dit : “Tu vas retirer la demande que tu as formulée et les propos que tu as tenus devant l’office d’immigration français”. Il m’a dit que si je faisais ça, mon frère serait libéré. »

    Marwan refuse. Il est poursuivi dans deux affaires pénales. Deux dossiers qui ont été ouverts à la suite de son départ d’Azerbaïdjan. L’une pour « hooliganisme ». L’autre pour des dettes qu’il aurait contractées au pays :

    « Au tribunal, ils ont dit à mon père que le ministre de l’Intérieur avait lancé un avis de recherche. »

    Le chemin de croix des réfugiés Azerbaïdjanais et de leurs familles

    « En Azerbaïdjan c’est comme ça », résume S., blasé :

    « Dès que quelqu’un de votre famille est dans l’opposition, c’est vous qui devez payer les frais. »

    Au cours des six derniers mois, StreetPress s’est entretenu avec 15 demandeurs d’asile azerbaïdjanais. Tous ont fui leur pays et le régime dictatorial du président Aliyev pour se réfugier en France où ils ont demandé l’asile. Tous ont dû en subir les conséquences. Certains ont été menacés directement par le régime sur le sol français, comme Marwan (1). Pour d’autres, les menaces se sont portées sur leurs proches : convocations au tribunal, licenciements abusifs, enfermements ou condamnations fantoches… Pour les associations de défense de droits humains, ces pressions sur la famille de demandeurs d’asile exilés à l’étranger sont tout à fait classiques. Elles font même l’objet de nombreux rapports de la part de trois d’entre elles : Human Rights Watch#, Amnesty International et Civil Rights Defenders. « Il ne faut pas oublier que l’Azerbaïdjan est l’un des régimes les plus répressifs de cette partie du monde », souligne Giorgi Gogia, chercheur spécialiste du Caucase pour Human Rights Watch.

    Résultat ? Plusieurs exilés se censurent lors de leur demande d’asile. « L’OFPRA ne peut pas protéger notre histoire », finit par lâcher Omer (1), la voix chevrotante. « Lors de mon entretien, l’officier me posait des questions mais je ne voulais pas répondre », se souvient S., lui aussi demandeur d’asile :

    « J’avais peur que ces informations soient utilisées contre moi. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/azerbaidjan-3-2.jpg

    Le chemin de croix des réfugiés azerbaïdjanais en exil / Crédits : Aurélie Garnier

    « Ma tante a été violée à cause de ma demande d’asile »

    Plusieurs demandeurs d’asile, interrogés par StreetPress, racontent peu ou prou la même histoire : des informations, livrées uniquement lors de leur entretien à l’OFPRA, ont été transmises aux autorités azerbaïdjanaises. Les critiques émises contre le régime devant des officiels français ont conduit à la persécution de membres de leur famille. Comme pour O. :

    « Une semaine après mon entretien à l’OFPRA, j’ai contacté ma mère qui m’a annoncé qu’ils [les autorités azerbaïdjanaises, ndlr] l’avaient appelée pour lui dire qu’ils étaient au courant de ma demande d’asile […], qu’ils exigeaient mon retour […] et qu’ils l’avaient menacée de persécution dans le cas contraire. »

    O. est arrivé en France à l’automne 2018. Il a quitté son pays suite à son arrestation par la police dans une ville à l’Ouest de l’Azerbaïdjan. Le jeune homme, employé de banque, graffait des slogans politiques quand des policiers l’ont appréhendé. Depuis, les pressions sur sa mère n’ont pas cessé :

    « Les policiers lui ont dit : “Nous avons des informations de toutes sortes et des agents partout.” »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/azerbaidjan-2-2.jpg

    Au pays, la foudre du régime s'abat sur les familles des demandeurs d'asile / Crédits : Aurélie Garnier

    « Après mon entretien, mes parents et mon frère ont de nouveau fait l’objet de pressions de la part des policiers de la région où j’habitais », raconte E. Arrivé en France début 2018, l’homme passe devant un officier de protection en mars 2018. Trois mois plus tard, son père, âgé de 74 ans, est envoyé en prison pour 15 jours. Même histoire pour Maria (1) et Adrien (1). Le couple dépose l’asile début 2018. Neuf mois plus tard, le père de ce dernier est envoyé en prison :

    « Il a été arrêté pour de fausses accusations. »

    Le frère de S., ainsi que son père, ont aussi été inquiétés à la suite de sa demande d’asile, déposée en août 2018. « Mon frère m’a annoncé que le directeur de la société où il travaillait l’avait convoqué pour lui annoncer son licenciement », nous écrit le trentenaire :

    « Son directeur lui a dit : “Nous avons reçu un appel nous informant de l’immigration politique de ton frère en France, et des informations qu’il avait communiquées dans ce cadre.” »

    Le frère de S. recevra le même coup de fil, lui intimant de convaincre son aîné de revenir en Azerbaïdjan. R., lui, est un militant numérique. Sur Facebook, il tient l’une des principales pages d’opposition. Un petit matin d’avril 2018, neuf mois après sa demande d’asile, son frère et son père sont convoqués au tribunal, comme le prouvent des documents qu’il nous a transmis. Les autorités judiciaires ne tournent pas autour du pot. Ils savent que R. est en France :

    « Ils ont dit qu’il ne fallait pas que j’écrive sur ma page Facebook. “S’il diffuse quoi que ce soit contre le gouvernement, nous sommes capables de le prendre par les deux oreilles, de le ramener ici et de l’emprisonner à vie.” »

    C’est en février 2019, qu’Omer (1) prend contact avec nous. Sa famille, aussi, a pâti de sa demande d’asile. Depuis 2013, l’homme vit en France, sans papiers. Sa demande d’asile a été déjà rejetée plusieurs fois et Omer s’épuise de recours en recours. En exil, ses opinions politiques le conduisent à rencontrer plusieurs autres dissidents, comme lui. Omer est visible. Les gens le connaissent. À l’OFPRA, il se confie sur son activisme, comme pour justifier la protection qu’il estime devoir obtenir :

    « Si je rentre en Azerbaïdjan, je vais être enfermé. »

    Peu de temps après un rendez-vous à l’Office, Omer apprend que sa tante a été envoyée en prison. Il parvient finalement à la joindre. Ce qu’elle lui raconte est terrifiant. Les policiers étaient au courant de la demande d’asile de son neveu, soutient-elle. Ils connaissaient tout de sa vie en France, de ses fréquentations :

    « En raison du danger, on ne parle jamais avec nos familles. On sait qu’elles sont écoutées. On fait attention. »

    Comble de l’horreur, sa tante aurait été violée en garde-à-vue avant d’être placée en détention. Aujourd’hui, Omer ne veut plus se taire.

    « Ma cliente a reçu la visite d’hommes qui cherchaient à l’intimider »

    Il n’y a pas qu’en Azerbaïdjan où les demandeurs d’asile craignent pour leurs vies. Depuis quelques mois, Ariane (1) et Julien (1) K. sont terrorisés à l’idée que des hommes de main du régime ne leur tombent sur le dos. Leur avocat, nous explique que le couple a entrepris des démarches pour changer de nom. L’homme sera le narrateur de leur histoire. Car ni elle, ni lui, n’accepteront de répondre à nos questions.

    Le couple K. vit en France depuis début 2018. Dès leur arrivée, ils déposent une demande d’asile, qui est refusée. Quelques mois plus tard, ils sollicitent un avocat spécialisé en droit des étrangers. Lors de leur premier rendez-vous, tous deux lui confient leurs doutes vis-à-vis de l’interprète qui s’est chargée de la traduction lors de leur entretien à l’OFPRA. « Ils ont identifié l’interprète à l’Office sur les réseaux sociaux », indique-t-il :

    « Ils l’ont en effet reconnue [la traductrice] sur la page Facebook de [la] secrétaire de l’association des amis de l’Azerbaïdjan. Cette association étant liée au pouvoir, mes clients ont fondé des craintes légitimes quant au caractère confidentiel de leur entretien. »

    Ariane et Julien n’ont pas gardé leurs déboires pour eux. Ils s’en sont aussi ouvert au directeur du centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) dans lequel ils logent. En avril 2018, ce dernier, inquiet, prend attache avec les services de l’OFPRA pour rapporter leur témoignage et leurs craintes. Oralement, puis par courrier. L’Office accuse réception mais ne répond pas, indique l’avocat d’Ariane et de Julien. Un mois plus tard, trois hommes sonnent à la porte du CADA et demandent à parler au couple. Ils refusent de donner leur identité. À l’entrée, le secrétaire du centre, informé de la situation du couple, ment. « Aucun demandeur d’asile de ce nom n’est hébergé au CADA », explique-t-il. Les hommes s’en vont, comme ils sont venus. Ariane et Julien, eux, changent de centre, discrètement, dans les semaines qui suivent. L’OFPRA est informé de leur mésaventure, indique leur conseil. Pour ses clients, pas de doute:

    « Les époux K. constataient un lien chronologique évident entre l’assistance par cette interprète et leurs difficultés postérieures. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/azerbaidjan-1-2.jpg

    Le régime a des yeux partout / Crédits : Aurelie Garnier

    Quand j’étais interprète, j’ai été approchée par des membres du gouvernement

    Quelques jours après la publication de notre enquête sur le CV des traductrices azerbaïdjanaises, nous recevons un message dans la boîte commune de StreetPress. L’intéressée, une dénommée Viviane (1) affirme « avoir des révélations à faire sur les interprètes d’Azerbaïdjan ». Elle nous demande si nous « [garantissons] la protection des sources ». Quelques jours plus tard, nous échangeons par téléphone. Ancienne traductrice pour l’OFPRA et la CNDA, cette honorable dame, arrivée en France à la fin des années 90, ne fait plus partie des rouages de la demande d’asile, bien qu’elle travaille toujours pour différents tribunaux en tant qu’interprète assermentée. Elle affirme avoir été approchée en 2006 par les autorités azerbaïdjanaises qui étaient à la recherche d’information sur les demandeurs d’asile.

    La scène se passe à Bakou en 2006, explique Viviane. Cette dernière passe alors plusieurs jours dans la capitale azerbaïdjanaise. Elle en profite pour renouer avec d’anciennes connaissances, dont monsieur T., un ancien membre actif du Front Populaire Azerbaïdjanais, un parti de gauche fondé au début des années 1990. Viviane est une ancienne dissidente, mais elle a très peu vécu en Azerbaïdjan. Elle a grandi en Iran, où vit une importante communauté azerbaïdjanaise. Monsieur T., l’interlocuteur de Viviane, lui donne rendez-vous dans un bâtiment gouvernemental. Il travaille désormais pour le régime, mais ça, Viviane l’ignorait. Elle le découvre à l’occasion de l’entretien. Rapidement, l’homme se montre curieux sur les demandeurs d’asile :

    « Et voilà que ce monsieur a posé des questions : “Il y a combien de réfugiés [azerbaïdjanais, ndlr] en France?” J’ai continué à lui parler mais je ne lui ai pas donné de renseignements concernant les demandes d’asile. »

    Viviane botte en touche mais monsieur T. est insistant :

    « Il m’a parlé d’un projet relatif à l’envoi d’une personne, éventuellement lui-même, à Paris pour une durée d’un an, afin de repérer les demandeurs d’asile et les réfugiés azerbaïdjanais, de recueillir des informations à leur sujet, et sur la façon dont ils obtenaient les documents qu’ils produisaient pour appuyer leur demande (…) Il sollicitait mon aide pour la réalisation de ce projet. »

    Pour la traductrice, c’en est trop. Elle ne verra plus jamais monsieur T., mais reste marquée par cet épisode.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/azerbaidjan-4-2.jpg

    La tante d'Omer, elle, a été arrêtée suite à sa demande d'asile en France / Crédits : Aurélie Garnier

    Tout à fait classique

    Contactés par StreetPress, Human Rights Watch, Amnesty International et Civil Rights Defenders, trois ONGs qui suivent avec attention la situation en Azerbaïdjan ne s’étonnent pas des témoignages que nous avons pus recueillir. Pire, ces derniers semblent correspondre à des affaires que les asso’ ont suivi de très près. « Des cas comme ça, on en voit depuis 2014-2015 », explique Mike Runey de Civil Rights Defenders. « Ce sont des stratégies que les autorités utilisent assez fréquemment. C’est quelque chose que nous avons documenté », rebondit Giorgi Gogia, chercheur pour Human Rights Watch. Parmi ces tactiques, monter de fausses accusations pour trafic de drogue, fraude fiscale ou défaut de paiement, poursuit l’associatif :

    « En Azerbaïdjan, deux activistes ont été condamnés à dix ans de prison. Il avait fait un graffiti sur le monument du Président, à Bakou. Ils avaient refusé de s’excuser. Peu après cela, la police a trouvé trois kilos d’héroïne chez eux. »

    Levan Asatiani d’Amnesty International confirme avoir eu affaire à des cas similaires :

    « Nous avons suivi plusieurs cas de personnes critiques à l’égard du gouvernement dont les proches ou la famille ont été poursuivis et arrêtés pour des affaires de drogue montées de toute pièce. »

    Pour monsieur Gogio, le régime craint avant tout une mauvaise publicité à l’étranger. Ce qui explique les demandes répétées adressées aux demandeurs d’asile d’effacer leurs publications sur Facebook. Le pays est également doté d’un service de renseignement efficace, même à l’étranger. « Ce n’est pas le FSB mais ils sont actifs », indique monsieur Rooney :

    « Cela arrive qu’ils appellent les activistes et leur donnent rendez-vous, en dehors de l’Azerbaïdjan. »

    C’est comme ça que le régime aurait tenté de recruter plusieurs militants politiques, explique ce chercheur. Tout en voilant à peine les représailles en cas de refus :

    « À l’un d’entre eux il a dit : “ce n’est pas une menace mais on connaît ta mère, ta soeur. On sait où elles habitent.” »

    (1) Prénom modifié pour préserver l’anonymat du témoin.

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER