Abdelkrim, qu’est-ce qui a poussé les jeunes à sortir dans la rue en Algérie ?
La situation était tendue cette année. L’augmentation des prix n’en a été que le détonateur. Le terreau était là : frustrations, privations de liberté, captation des richesses. Le système est en panne. On a parlé du chômage. Ce qui est problématique ce n’est pas sa quantité mais sa nature. Ce sont de jeunes diplômés : quelqu’un qui a fait des études mais qui n’a pas de perspectives, qui est là à tourner dans le quartier… Il y a eu aussi un laminage (sic) des couches moyennes, une exclusion des élites intellectuelles, des ingrédients qui font qu’à la moindre étincelle, ça s’embrase. Les émeutiers avaient entre 16 et 24 ans, ce qui est très significatif.
« Le pouvoir joue une ouverture maîtrisée »
On a beaucoup parlé des restrictions qui visaient les vendeurs ambulants
Les événements ont commencé mercredi ( le 12 janvier, ndlr ) sur Oran puis à Bab El Oued ( Ouest d’Alger, ndlr ). La veille il y avait des rumeurs comme quoi la police allait embarquer tous les vendeurs à la sauvette, ça a été l’élément déclencheur. Le gouvernement avait pris récemment des mesures contre le commerce informel, notamment une qui obligeait toutes les transactions de plus de 500.000 dinars (environ 5.000 euros) a être faites par chèque. Donc une obligation de transparence et de traçabilité. Il faut savoir que le commerce informel est une activité mafieuse et qu’il représente environ 40% du commerce général. Ça ne leur a pas plu. Le gouvernement est revenu dessus et a répondu à toutes les exigences du secteur: il a levé les obligations de transparence, libéralisé les importations de sucre, d’huile… Comme si on lui cédait.
La « main invisible » du commerce informel a t-elle instrumentalisé le mouvement ?
Je pense que dans un régime qui est fondé sur l’opacité et le verrouillage des libertés publiques, forcément les forces sont invisibles. Il n’y a pas de vie politique réelle et représentative de ce qui se passe dans la société, un espace politique régulateur des conflits. C’est un peu comme dans la mafia, quand les parrains ne s’entendent plus, ils jettent leur colère dans la rue. Ils règlent leur compte par la violence. Je suis convaincu qu’on a poussé les jeunes dans la rue pour faire céder le gouvernement et il a cédé. Ce sont des groupes mafieux qui dirigent le commerce informel. Les émeutes sont cependant spontanées, il n’a fallu pour eux que de provoquer pour que ça éclate. Mais au bout de 4 jours, cela s’est brusquement arrêté, dès qu’il y a eu en fait le communiqué qui réglait les problèmes techniques.
Abdelkrim Djilali – Le CV
1981-1995: Journaliste à Algérie Actualité, Hebdomadaire national
1993-1995: Directeur général d’Algérie Actualité
1995-1997: Journaliste indépendant, Grand reporter au quotidien El Watan.
1996: publication d’une série de reportages intitulée « Le temps des patriotes » sur la résistance au terrorisme dans plusieurs régions du pays. Traduits et publiés simultanément par le quotidien El Khabar.
1997: publication d’un récit de voyage en reportage feuilleton intitulé « Les chercheurs de désert »
1998: Se lance dans la production et la réalisation audiovisuelle
A voir, à lire :
« Dessines moi une orange », documentaire de 52 min réalisé durant le Ramadan 1997 avec les témoignages d’enfants de Haouch Gros près de Boufarik
« Ali Hefied, un photographe du théâtre algérien », livre d’art. Casbah Edition
« Le refuge Gourara » texte paru dans le cadre d’un ouvrage collectif consacré au patrimoine algérien intitulé « Algérie universelle »
A part ce communiqué qui revenait sur les réformes du commerce informel, il y a t-il eu d’autres réponses du pouvoir ?
Pour le moment non, mais j’ai cru comprendre que la réflexion était ouverte. Il y a 4 jours, lors d’une manifestation citoyenne à Aïn Benian (quartier d’Alger), la police est intervenue pour arrêter les organisateurs. Ils ont été relâchés avant hier sans aucunes charges. Ce sont des mesures d’apaisement. Le pouvoir joue une ouverture maîtrisée. C’est le scénario vers lequel on va aller. Nous en avons les capacités. L’Algérie a une histoire politique très complexe et souvent chargée de violences, mais après 15 années de guerre, les Algériens sont épuisés. Je pense que ces émeutes ont réveillé les consciences. Il y aura à l’avenir des initiatives citoyennes pour faire avancer les choses.
Est ce qu’il y a eu des tentatives de reprises politiques du mouvement ?
Si on fait une comparaison avec les émeutes d’octobre 1988, les islamistes avaient la capacité alors de mobiliser. Mais ces dernières années, du fait des dérives terroristes, ils ne sont plus crédibles, et ils n’ont plus les mêmes capacités. On ne les a pour ainsi dire pas vus lors de ces émeutes. Mais ce serait bien que l’on passe de la violence au dialogue politique. De toute façon le régime est obligé de lever la soupape. Ils ne vont pas céder sous la pression, ils vont laisser passer un peu de temps. Mais le message a été compris avec des émeutes de cette ampleur, de cette intensité, rapides, brèves et profondes…
En France les journalistes commencent à rêver à un mouvement de révolte général dans le monde arabe. Entre la Tunisie et l’Algérie, les situations sont-elles comparables ?
Les deux pays ont des histoires très différentes. En Tunisie, il y aura un bouleversement en profondeur de cet état policier. Cela me rappelle les événements d’octobre 1988 en Algérie (…)
Politiquement et économiquement les deux mouvements sont sur la même lignée. Les deux revendiquent des réformes du champ politique et économique : la répartition des richesses, que les gens puissent s’exprimer, être représenter légitimement…Tout le drame de ces pouvoirs illégitimes, c’est que leur moyen de gouvernance est basé soit sur la manipulation, soit sur la répression… Je crois que le glas a sonné pour ces modes de gouvernement.
« Le glas a sonné pour ces modes de gouvernement »
« Dans un régime qui est fondé sur l’opacité et le verrouillage des libertés publiques, forcément les forces sont invisibles »
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER