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    17/01/2011

    L'ex-grand reporter à El-Watan Abdelkrim Djilali est convaincu que « les groupes mafieux qui dirigent le commerce informel » ont « provoqué » l'embrasement

    Émeutes en Algérie: « C'est un peu comme dans la mafia quand les parrains ne s'entendent plus »

    Par Leïla Yaker

    Pour Abdelkrim Djilali, il a fallu attendre que le gouvernement s'en prenne aux intérêts de «la mafia du commerce informel» pour que la contestation éclate. Parce que «dans un régime fondé sur l'opacité, les forces sont forcément invisibles».

    Abdelkrim, qu’est-ce qui a poussé les jeunes à sortir dans la rue en Algérie ?

    La situation était tendue cette année. L’augmentation des prix n’en a été que le détonateur. Le terreau était là : frustrations, privations de liberté, captation des richesses. Le système est en panne. On a parlé du chômage. Ce qui est problématique ce n’est pas sa quantité mais sa nature. Ce sont de jeunes diplômés : quelqu’un qui a fait des études mais qui n’a pas de perspectives, qui est là à tourner dans le quartier… Il y a eu aussi un laminage (sic) des couches moyennes, une exclusion des élites intellectuelles, des ingrédients qui font qu’à la moindre étincelle, ça s’embrase. Les émeutiers avaient entre 16 et 24 ans, ce qui est très significatif.

    « Le pouvoir joue une ouverture maîtrisée »

    On a beaucoup parlé des restrictions qui visaient les vendeurs ambulants

    Les événements ont commencé mercredi ( le 12 janvier, ndlr ) sur Oran puis à Bab El Oued ( Ouest d’Alger, ndlr ). La veille il y avait des rumeurs comme quoi la police allait embarquer tous les vendeurs à la sauvette, ça a été l’élément déclencheur. Le gouvernement avait pris récemment des mesures contre le commerce informel, notamment une qui obligeait toutes les transactions de plus de 500.000 dinars (environ 5.000 euros) a être faites par chèque. Donc une obligation de transparence et de traçabilité. Il faut savoir que le commerce informel est une activité mafieuse et qu’il représente environ 40% du commerce général. Ça ne leur a pas plu. Le gouvernement est revenu dessus et a répondu à toutes les exigences du secteur: il a levé les obligations de transparence, libéralisé les importations de sucre, d’huile… Comme si on lui cédait.

    La « main invisible » du commerce informel a t-elle instrumentalisé le mouvement ?

    Je pense que dans un régime qui est fondé sur l’opacité et le verrouillage des libertés publiques, forcément les forces sont invisibles. Il n’y a pas de vie politique réelle et représentative de ce qui se passe dans la société, un espace politique régulateur des conflits. C’est un peu comme dans la mafia, quand les parrains ne s’entendent plus, ils jettent leur colère dans la rue. Ils règlent leur compte par la violence. Je suis convaincu qu’on a poussé les jeunes dans la rue pour faire céder le gouvernement et il a cédé. Ce sont des groupes mafieux qui dirigent le commerce informel. Les émeutes sont cependant spontanées, il n’a fallu pour eux que de provoquer pour que ça éclate. Mais au bout de 4 jours, cela s’est brusquement arrêté, dès qu’il y a eu en fait le communiqué qui réglait les problèmes techniques.

    Abdelkrim Djilali – Le CV

    1981-1995: Journaliste à Algérie Actualité, Hebdomadaire national
    1993-1995: Directeur général d’Algérie Actualité
    1995-1997: Journaliste indépendant, Grand reporter au quotidien El Watan.
    1996: publication d’une série de reportages intitulée « Le temps des patriotes » sur la résistance au terrorisme dans plusieurs régions du pays. Traduits et publiés simultanément par le quotidien El Khabar.
    1997: publication d’un récit de voyage en reportage feuilleton intitulé « Les chercheurs de désert »
    1998: Se lance dans la production et la réalisation audiovisuelle

    A voir, à lire :

    « Dessines moi une orange », documentaire de 52 min réalisé durant le Ramadan 1997 avec les témoignages d’enfants de Haouch Gros près de Boufarik
    « Ali Hefied, un photographe du théâtre algérien », livre d’art. Casbah Edition
    «  Le refuge Gourara » texte paru dans le cadre d’un ouvrage collectif consacré au patrimoine algérien intitulé « Algérie universelle »

    A part ce communiqué qui revenait sur les réformes du commerce informel, il y a t-il eu d’autres réponses du pouvoir ?

    Pour le moment non, mais j’ai cru comprendre que la réflexion était ouverte. Il y a 4 jours, lors d’une manifestation citoyenne à Aïn Benian (quartier d’Alger), la police est intervenue pour arrêter les organisateurs. Ils ont été relâchés avant hier sans aucunes charges. Ce sont des mesures d’apaisement. Le pouvoir joue une ouverture maîtrisée. C’est le scénario vers lequel on va aller. Nous en avons les capacités. L’Algérie a une histoire politique très complexe et souvent chargée de violences, mais après 15 années de guerre, les Algériens sont épuisés. Je pense que ces émeutes ont réveillé les consciences. Il y aura à l’avenir des initiatives citoyennes pour faire avancer les choses.

    Est ce qu’il y a eu des tentatives de reprises politiques du mouvement ?

    Si on fait une comparaison avec les émeutes d’octobre 1988, les islamistes avaient la capacité alors de mobiliser. Mais ces dernières années, du fait des dérives terroristes, ils ne sont plus crédibles, et ils n’ont plus les mêmes capacités. On ne les a pour ainsi dire pas vus lors de ces émeutes. Mais ce serait bien que l’on passe de la violence au dialogue politique. De toute façon le régime est obligé de lever la soupape. Ils ne vont pas céder sous la pression, ils vont laisser passer un peu de temps. Mais le message a été compris avec des émeutes de cette ampleur, de cette intensité, rapides, brèves et profondes…

    En France les journalistes commencent à rêver à un mouvement de révolte général dans le monde arabe. Entre la Tunisie et l’Algérie, les situations sont-elles comparables ?

    Les deux pays ont des histoires très différentes. En Tunisie, il y aura un bouleversement en profondeur de cet état policier. Cela me rappelle les événements d’octobre 1988 en Algérie (…)
    Politiquement et économiquement les deux mouvements sont sur la même lignée. Les deux revendiquent des réformes du champ politique et économique : la répartition des richesses, que les gens puissent s’exprimer, être représenter légitimement…Tout le drame de ces pouvoirs illégitimes, c’est que leur moyen de gouvernance est basé soit sur la manipulation, soit sur la répression… Je crois que le glas a sonné pour ces modes de gouvernement.

    « Le glas a sonné pour ces modes de gouvernement »

    « Dans un régime qui est fondé sur l’opacité et le verrouillage des libertés publiques, forcément les forces sont invisibles »

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