À Tolbiac, tout se tranche à main levée. « Qui est pour réquisitionner l’amphi ? », lance Arthur, étudiant en master. Ce mardi 4 décembre, ils sont plusieurs centaines à faire irruption dans l’amphi H pour organiser une assemblée générale (AG). Le but ? Discuter des sujets brûlants du moment : augmentation des frais d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers, Parcoursup et gilets jaunes.
Le seul hic : dans l’amphi, il y a cours. Et de maths. Le prof, chemise ciel sur costard marine, bougonne. Les étudiants studieux du premier rang ronchonnent. Et rapidement, les esprits s’échauffent. Agents de sécurité et membres de l’administration refusent que les insurgés utilisent les micros pour s’adresser à l’assemblée. « Quand je suis rentré à l’université, le président disait que c’était un lieu de débat, qu’on y préparait l’avenir », s’insurge Arthur, sweat à capuche rouge sous veste en cuir. Il a troqué le mic pour le mégaphone. « Mais l’avenir, c’est de bosser », éructe un étudiant réfractaire en faisant de grands gestes. Plus loin, une jeune fille en fausse fourrure s’égosille :
« Mais dehors, putain ! »
Les mutins font demi-tour. Quelques slogans séditieux et un autre amphi réquisitionné plus tard, une jeune fille en t-shirt vert inscrit l’ordre du jour sur un grand tableau. L’assemblée générale peut commencer. « Et la fac, elle est à qui ? », scande-t-elle au micro.
Le zbeul
Dans les travées de Tolbiac la rouge, l’heure est à la veillée d’armes. Les longs mois de blocage de l’an dernier n’ont pas entamé la détermination de certains étudiants. Rapidement, le gros mot est lâché : le blocage de la faculté est inscrit sur la liste des mesures à soumettre au vote en fin d’AG. Le « zbeul », bordel, agitation, est sur toutes les lèvres. « On est complètement à la ramasse », lance d’emblée Salah, en L2 d’histoire. Le jeune garçon rougit à mesure que son débit s’accélère. Il embraye, prophétique :
« On a les moyens de faire des trucs. La police est dans le bourbier, ils n’ont plus de lacrymos. Ma proposition : on bloque ! »
Les interventions de ses camarades sont à l’avenant. « Les cortèges étudiants étaient à la pointe l’an dernier, il faut que ce soit le cas cette année », embraye Abel, membre du Poing Levé, un syndicat étudiant de Tolbiac :
« Macron vacille, poussons-le dans le vide. »
« Samedi prochain, c’est le bordel », annonce un jeune étudiant aux mèches blondes :
« Et la semaine prochaine, y’a plus cours. Et ce sera le bordel partout. »
À la tribune, une élève du lycée Claude Monet (13e) met des mots sur la frustration de certains de ses petits camarades :
« Là, ça zbeule un peu partout. À Aubervilliers, à Limoges… Et pas à Paris ? »
Apprendre de ses erreurs
Attention cependant à ne pas mettre la charrue avant les bœufs, tempère Kevin, étudiant en master. Il juge qu’un retour critique sur le blocage de l’an dernier – contre Parcoursup, qui a duré plusieurs mois – est nécessaire :
« Quand on voyait certains de nos porte-parole à la télé, ils ne savaient même pas pourquoi on bloquait ! Il faut faire un travail intellectuel. »
« On est tous un peu frustrés de la manière dont ça s’est fini », prolonge Arthur :
« On s’est un peu enfermés sur nous-mêmes. »
Le jeune homme garde une rancœur tenace à l’égard de la présidence de l’université. Depuis mai, des grilles surmontées de pics ont poussé tout autour du campus, explique-t-il :
« Symboliquement, c’est fort. Ça montre que l’université est en train de se fermer. »
700 personnes en AG à tolbiac pour appeler à rejoindre le mouvement des #GiletsJaunes pic.twitter.com/vrFmCA3SVD
— Anasse Kazib (@AnasseKazib) 4 décembre 2018
Etudiants étrangers
En plus de ces interventions musclées, nombreux sont les étudiants à monter à la tribune pour rappeler l’origine du mouvement : la protestation contre la hausse des frais d’inscription des étudiants étrangers. « Nous venons ici pour étudier. Vous n’avez aucune idée de ce que nous avons laissé derrière nous », rappelle une jeune Tunisienne, visant directement Edouard Philippe.
« La priorité, c’est de se concentrer sur ce qui nous concerne : les frais d’inscription et Parcoursup », renchérit Kevin :
« Il faut soutenir les gilets jaunes mais intégrer nos revendications. »
« On doit manifester pour une fac ouverte et gratuite », appuie lui aussi Arthur :
« C’est pour cela qu’on veut discuter avec les gilets jaunes. »
À 13h41 exactement, le blocage du mercredi 5 décembre est voté à l’écrasante majorité des présents, plus de 800 selon les organisateurs. Rendez-vous est pris à 7h du matin. Devant la fac, les caméras de BFM sont déjà là. La faculté de Censier aurait également voté le blocage.
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