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    22/11/2018

    Burn out, picole et tentative de suicide

    Les naufragés de la Police nationale

    Par Jeanne-Marie Desnos

    Épuisés par des horaires à rallonge, confrontés aux drames et à la violence, de nombreux policiers sont au bord du burn out ou sombrent dans l’alcoolisme. Certains préfèrent rendre le képi. StreetPress est allé à leur rencontre.

    « Je voulais partir avant de me tirer une balle dans la tête », lâche Maud de sa voix douce à l’autre bout du fil. Après seulement 11 mois dans la police, la jeune femme a fini par trouver son équilibre, loin des stands de tir et de la chaude ambiance des commissariats de banlieue parisienne. Dans un village de 300 habitants, cette Bretonne d’origine aspire désormais à une « vie posée » et des « horaires plus calmes ». Elle a troqué l’uniforme pour un poste dans la fonction publique territoriale. « Je suis 10.000 fois plus heureuse aujourd’hui », confie-t-elle finalement. Elle qui rêvait d’intégrer un jour le prestigieux 36, quai des orfèvres regardera toujours son passage chez les bleus avec un pincement au cœur.

    Thomas, 32 ans et ex-PJ, vient lui aussi de se mettre en disponibilité. Privilège de la fonction publique oblige, pendant 10 ans, il peut réintégrer le service quand il veut. « Le but n’est vraiment pas d’y retourner » poursuit-il, déterminé. Après 12 ans passés dans divers services de police en région parisienne, il est retourné vivre dans son village. Une petite station balnéaire du nord de la France, où il travaille dans le club de tennis du coin, dirigé par son père. Il ne regrette rien.

    Les maux bleus

    Comme eux, Alan, Laurent et Nicolas ont récemment fait leurs adieux à l’uniforme. Pour tous, ce changement d’aiguillage a été subi, bien plus que choisi. « Quand je suis entré dans la police, j’étais fier de travailler pour mon pays », résume ainsi Laurent, ancien d’une brigade anti-criminalité de région parisienne, aujourd’hui gérant de plusieurs salles de sport dans le sud de la France :

    « Au final, on nous en dégoûte. »

    Le 12 novembre 2018, la policière Maggy Biskupski se donnait la mort avec son arme de service. Des mois durant, la jeune femme avait été la chef de file des policiers en colère, un collectif qui dénonçait les conditions de travail des bleus. Cette année, elle est devenue, d’après le Parisien, la trentième fonctionnaire à se suicider.

    Dans la police, nombreux sont ceux qui lâchent l’uniforme à peine embauchés. Les raisons invoquées ? Des horaires infernaux, des missions violentes, un management inique et trop peu de suivi psychologique… « Souvent l’information [que des cellules de soutien psychologique existent] n’est pas transmise », regrette Bruno, 40 ans passés, dont 17 dans la police. Du côté de la Direction générale de la police nationale (DGPN), sans minimiser le phénomène, on affirme que la maison fait ce qu’elle peut pour accompagner les policiers qui veulent changer de branche (moins de 1.000 par an) :

    « La Mission de reconversion et de réaccompagnement de la police accompagne le fonctionnaire qui souhaite quitter l’administration. Il a la possibilité de demander un entretien de carrière. »

    Pour comprendre le mal-être de la maison bleue, StreetPress est allé à la rencontre de ces policiers en pleine crise de la vocation.

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    Des CRS à Toulouse en 2014 / Crédits : Jean-Marc Aspe

    Des idéaux ébranlés

    Généralement, la découverte du métier de flic se déroule bien. Galvanisés et fiers d’intégrer la grande famille de la police, les bleuets sont « solidaires et très proches les uns des autres » selon Maud, qui évoque cette période avec nostalgie. Puis, la réalité du terrain s’impose avec force. La jeune femme ironise :

    « [Dans mon cas] la bulle des Bisounours s’est rapidement percée. »

    Rapidement, les jeunes fonctionnaires sont confrontés au pire. « Dans les missions de Police-Secours, on est en relation directe avec la mort », explique Pablo. À Barbès, alors qu’il sirote un Perrier, le grand brun aux yeux sombres, barbe de 3 jours sur col roulé noir, ne perd jamais de vue l’agitation du carrefour. Alors qu’il était encore en formation, il a été témoin d’une scène qui le hante encore. Sur le bord d’une route nationale, une femme découvre le corps de son mari décapité dans un accident :

    « L’école ne nous prépare pas à ça. »

    À 40 ans passés, dont 17 dans la police, Bruno a aussi connu son lot d’expériences traumatisantes. « Des morts tous les jours », par exemple, lors de l’été de la canicule, égrène-t-il devant un petit noir. Mais les pires interventions sont celles où « tu prends conscience que tu es le dernier vivant que la personne voit » lâche l’homme. Dans une cafétéria sans âme de la proche banlieue parisienne, il évoque avec émotion ce jour où un déséquilibré s’est mis à poignarder au hasard des badauds dans la rue, faisant 6 blessés et 1 mort. Tentant de rattraper l’agresseur, Bruno avait croisé la route de la victime :

    « Le mec s’était relevé devant moi. Il avait ses tripes dans la main »

    Lâcher prise

    Son pire souvenir, Bruno finit par nous le raconter par mail. Encore stagiaire, son équipe est appelée pour une crise de manque de drogue. Sur place, il tombe sur un couple de toxicomanes. Madame, « une campagne de prévention contre l’alcool à elle toute seule », monsieur, « en sueur et qui se tortille » ainsi qu’une petite fille d’environ 4 ans, « rachitique ». Des ordures jonchent le sol, des seringues traînent ça et là. Quand Bruno s’inquiète de la santé de l’enfant, sa mère répond mollement :

    « Oh, elle a déjà attrapé le sida elle aussi. Elle a joué avec une seringue. »

    Pendant 11 ans, cette histoire est restée enfouie dans la mémoire de Bruno. Quand sa fille fête son quatrième anniversaire, la bombe à retardement finit par exploser. « Je me revois m’isoler, trembler, pleurer » écrit le père de famille, visiblement encore chamboulé :

    « Ma fille est un peu plus grande désormais, le spectre de cette intervention revient moins souvent, mais parfois je saigne »

    L’alcool comme exutoire

    « C’est un métier bourré d’adrénaline, de tension. On a tous besoin d’un sas de décompression, qui prend bien souvent la forme d’un debriefing autour d’un verre », emboîte Pablo. De fait, l’alcool est un problème récurrent parmi les troupes. Certains en abusent pour tenir. Tous racontent qu’elle fait partie de la culture de la boîte. Le jeune flic embraye sur le souvenir d’un stage dans les Pyrénées-Orientales :

    « L’apéro commençait à 9h du mat’ : rouge, camembert et saucisson. »

    De son passage à la police judiciaire, Thomas se souvient, lui, d’un supérieur particulièrement porté sur la bouteille :

    « Il partait s’arsouiller le midi avec les véhicules de service et revenait vers 16-17h complètement saoul. Il traitait régulièrement les victimes de putes, tenait des propos nazis, était à la limite de l’agression sexuelle avec les collègues féminines… »

    L’alcool comme béquille, Nicolas l’a vécu personnellement. « J’étais au bord du gouffre, j’avais besoin de trouver des échappatoires », justifie-t-il :

    « Ça a commencé une fois par semaine, mais c’est vite devenu quotidien. »

    Burn out

    À ce quotidien déjà pesant, il faut ajouter les horaires infernaux que subissent les recrues pour pallier le manque d’effectifs. « Il m’est arrivé de ne pas dormir pendant 44 heures », explique Thomas. Jules, aux stups, évoque les mêmes cadences infernales. À cause de ce rythme effréné, il a fini en burn out :

    « À la fin, je faisais le travail de trois personnes à temps plein. C’est là que j’ai craqué. »

    « Pour l’administration, ce burn out, c’était de ma faute. Ils ne se sont pas remis en question », poursuit-il. Quelques semaines plus tard, le jeune homme a fait une « attaque cardiaque due au stress et à la fatigue ». En 10 jours, il avait travaillé 120 heures.

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    Garde à vous / Crédits : CC

    Les familles trinquent

    La copine de Jules a finalement tiré la sonnette d’alarme. Elle l’a forcé à se mettre en arrêt :

    « J’avais perdu 10kg, je ne fermais plus l’œil de la nuit, j’avais constamment la boule au ventre, j’étais devenu extrêmement irritable. »

    Pour beaucoup, le couple est un soutien, mais le métier met souvent en péril ces relations. Si Thomas a quitté la police, c’est explicitement pour sauver son couple. « Avec ma femme, on passait nos journées à s’engueuler. Si je ne quittais pas mon poste, c’était le divorce assuré ». Pire que tout pour le trentenaire, qui craignait de ne plus voir ses filles :

    « Si tu me les enlèves, je tiens 3-4 mois, pas plus. Et avec l’arme de service, tu as forcément des idées noires qui te traversent l’esprit… »

    Alan, lui, est entré dans la police à un moment difficile. « J’ai intégré un service des plaintes du nord de Paris au moment de Charlie, j’en suis sorti quand c’était le Bataclan ». Son couple a du mal à résister à la pression constante mais aussi aux menaces permanentes :

    « Elle n’a pas supporté les appels au meurtre qui circulaient sur les réseaux sociaux et les consignes spéciales de sécurité. »

    Elle lui intime de quitter la police et de revenir vivre en province.

    Aucun regret

    En poste à Paris, Alan n’a pas réussi à se faire muter dans le sud de la France. Il a fini par abdiquer. C’est à reculons qu’il est redevenu infirmier en psychiatrie, renouant avec son ancienne carrière :

    « Je n’ai pas encore fini de faire le deuil du métier de flic que j’adorais. »

    Changer de voie quand on est flic n’est pas un long fleuve tranquille. Maud, de son côté, a dû enchaîner les petits boulots. À défaut d’avoir travaillé 5 ans dans la police, la jeune femme doit rembourser une partie du coût de sa formation au ministère de l’Intérieur. Nicolas, pour sa part, a dû retourner vivre chez sa mère. Il s’est lancé dans une carrière de magnétiseur :

    « C’est merveilleux de faire du bien aux gens. »

    Thomas ne retournerait dans la police « pour rien au monde ». Pire, il regrette de « ne pas avoir arrêté plus tôt ».

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