Le rendez-vous est pris sur le parking Friedland à 12h17 précises. Pierrick, aka « amg csp » sur son compte Instagram suivi par 1 372 abonnés, a attrapé le premier métro, à peine son cours d’histoire terminé. Un survêtement griffé du sigle BMW, capuche vissée sur la tête, le jeune garçon de 14 ans d’ordinaire timide semble excité :
« C’est la première fois que je rentre dans ce parking. Il faut absolument y aller, j’ai vu sur Insta qu’il y avait une Bugatti Veyron SS en ce moment. C’est la première fois que j’en vois une ! »
Dix minutes plus tard, après avoir enjambé les barrières de sécurité, emprunté le passage réservé aux véhicules, il scrute une à une toutes les voitures du parking. L’adolescent tombe nez à nez avec l’impressionnant bolide, retourne son sac à dos sur son ventre et dégaine son iPad : « Wouah, elle est magnifique ! Ça donne envie de rentrer dedans et de la conduire. C’est vraiment dommage de ne pas pouvoir la poster sur Insta… Je vais quand même la prendre sur Snap pour mes potes. » Si Pierrick ne peut pas poster sa photo sur Insta, c’est qu’il se trouve dans un parking privé appartenant à la famille royale d’Arabie Saoudite. D’autres, passés avant lui, se seraient fait détruire leur appareil photo. Une poursuite judiciaire aurait même été lancée contre eux. « Moi je me suis juste fait engueuler par une femme de ménage une fois », se marre l’adolescent insouciant, pressé tout de même de remonter à la surface.
Pierrick est un car-spotteur : un chasseur de voitures de luxe aux gros moteurs. Tous les midis depuis un an, muni de son iPad et d’une trottinette, il arpente les rues du Triangle d’Or à la recherche des voitures les plus rares de la capitale, pour les photographier et partager le cliché sur Instagram. Ils seraient une centaine de collégiens, comme lui, à partager cette passion. Si dans d’autres pays, certains sont devenus de véritables stars des réseaux sociaux, en France le concept reste encore confidentiel mais a tout pour devenir un nouveau phénomène. Les plus connus alexmolik ou fipeux ont déjà dépassé les 50.000 fans. « À l’étranger, certains gagnent déjà leur vie grâce aux vidéos de car-spotting qu’ils postent sur YouTube. Ça nous donne des idées et on va être plus nombreux, c’est sûr », explique Eitan, un autre car-spotteur qui affiche 1.510 abonnés sur Instagram. « Mes parents me demandent pourquoi je ne vends pas mes photos aux conducteurs. » Depuis peu, le jeune adolescent originaire de Neuilly a noué des contacts avec une trentaine de propriétaires intéressés par ses clichés.
Capture d'écran du compte d'Eitan / Crédits : DR
Gadins sur les Champs
« Ne sois pas surpris si je me mets à courir, c’est que je viens de voir un truc de ouf sur Insta », prévient Eitan, ou plutôt e.a spottt, son pseudo sur Insta. « La voiture la plus rare que j’ai vue à Paris, c’était une Lamborghini Centenario à l’Hôtel Monceau. Quand j’ai appris ça, je me suis mis à taper un sprint sur les Champs avec mes potes. On s’est cassé la gueule trois fois ! Au final, on était 50 car-spotteurs à s’être retrouvés devant. J’avais jamais vu un tel bordel », se marre-t-il. À ses côtés Armael, 13 ans, est moins exubérant. Le gamin de bonne famille assiste Eitan. « Lui, il a un vélo donc il va beaucoup plus vite pour couvrir les distances. Quand il en voit une, il vient me chercher. C’est cool, on est complémentaires », justifie Eitan :
« Mon père va me voir si je te suis au Crillon. Je suis censé être à la maison pour faire mes devoirs. »
Du haut de ses 15 ans, Eitan connaît chacune de ses cibles sur le bout des doigts. Une Chevrolet Camaro passe devant nous. L’adolescent y prête à peine attention. « Celle-là, on la voit tout le temps. Je suis blasé, je vais pas la prendre », souffle-t-il avant de nous expliquer en détail ce qu’il recherche. « Elles sont de deux types : les supercars type Ferrari, Porsche. Et ensuite il y a les hypercars plus rares, type Lambo ou Pagani. »
« Chaque car-spotteur a sa spécialité », renchérit Pierrick. Certains préféreront une voiture rare avec une amélioration unique, d’autres joueront sur des prises de vue ou des lieux de « spot » bien précis. Pour Quentin, un autre car-spotteur tout juste majeur, c’est « Place du Trocadéro avec les hôtels pas trop loin, comme le Peninsula et le Shangri-La. Après il y aussi le côté des Tuileries avec le Ritz, le Crillon. » Ils se concentrent pour la plupart sur un terrain de jeu bien défini qui se situe aux abords des Champs et de ses avenues perpendiculaires, de George V à Marceau.
Fidèle à son poste / Crédits : Baptiste Denis
Rabiot, Radoudou et hashtag
Ces petits chasseurs en herbe opèrent dans les quartiers les plus luxueux de la capitale, où gravite une ribambelle de personnes fortunées. « L’autre jour, j’ai pris en photo une GLE 63S AMG, un mec est sorti, c’était Adrien Rabiot. Il m’a demandé pourquoi je l’avais pris en photo. Quand je lui ai expliqué, il a compris et m’a laissé faire », raconte, impassible, Pierrick, habitué à croiser les joueurs du PSG en balade sur les Champs, mais sans leur vouer le même culte que pour les supercars.
Rien qu’en suivant pendant quelques heures ces jeunes garçons, nous avons eu le temps de rencontrer plusieurs influenceurs aux centaines de milliers de vues sur la toile. Eitan entame une discussion avec le youtubeur Radoudou13 au 300.000 abonnés. Plus tard, c’est Pierrick qui attend de pied ferme Akram, un influenceur connu pour exhiber ses belles voitures sur Instagram. « J’ai déjà réussi à passer dans une de ses vidéos. Il est vraiment hyper sympa. Souvent, il me laisse monter dans sa voiture et on va faire un petit tour » :
« Il ne faut vraiment pas croire qu’on est en concurrence, bien au contraire. »
À la manière des chasseurs de Pokémons, les car-spotteursne cherchent pas à rentrer en compétition les uns contre les autres mais bien de s’entraider. Leur groupe privé Facebook – 350 membres actifs, est une véritable mine d’or pour trouver les derniers « spots ». Le hashtag #liveupload est le fil d’actualité à suivre sur Instagram avant de se lancer à la chasse. « On s’entend tous bien. Après, il y en a toujours un ou deux qui se mettent devant toi quand tu prends une photo ou qui ne cherchent que les likes. »
Avant de se quitter pour retourner dans son collège près de la gare Montparnasse, Pierrick concède ne pas savoir vraiment ce qu’il voudra faire plus tard. « De toute façon, ce sera dans le secteur de l’automobile. » Eitan, a une idée plus précise : « Mon père m’a inculqué cette passion pour l’automobile. Je veux faire pareil, mais plutôt dans le design. »
Après plus de 20 minutes à shooter sous tous les angles une McLaren 720S garée devant l’hôtel Crillon, le garçon, jamais avare d’anecdotes, s’éclipse. Le vrombissement d’un gros moteur à proximité a joué le rôle d’un aimant. Et pas grave si la pluie redouble sur l’imposant l’adolescent en short. « Faut que j’y aille, personne ne l’a encore prise celle-ci. Et j’avoue, parfois, j’ai envie de garder mon spot pour moi ! »
Article en partenariat avec le CFPJ.
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