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    06/07/2018

    « À Paris, il n’y en a pas un seul d’aussi authentique »

    Au Chinatown, le plus grand karaoké de Paris

    Par Stéphane Joly

    Bienvenue au Chinatown de Belleville, l'un des plus grands et plus anciens karaokés de Paris. Il attire depuis 30 ans chanteurs anonymes, teufeurs, et amateurs de biture pas chère. Le tout sous la houlette de Jean-Pierre, le DJ. Magneto.

    Paris 10e – « Ici, c’est comme à la Sécu, faut prendre un ticket pour faire la queue. Et ici, elle est très grosse et longue. » Au micro du Chinatown de Belleville, dans le 10ème arrondissement parisien, Jean-Pierre, l’animateur du karaoké le plus atypique de Paris, se lâche. Il est déjà 23h passées et les gens continuent d’affluer jusqu’à sa cabine pour lui tendre les noms de leurs titres préférés.

    Avec une capacité de 400 places assises, le Chinatown est le plus grand et l’un des tout premiers karaokés de Paris. « C’est un ancien gymnase, décrit le superviseur des lieux. Les parents du propriétaire l’ont acheté en 1988 pour en faire un restaurant. Deux ans plus tard, c’est devenu un karaoké. »

    Ancien menuisier-ébéniste reconverti en animateur DJ, Jean-Pierre Rujacot travaille ici depuis 2013 : « J’imagine que vous avez remarqué la déco ! » En effet, comment parler du Chinatown sans l’évoquer. Une salle à la profondeur sans fin, du marbre plus clinquant que la galerie des glaces du château de Versailles, mais sans aucune finesse. Et puis, du rouge partout, comme si vous vous retrouviez par hasard au mariage du président du parti communiste chinois, à Las Vegas, avec des décors made in Taiwan.

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    Jean-Pierre, champion du monde / Crédits : Kélig Briand

    Laissez-moi danser

    Tiphanie, 27 ans, se souvient du jour où elle est arrivée au Chinatown pour la première fois :

    « Au début, il y a trente minutes de gêne où tu te demandes ce que tu fais là. Pourquoi il y a des nappes blanches, pourquoi il y a des gens qui chantent… Mais tu t’en fous ! »

    Juste à côté de Tiphanie, alors que YMCA des Village People résonne, sa pote Fanny confirme :

    « Quand tu cherches un karaoké à Paris, il n’y en a pas un seul d’aussi authentique. Au Chinatown, tu viens, tu chantes devant tout le monde et c’est parti ! Ici, personne ne te juge. Après, faut dire aussi que le gin tonic n’est pas trop cher non plus, si tu vois ce que je veux dire… »

    Depuis, Fanny et Tiphanie sont devenues des habituées. Elles reviennent chaque semaine. Jean-Pierre les a bien sûr repérées, installées avec leurs amis à la table 11. « Je les vois souvent, elles sont marrantes. C’est un lieu phare qui attire même certaines célébrités. Cœur de Pirate est venue il y a trois semaines, mais aussi Daphné Bürki et toute l’équipe de Canal, Bruno Salomone, Smaïn… », frime le maître des platines. A tel point que Franck Dubosc est venu avec ses caméras l’année dernière pour y tourner son dernier film (Tout le monde debout, avec Alexandra Lamy).
    Anniversaires, enterrements de vie de jeune fille ou de garçon… Les clients du Chinatown viennent de tous horizons, explique Jean-Pierre :

    « En semaine, ce sont des employés qui sortent du taf et ont envie de se défouler. Des fois, ils sont très cons, surtout en fin de soirée avec la picole. Heureusement qu’il y a les Uber. »

    Gigi l’amoroso

    L’animateur s’arrête. Une femme veut des tickets et la liste des chansons disponibles au Chinatown. « Tu es gourmande toi ! », lâche l’homme de sa petite cabine. Il est comme ça Jean-Pierre. Quand une tête ou un bras se présente à sa fenêtre, il y va toujours de sa petite facétie. Mais la chanteuse improvisée du début de soirée ne se débine pas :

    « Ah ben, maintenant, j’en veux. »

    Jean-Pierre est content, son petit mot a fonctionné. « Coquinette ! glisse-t-il. C’est sympa quand les gens ne prennent pas la mouche. »

    Les interruptions seront nombreuses au cours de la soirée. Même les petites ados du samedi soir ne sont pas épargnées : « Tes parents t’ont encore laissé sortir ce soir ? » Ou cette jeune femme de vingt ans sa cadette qui lui ramène son ticket bien rempli : « Aaaaah… Laisse-moi t’aimer ! (NDLR : de Mike Brant). » Malicieuse, celle-ci lui glisse un « peut-être » pour son plus grand plaisir.
    Nostalgique, Jean-Pierre ouvre un vieux carton avec la mention « laser karaoké » et en tire une sorte de 33-tours :

    « Est-ce que tu connais ça ? Le karaoké s’est démocratisé dans les années 1990 avec l’arrivée du laser-disc. A l’époque, il fallait enlever la fausse voie au bon moment avec une télécommande. Une révolution. Moi, j’ai commencé avec les VHS. Je rembobinais les cassettes à toute vitesse pendant les chansons et parfois la bande restait bloquée. C’était le bordel ! »

    Aujourd’hui, Jean-Pierre programme ses chansons en trois clics de souris. Et il se permet même parfois un petit tour de piste : « La scène, c’est le rêve de tous les animateurs DJ. » Moment de gloire éphémère du chanteur contrarié, souvent interrompu par l’arrivée… d’un nouveau ticket !

    L’animateur le retourne et découvre l’œuvre d’art du jour : un pénis dessiné au stylo avec la mention « Fuck you ». La fille rougit, s’excuse : « Désolée, je n’avais pas vu. Je crois que ce dessin m’était adressé. » Et repart. « On a de tout ici, s’amuse-t-il. Il y en a qui t’écrive le nom de leurs chansons sur du papier cul, parfois même sur des morceaux de table. Quelquefois, il y a aussi des numéros de téléphone écrits au dos. Mais bon, c’est plus rare… »

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    Laissez tomber les petits papiers / Crédits : Kélig Briand

    Les démons de minuit

    Il est presque une heure du matin. La soirée touche à sa fin. Les gens se lâchent. Quelqu’un vient de casser un micro à « 650 euros » et un jeune homme monte sur scène avec ses amis. Il tient dans sa main un verre plein et Jean-Pierre se fait entendre depuis les hauts parleurs : « Toi avec ton polo à rayures, pose ton verre s’il te plait. » Il saute partout sur un tube de Yelle.

    Blasé, le superviseur des lieux jette un dernier regard, las, sur la chorégraphie la plus improvisée de la soirée :

    « Au début, ça va. C’est après que ça devient n’importe quoi. »

    Article en partenariat avec le CFPJ.

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