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    09/05/2018

    Culottes sales, photos de teub et textos insistants

    Drague lourde et harcèlement sexuel sur Leboncoin

    Par Timothée de Rauglaudre

    Sur Leboncoin, Justine et Sarah proposent des cours particuliers. Eugénie vend des fringues, Camille des manuels scolaires. Entre photos de pénis, propositions de fétichistes et harcèlement sexuel, elles reçoivent des messages inappropriés par dizaines.

    À chaque rentrée, Justine, 24 ans, poste des annonces en ligne pour proposer des cours particuliers. D’ordinaire, elle passe par des sites spécialisés. Mais l’an dernier, elle a décidé de se mettre sur Leboncoin, « parce que t’as pas mal de visibilité » :

    « En deux jours, j’ai reçu dix-quinze messages de numéros différents. »

    Pas un seul n’est sérieusement à la recherche de cours. Dans le flot de textos, un mec lui écrit « Salut ma belle, tu fais quoi ce soir ? », accompagné d’un selfie. Un autre se décrit ainsi : « la trentaine, brun aux yeux bleus ». D’autres, encore, lui demandent si elle a « des cours différents, pour adulte » et… envoient une photo de bite. Justine finit par supprimer son annonce et se promet de ne plus jamais mettre les pieds sur le site :

    « Leboncoin est plein de “freaks”. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/bon_coinbis.jpg

    Bonne ambiance... /

    Freak show

    Les jeunes femmes qui utilisent le site aux 27,6 millions de visiteurs par mois sont nombreuses à croiser la route de ces « freaks ». Eugénie, 22 ans, poste souvent des annonces pour vendre des fringues. Elle reçoit régulièrement des messages de pseudo-photographes qui se révèlent être des fétichistes. Un jour, alors qu’elle vend des sandales, un homme lui demande une photo portée, avant de se présenter comme un « photographe amateur sur le thème des pieds féminins » et de lui proposer un shooting, qu’elle décline. « Dommage, vos pieds sont magnifiques », conclut-il.

    La proposition faite à Noémie, 26 ans, alors qu’elle cherchait à donner des cours de biologie et de chimie pour financer un projet, est d’une autre nature :

    « Il m’a demandé si je cherchais un travail étudiant et m’a dit que c’était un peu particulier. Il voulait me masser les pieds et me payer pour ça. »

    Une copine à elle, qui participe au même projet, reçoit un message lui proposant de racheter ses sous-vêtements sales.

    Quand la drague lourde laisse place au harcèlement

    Parfois, les propositions bizarres laissent place à la drague lourde, voire au harcèlement. Camille en a fait l’expérience il y a deux ans, lorsqu’elle a posté une série d’annonces pour revendre des manuels scolaires et du matos multimédia :

    « Je me suis fait harceler plusieurs fois par des mecs qui m’appelaient de partout dans le monde pour me demander quel âge j’avais, si je voulais passer une soirée avec eux. Il y a même un mec qui m’a demandé mes tarifs sexuels. »

    Quant à Sarah, elle a 20 ans quand elle poste une annonce d’aide aux devoirs, « pour me faire un peu de thune ». Influencée par la petite note glissée dans le formulaire d’inscription « Une annonce avec photo est sept fois plus consultée qu’une annonce sans photo », l’étudiante poste un cliché de son visage. Le premier homme qui l’appelle lui explique que sa femme, étrangère, veut apprendre le français. Au fil de la discussion, le malaise s’installe :

    « Ma femme et moi on vous trouve très jolie sur votre photo, surtout ma femme. Je précise qu’elle est bisexuelle, j’espère que ça ne vous dérange pas. »

    Le phénomène est le même avec le numéro de téléphone, que la plateforme conseille d’afficher pour être plus facilement contacté. « Mais en fait si tu fais ça, t’attires les rapaces », explique Élise, 22 ans. Elle a utilisé Leboncoin deux fois dans sa vie, en 2016 et 2017, pour chercher un appart’. La première fois, sur dix réponses, six étaient « des mecs qui cherchaient à choper ». La deuxième fois, « c’était moit’-moit’ ». Certains attaquent direct en lui proposant de prendre un verre ou en disant chercher « une vraie relation sérieuse ». D’autres lui font miroiter une place en coloc, réelle ou bidon, avant de dévoiler leur jeu. Un jeune homme lui envoie par exemple des photos de son appart’, puis change de registre, ponctuant ses messages d’emojis “clin d’oeil” :

    « Par contre je suis célib’ donc je fais des soirées parfois le week-end.
    – T’inquiète, pas de souci.
    – Et toi, tu es célibataire ?
    – Yes.
    – C’est paradoxal pour une fille aussi belle. C’est quoi ton genre de mec ? »

    Élise arrête alors de répondre. « Je suis un peu naïve. J’ai du mal, dans ces cas-là, à comprendre le moment de bascule. » Le mec continue de lui envoyer des textos, presque chaque jour, pendant près de deux semaines. « Tu peux m’envoyer une photo entière de toi ? C’est trop demandé ? » Un autre jeune homme qui lui propose une place dans sa coloc lui demande si le fait qu’il soit un mec est « gênant » :

    « Non, tant que tu es respectueux.
    – Ce qui concrètement veut dire quoi pour toi ?
    – Respect de l’intimité.
    – En clair plutôt un mec gay c’est ça ?
    – Parce que les mecs hétéros respectueux ça existe pas ? »

    Face au silence d’Élise, le garçon insiste :

    « Je vois bien que tu ne tiens plus et que tu vas craquer. Tu accepterais un bisou ? Dans le cou ? Sur les lèvres ? Comment es-tu habillée en ce moment ? »

    La conversation a lieu en février. Le dernier message date du mois d’avril. Pour l’étudiante, ces deux cas relèvent du « harcèlement ». « Y a ce moment de désarroi, puis tu te dis qu’il y a des mecs qui passent leur journée devant Leboncoin à regarder des photos de meufs “potables”, juste parce qu’ils veulent niquer ou s’exciter à envoyer des messages érotiques. »

    Signaler les relous

    Lou, 22 ans, est visiblement très remontée contre le site. « Ça fait à peu près quatre ans que je fais de la vente en ligne de façon très régulière, et Leboncoin c’est vraiment une catastrophe. Y a pas d’autre mot. » Sur Vinted, un autre site de vente en ligne qu’elle utilise pour revendre ses fringues, elle poste parfois sur le forum des conseils aux utilisatrices du boncoin. Notamment : éviter de mettre son numéro. « Encore, un message à la con, des “compliments”, ça va, mais des fois c’est vraiment glauque. Les appels où on entend le mec souffler dans le téléphone, c’est quand même assez moyen. Le gars garde le numéro après. J’avais beau bloquer le sien, je me faisais rappeler par un fixe ou un autre portable. Les mecs ne nous lâchent pas quand on leur demander d’arrêter. » La jeune femme a même dû changer de numéro pour stopper les appels et SMS. Depuis cette expérience malheureuse, elle a arrêté de mettre son numéro sur le site, « c’est hors de question ». Mais le harcèlement se poursuit par mail. Contacté par StreetPress, le service presse de Leboncoin appelle à porter plainte « auprès des autorités judiciaires » en cas de harcèlement :

    « Si l’utilisateur est reconnu comme fraudeur ou harceleur avéré, à la demande des autorités de police, nous avons alors la possibilité de le bloquer sur le site. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/boncoin_2.jpg

    Gros-lourd /

    En 2014, une jeune habitante de Saint-Maixent-l’École, dans le département des Deux-Sèvres, avait déposé une plainte après avoir reçu des centaines de textos pendant quatre jours d’une supposée photographe qui lui demandait des clichés à caractère porno. La personne à l’origine du message, qui était en fait un homme, a été condamnée deux ans plus tard à un an de taule avec sursis, comme le rapportait La Nouvelle République. Mais pour les jeunes femmes qui ne veulent pas porter plainte, signaler les utilisateurs relous n’est pas à portée de main. Sur Leboncoin, pas de bouton « signaler » comme sur Twitter ou Facebook. Il faut se rendre sur la page « Nous contacter », tout en bas de la home, et copier-coller les messages en justifiant leur caractère offensant. « Ils nous disent qu’ils vont bloquer la personne mais c’est tout. Ils ne sont pas du tout compatissants », s’indigne Lou, qui poursuit :

    « Ils ont l’air de faire ça juste pour éviter une mauvaise image du site. Tout le monde sait que Leboncoin craint à ce niveau-là. On est plusieurs à leur signaler que ça ne va pas et à leur proposer des solutions. Ils ne font absolument rien. »

    La jeune femme continue tout de même de vendre ses fringues sur le premier site français de petites annonces. « Je le fais parce que j’ai besoin d’argent, mais si j’avais le choix, j’aurais arrêté Leboncoin depuis longtemps. C’est fatigant, à la fin. »

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